Pour de nombreux journalistes, la menace invisible du virus Ebola et bien plus effrayante que les détonations qui se font entendre en Syrie et en Irak.
Pour de nombreux journalistes, la menace invisible du virus Ebola et bien plus effrayante que les détonations qui se font entendre en Syrie et en Irak.
Selon Claire Hedon, journaliste de RFI citée par l’AFP, il est plus simple de trouver des journalistes pour couvrir les événements dans ces zones ou même en République Centrafricaine, où la guerre civile est latente, que d’aller dans les pays touchés par le virus.
Comme le personnel médical et les travailleurs humanitaires, les journalistes doivent aller au plus près des malades pour faire correctement leur travail. Ils doivent donc prendre des précautions éprouvantes (enfiler une tenue de protection, se laver régulièrement…) sous peine de contracter le virus.
Le personnel médical paye un lourd tribut à la lutte contre la maladie. Les journalistes ne sont pas immunisés. Pour l’instant, un seul journaliste occidental a été contaminé, l’Américain Ashoka Mukpo, pigiste pour NBC.
Pour Sofia Bouderbala, rédactrice en chef adjoint pour l’Afrique de l’AFP, il s’agit d’une menace invisible : « dans les zones de guerre, vous pouvez voir les obus tomber. »
Pourtant, certains journalistes tentent l’aventure
Mais ils doivent garder leur distance : « la règle de base est de ne rien toucher. Pendant deux semaines c’est assez bizarre » raconte Marc Bastian, journaliste de l’AFP à Monrovia. « Nous pulvérisions nos chaussures avec de l’eau de Javel et nous lavions nos mains de 40 à 50 fois par jour. Les photographes utilisent des téléobjectifs pour photographier les malades et une fois j’ai fait une interview avec quelqu’un qui était huit mètres en hurlant. »
Ces difficultés sont illustrées dans ce reportage de Vice News à Monrovia le mois dernier où le reporter hésite à parler directement aux malades.
Pour les journalistes radio, l’exercice est aussi périlleux. Yves Rocle, responsable de RFI pour l’Afrique, avoue que ses équipes utilisent un dispositif spécial pour obtenir du son. « J’ai moi-même interrogé des malades à deux mètres d’écart, où il est considéré qu’on ne peut pas être touché par la salive », ajoute Claire Hedon, qui admet que la moindre erreur peut être fatale. « Pour être honnête, vous baissez votre garde. À la fin j’ai même serré des mains. »
Mais les risques de s’arrête pas à la fin de la mission
En rentrant chez eux, les journalistes doivent faire face à la peur de leurs collègues et de leur famille, du moins jusqu’à la fin de la période d’incubation, lorsqu’on est certain que les symptômes ne se déclareront plus. C’est une période très solitaire et très stressante pour les journalistes.
« Vous prenez votre température tous les jours et vous vous inquiétez à la moindre alerte » avoue Guillaume Lhotellier, journaliste pour la société de production Elephant. « Votre vie sociale n’est pas très grande, il y a des gens qui refusent même de vous serrer la main. »
Les médias hésitent quant à la politique à adopter avec leur personnel. Certains laissent leurs journalistes travailler dès leur retour, comme la BBC ou l’AFP, qui mettent en avant leurs protocoles de protection sur le terrain. D’autres préfèrent adopter des mesures de quarantaine, comme l’agence AP, qui demande à ses journalistes de rester trois semaines à la maison.
Des mesures que tous ne supportent pas, à la façon de Nancy Snyderman, journaliste de NBC, vue en ville alors qu’elle était supposée être en quarantaine.
Alors que la situation est toujours aussi chaotique en Irak, l’Etat islamique (ex-EIIL) étend son emprise sur le nord du pays et va devenir de plus en plus difficile à déloger. Les djihadistes, en cas de revers, ont en effet la possibilité de ravager en quelques heures Bagdad et ses environs.
Pas besoin de puiser dans l’énorme arsenal militaire récupéré au fil de leur conquête : l’arme fatale des islamistes, c’est l’eau.
Ils contrôlent en effet les principaux barrages irakiens, à Mossoul sur le Tigre et à Haditha sur l’Euphrate, tous les deux en amont de Bagdad. Selon les experts, la rupture du barrage de Mossoul pourrait submerger totalement la ville en quelques heures, tandis qu’un mur d’eau de près de 5 mètres s’abattrait sur Bagdad et que 250 kilomètres carrés seraient inondés autour de la capitale. Du côté d’Haditha, les conséquences seraient également extrêmes alors que le barrage retient les eaux du lac artificiel Qadisiyah et est la principale source d’électricité de Bagdad.
Ce scénario catastrophe peut sembler irréaliste. Pourtant, les djihadistes n’en seraient pas à leur premier essai. En avril dernier, alors qu’ils contrôlaient le barrage de Falloujah, à une centaine de kilomètres de Bagdad, ils n’ont pas hésité à couper l’approvisionnement en eau vers l’aval et le sud chiite de l’Irak, provoquant une grave sécheresse. Ils l’ont ensuite ouvert totalement, inondant les terres jusqu’à la fameuse prison d’Abou Ghraib, aux portes de Bagdad.
Pire, la rupture des barrages pourrait advenir sans l’action de l’Etat islamique selon l’armée américaine, qui pointe du doigt l’arrêt de la maintenance sur des ouvrages déjà vétustes et usés par le climat de guerre qui pèse sur la région depuis la 1ère guerre du golfe en 1991.
Mais les djihadistes ont déjà prouvé par le passé qu’ils étaient capables de maintenir en état les infrastructures indispensables à l’émergence de leur califat, à l’image des champs pétroliers d’où ils tirent leurs ressources. Ils ont ainsi passé un accord avec les responsables du barrage de Tabqa sur le lac Assad en Syrie pour qu’ils alimentent toujours la zone en électricité.
PS : Ceux qui voudront en apprendre plus sur la situation en Irak pourront consulter cet excellent reportage animé du New York Times, qui suit justement la progression des djihadistes sur l’Euphrate et le Tigre.
Alors que l’Etat islamique (ex-EIIL) vient de s’autoproclamer califat et que la situation en Irak est plus que jamais incertaine, certains acteurs du conflit pourraient récupérer cette crise à leur profit.
On peut par exemple penser à l’Iran, jusque-là au ban de la communauté internationale et qui semble aujourd’hui l’une des rares forces capables de s’opposer à l’avancée des djihadistes. Mais c’est surtout Bachar el-Assad qui a une carte à jouer. Allié de la République islamiste iranienne, le régime syrien alaouite a multiplié les frappes aériennes contre les forces de l’EIIL dans l’ouest de l’Irak.
L’implication des loyalistes syriens ajoute un nouveau degré de complexité dans ce conflit. On imagine facilement une réaction commune des forces de l’arc chiite qui passe par Téhéran, Bagdad et Damas, face aux djihadistes sunnites. Mais bien que le Premier ministre irakien al-Maliki a salué ces frappes, qui soulagent les forces gouvernementales en déroute, Bachar el-Assad ne devrait pas être en mesure de contrer l’avancée de l’EIIL en Irak alors que ses troupes sont incapables de reprendre le dessus en Syrie.
Gagner le soutien des Occidentaux
Là où la crise actuelle sert les intérêts du dictateur syrien, c’est qu’elle légitime plus ou moins l’argumentaire qu’il a déployé depuis plus de trois ans et le début de cette guerre civile : lui et ses partisans se battent contre des terroristes et ce qui est présenté en Occident comme une révolte légitime face à un régime autoritaire n’est qu’une offensive djihadiste. Bien qu’il reconnaisse l’aspect dictatorial de son pouvoir, il est le seul capable de maintenir l’ordre en Syrie et de protéger les minorités chiites et chrétiennes.
Il en faudra cependant plus pour convaincre la communauté internationale, à commencer par les Etats-Unis qui ont condamné toute intervention syrienne en Irak et viennent de débloquer une enveloppe de 600 millions de dollars pour les rebelles syriens modérés, qui combattent eux aussi les forces de l’Etat islamique. Mais Washington est dans une position délicate : soutenir ainsi la rébellion affaiblirait le régime de Bachar mais renforcerait l’EIIL. Au contraire, la recherche de soutiens face au péril djihadiste pourrait alléger la pression internationale qui pèse sur Damas mais reviendrait à abandonner l’opposition syrienne.
La solution réside plus que jamais dans un cessez-le-feu entre loyalistes et rebelles modérés qui permettrait à tous de se concentrer dans la lutte contre les djihadistes. Bachar el-Assad aurait tout intérêt à un tel accord et semble prêt à négocier. Il a déjà cédé par le passé, en autorisant par exemple les Nations-Unies à neutraliser son stock d’armes chimiques, une mission couronnée de succès qui vient de s’achever cette semaine. Reste à savoir si l’opposition sera dans les mêmes dispositions. Les 162 000 victimes de la guerre civile ne font pas pencher la balance en ce sens.
Depuis le 6 juin dernier et la prise de Mossoul, deuxième ville du pays, par les jihadistes de l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant), l’Irak est au bord de l’implosion. Snackable dresse la liste des différentes forces en présence alors que le conflit, qui menace la stabilité du marché pétrolier, pourrait rapidement s’internationaliser.
Les Sunnites :
les tribus irakiennes : depuis la chute de Saddam, les tribus sunnites du nord-ouest de l’Irak, dont il était issu et qui étaient protégées par son régime, ont un comportement ambigu envers le nouveau pouvoir mis en place par les Occidentaux. Alliées des forces US et de l’armée irakienne face aux jihadistes par l’intermédiaire des Sahwa, milices sunnites anti-jihad, leur situation s’est dégradée depuis le départ des américains en 2011, avant de prendre un tournant dramatique en décembre dernier. Des sunnites, opprimés par le gouvernement chiite, se sont révoltés en masse et ont pris la ville de Falloujah, proche de Bagdad, avec le soutien de l’EIIL, leur ancien ennemi.
l’EIIL : l’Etat islamique est né en Irak en 2006, à l’occasion de la fusion entre plusieurs groupes terroristes et des tribus sunnites. Battu dès la première année, le groupe s’est restructuré et a profité de la guerre civile syrienne en 2011 puis des excès du gouvernement chiite d’Al-Maliki en Irak pour se relancer en « jihadisant » les populations sunnites. L’entité s’est progressivement détachée d’Al-Qaïda pour prôner un jihad anti-chiite et la domination de l’ensemble du monde musulman. Brouillé avec l’armée syrienne libre et le Front Al Nosra (Al-Qaïda) en Syrie, l’EIIL s’est tourné en début d’année vers l’Irak, se renforçant en attaquant des prisons, en pillant les ressources des territoires occupés soumis à la charia et en s’accaparant le matériel abandonné par l’armée irakienne qui comprend des tanks et des hélicoptères de combat. De nombreux militaires irakiens ont également désertés pour rejoindre leurs rangs et retrouver les cadres de l’ancienne armée de Saddam. L’EIIL compte aujourd’hui près de 10 000 combattants en Irak.
Les Chiites :
l’Etat irakien : les chiites sont majoritaires en Irak, où ils représentent entre 65 et 70% de la population. Opprimée par le régime baasiste de Saddam, la majorité chiite revient aux pouvoir lors de sa chute et la mise en place de la démocratie. Ce retour au pouvoir est suivi d’une exclusion progressive des sunnites des postes administratifs, militaires ou politiques. Contre l’avis de nombreux parlementaires chiites, le Premier ministre Al-Maliki réprima par la force des manifestations demandant plus d’égalité à l’approche des élections législatives, arrêta le député sunnite Ahmad al-Alwani et tua son frère. De quoi faire basculer une large partie des sunnites dans le camps des jihadistes. Aujourd’hui le gouvernement irakien est dans une situation d’urgence alors qu’aucune majorité ne s’est détachée lors des élections et que l’armée est en déroute face à l’EIIL.
l’Iran : la République islamique d’Iran, pour qui l’avènement d’un « jihadistan » sunnite à ses frontières serait une menace mortelle, surveille avec attention les événements irakiens. Le régime chiite a déjà mobilisé les pasdarans, les troupes d’élite de la Garde républicaine, ainsi que ses milices de volontaires pour aller défendre les lieux saints présents en Irak et veiller au maintien du gouvernement d’Al-Maliki. L’Iran a en effet besoin d’une Irak pacifiée pour continuer à soutenir le président alaouite chiite Bachar el-Assad dans la guerre civile syrienne. De plus Téhéran, qui avait amorcé des discussions autour de son programme nucléaire avec les Occidentaux, pourrait en résolvant la crise irakienne faire un pas de plus vers sa réintégration dans la communauté internationale.
Les Kurdes : opprimés par Saddam, les Kurdes ont obtenu via la constitution irakienne de 2005 l’autonomie de leur province. L’armée du Kurdistan irakien, la Peshmerga, équipée en armement moderne par les Etats-Unis apparaît aujourd’hui comme la principale force capable de s’opposer à l’avancée de l’EIIL en Irak. Pourtant les deux camps sont restés relativement neutres depuis l’offensive des jihadistes sur Mossoul : la Peshmerga s’est déployée dans les régions délaissées par l’armée irakienne afin de protéger les populations kurdes locales. Elle a ainsi mis la main sur Kirkouk, berceau historique du peuple kurde et entend profiter au maximum de la nouvelle situation. Son aide dans la résolution du conflit devrait se monnayer à prix d’or et conduire à encore plus d’autonomie, si ce n’est l’indépendance, pour les 7 millions de Kurdes vivant en Irak.
Les Occidentaux : les pays occidentaux payent maintenant leur attentisme face à la situation syrienne. L’offensive de l’EIIL, qui vise notamment les principaux sites pétroliers irakiens, risque de déstabiliser l’économie mondiale. Bagdad a demandé officiellement de l’aide aux USA. Si le déploiement de troupes au sol est exclu par Washington, des frappes aériennes censées contenir l’avancée des jihadistes pourraient être ordonnées. Mais la Maison Blanche n’a pour l’instant donné aucun signe d’une quelconque intervention alors que la situation fait l’objet d’une reprise politique du camps républicain qui fustige le départ des troupes US en Irak ordonné par Obama. Les Américains envisagent même de possibles coopérations avec les Kurdes ou avec l’Iran, ces deux entités ayant beaucoup à y gagner. Mais Israël ne peut qu’être inquiet de l’émergence d’une alliance, même provisoire, entre Washington et Téhéran, alors que le régime iranien finance le Hezbollah, ennemi juré d’Israël au Liban.
L’Etat islamique en Irak et au Levant, actuellement en guerre contre les gouvernements irakiens et syriens, se distingue des autres organisations terroristes par un sens aigu et morbide de la communication.
Comme le ferait n’importe qu’elle entreprise cotée en bourse, l’EIIL publie chaque année un rapport des ses activités : dans la dernière édition dévoilée en mars 2014, on y apprend en 400 pages que l’organisation jihadiste a réalisé près de 10 000 opérations militaires en Irak depuis fin-2012, dont 1083 assassinats et 4465 attentats. Une façon d’impressionner tant ses adversaires que ses soutiens financiers remarque l’analyste Alex Bilger pour le Figaro.
Mais la stratégie de communication de l’EIIL ne s’arrête pas là. L’organisation a tout compris du fonctionnement des réseaux sociaux et en a fait une arme de propagande et de terreur. Les prises de Mossoul et Tikrit ont été relayées en direct sur Facebook ou Twitter, ainsi que les exécutions de masses de civils ou de militaires chiites. Sur les 4500 prisonniers, 1700 auraient été exécutés selon leurs tortionnaires sunnites. C’est la première fois qu’un crime contre l’humanité est ainsi perpétré et documenté en direct par ses auteurs.
Le matériel récupéré après la déroute de l’armée régulière irakienne est également à l’honneur, comme sur cette photo d’un des chefs de l’EIIL en train d’essayer un véhicule blindé.
Comble de l’horreur, les « community managers » de l’EIIL sont allés jusqu’à profiter de l’audience de la Coupe du monde brésilienne pour diffuser en masse les exactions : en fin de semaine dernière, lors de l’ouverture de la compétition, ils ont posté la photo de la tête décapité d’un fonctionnaire capturé avec la mention » Ceci est notre balle… elle est en peau » assortie du hashtag #WorldCup.
Après la chute de Mossoul la semaine dernière, la situation est toujours aussi critique en Irak où les jihadistes de l’Etat Islamique en Irak et au Levant sont aux portes de Bagdad. La fin de l’Irak pourrait avoir des conséquences dramatiques pour l’ensemble du Moyen-Orient. Voici le pire scénario :
L’effondrement du gouvernement irakien
Péniblement mis en place par les Occidentaux après la chute de Saddam Hussein, le nouvel état irakien pourrait imploser sous la pression de l’offensive des jihadistes sunnites. Le pays est à l’image de Bagdad, divisé entre la majorité chiite et les minorités sunnites et kurdes.
Bagdad, mosaïque de quartiers de différentes origines où prolifèrent les armes, pourrait faire l’objet de violentes luttes communautaires qui entraîneraient la ville, les institutions et l’ensemble du pays dans le chaos. Des meurtres ont déjà été signalés par la communauté sunnite qui pourrait ouvrir la ville aux combattants de l’EIIL.
Après Mossoul, Tikrit ou Falloujah, Bagdad pourrait également tomber entre les mains des jihadistes. La prise de la capitale les renforcerait considérablement, comme à Mossoul, deuxième ville du pays, où ils ont mis la main sur le matériel neuf abandonné par l’armée irakienne en déroute.
L’EIIL serait ainsi maître de l’Ouest irakien et du Nord-Est syrien, se dotant d’une véritable entité géographique, riche en pétrole et administrée par la charia. Un paradis pour le terrorisme international, à l’image de ce qu’était l’Afghanistan sous les Talibans.
L’Irak est divisé en trois
Si Bagdad tombe aux mains de l’EIIL ou devient un champ de bataille communautaire, le pays sera divisé en trois régions hostiles :
l’Ouest sunnite, sous le contrôle de l’EIIL et qui pourrait donc se transformer en véritable « jihadistan« ,
les Kurdes au nord, dont la Peshmerga, l’armée de la province autonome du Kurdistan irakien, s’est déployée hors de ses frontières et a notamment pris possession de Kirkouk, une importante ville pétrolière et centre culturel kurde,
enfin la majorité chiite et les restes de l’armée et du gouvernement irakien au Sud.
La dislocation de l’Irak entraîne un séisme économique, humanitaire et religieux
La fin de l’Irak aurait des répercussions internationales dramatiques. Alors que le pays se dispute la place de deuxième producteur mondial de pétrole avec l’Iran, l’arrêt de la production ou sa récupération par les jihadistes pourrait entraîner une hausse considérable des prix et impacterait l’ensemble des économies nationales.
Comme en Syrie, la guerre pourrait provoquer des exodes de populations massives dans un pays qui compte 36 millions d’habitants. L’ONU estime qu’un demi-million d’Irakiens a déjà quitté Mossoul, venant s’ajouter à l’autre demi-million qui avait fui l’avancée des jihadistes dans l’Ouest du pays.
Enfin, le Moyen-Orient est une poudrière religieuse entre l’Iran et l’Irak chiite et les Alaouites fidèles à Bachar el-Assad d’un côté et les pays sunnites comme l’Arabie Saoudite, le Qatar ou la Jordanie de l’autre. Les exactions religieuses pourraient entraîner un conflit bien plus grave alors qu’Iran et Arabie Saoudite, deux ennemis jurés, s’affrontaient déjà indirectement en Syrie.
La prise mardi dernier de Mossoul, deuxième ville d’Irak, par les combattants jihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), met en lumière la situation critique que connaît l’Irak à l’heure actuelle.
Depuis le retrait des forces occidentales en décembre 2011, le pays est profondément divisé entre la majorité chiite et les rebelles sunnites menés par les tribus locales, d’anciens militaires de Saddam Hussein et les mouvements proches d‘Al Qaida. Poursuivant leur percée vers le sud, les forces de l’EIIL sont maintenant à une centaine de kilomètres de Bagdad. En janvier dernier, il prenait déjà la ville de Falloujah, distante d’à peine 69 kilomètres de la capitale irakienne.
L’EIIL contrôle ainsi la partie sunnite de l’Irak qui, ajoutée au Nord-Est de la Syrie, est en passe de constituer le territoire d’un véritable émirat islamique, régi par la charia. Un territoire riche en pétrole, ressource dont la contrebande permet déjà de financer le mouvement. L’offensive vers le Sud et Bagdad a d’ailleurs permis à l’EIIL de mettre la main sur Baïji, la ville qui compte la plus grande raffinerie du pays.
Mais le pétrole n’est pas l’unique source de richesse de l’organisation qui compte également sur le pillage et les rançons des prises d’otages. En prenant Mossoul, l’EIIL est soupçonné d’avoir récupéré plusieurs centaines de millions de dollars dans les banques de la ville tandis qu’une quarantaine de personnes sont maintenues en otage dans les locaux du consulat turc.
Attendue depuis des semaines, l’offensive visant à reprendre la ville de Mossoul aux djihadistes de l’État islamique (EI) a été lancée ce lundi 17 octobre. Retour sur les enjeux et les risques de cette bataille décisive.
Des dizaines de milliers d’Irakiens, de Kurdes, de Turcs et d’Occidentaux s’apprêtent à lutter pendant de nombreuses semaines pour libérer la ville et son 1,5 million d’habitants.
L’opération, nommée « Fatah » (Conquête) va permettre de juger de la solidité de cette coalition, de porter un coup énorme aux djihadistes mais risque aussi de tourner à la pire catastrophe humanitaire de l’année.
Le plan de batailleLa perte d'un symbole pour l'État islamiqueLes dangers qui menacent la coalitionLa crainte d'une catastrophe humanitaireL'après, le véritable enjeu de la bataille de Mossoul
Mossoul est la dernière des grandes villes à reconquérir en Irak après Tikrit, Ramadi et Falloujah, première ville tombée aux mains des djihadistes en janvier 2014 et reprise cet été.
Encercler, libérer, nettoyer et gouverner à nouveau Mossoul
La coalition encercle Mossoul en prenant les villages qui la bordent au Sud, à l’Est et au Nord. Seul l’Ouest, en direction de la Syrie, est pour l’instant laissé libre afin d’offrir une porte de sortie aux djihadistes et éviter une résistance désespérée. Plutôt les affronter dans le désert qu’en ville.
Comme à Falloujah, les forces chiites seront majoritairement impliquées. Des dizaines de milliers de militaires, policiers, membres des forces spéciales et miliciens contrôlés par l’Iran, grand allié chiite de Bagdad, vont attaquer au Sud.
L’aviation occidentale et plusieurs milliers de soldats américains, principalement chargés de l’encadrement, mais aussi des artilleurs français les soutiennent.
À l’Est, 4000 peshmergas Kurdes profiteront aussi de l’aide des forces spéciales occidentales, tandis qu’au Nord, des miliciens kurdes et des sunnites formés par la Turquie complètent le dispositif. Les tribus sunnites participent à l’offensive, certaines du côté de Bagdad, d’autres du côté kurde ou encore turc.
La prise de Mossoul sera un coup décisif porté à Daesh et sa tentative d’installer un « califat » entre Syrie et Irak, mais ne marquera pas pour autant la fin de l’organisation terroriste.
Éliminer Daesh en Syrie, où il faut agir de concert avec la Russie et le régime syrien est bien plus compliqué qu’en Irak. De plus, Daesh prend de plus en plus la forme d’une organisation terroriste sans attache territoriale unique. Nigéria, Libye, Yémen, Afghanistan…
Ses membres sont présents dans l’ensemble du monde islamique et, même éliminés de ces zones, ils pourront toujours se cacher pour continuer leur action comme le fait Al-Qaïda. La guerre contre l’idéologie djihadiste se gagne dans les têtes plus que sur le terrain.
Comme beaucoup, j’ai découvert l’EI lorsqu’il prend Mossoul en juin 2014. Les images de l’armée et des fonctionnaires irakiens fuyant la ville alimentent longtemps la propagande djihadiste. Stupéfaction totale en Occident : trois ans après le départ des Américains, le pays replonge dans la guerre et le terrorisme. Personne n’en veut, mais une nouvelle intervention est inévitable.
Mossoul, berceau du califat rêvé par Daesh
Une partie de la population de Mossoul, ville majoritairement sunnite, fête l’arrivée de Daesh comme une libération. Les armes et les réserves monétaires laissées sur place renforcent considérablement les djihadistes. Ils ne tardent pas à profiter de la situation pour commencer l’épuration ethnique de la région, à commencer par la minorité yézidi.
Enfin, c’est depuis une mosquée de Mossoul que le chef de l’organisation État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, proclame le califat. Profitant des ressources trouvées sur place, celles collectées via l’impôt ou la vente de pétrole ou celles encore envoyées par l’Etat irakien (Bagdad payait toujours les fonctionnaires restés sur place…), Daesh met en place depuis Mossoul les éléments d’un proto-état.
La perte de Mossoul portera un coup énorme aux revenus, à l’image et l’influence de l’organisation terroriste et mettra fin à sa présence territoriale en Irak. Mais malgré le rapport de force inégal, la bataille risque d’être difficile et une victoire ne signifiera pas la fin de l’idéologie djihadiste dans la région.
Histoire croisée de Mossoul et Daesh
Inutile de revenir sur la vieille histoire de Mossoul, distante de quelques kilomètres de Ninive, centre d’une des plus anciennes civilisations de l’histoire humaine. La Mossoul moderne est un pôle multiculturel et un carrefour commercial au sous-sol riche en pétrole. Mossoul n’a jamais véritablement été intégrée à l’Irak. Lors de la fondation et la décolonisation du pays, Turcs et Kurdes protestent contre le rattachement de la zone à l’Irak.
C’est le retour de « la question de Mossoul » indique Myriam Benraad, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, qui explique en partie l’intervention turque dans l’opération. Elle revient dans un long article pour OrientXXI sur le gouffre qui a toujours séparé la région de Bagdad. Déjà, après le renversement de la monarchie en 1958, une insurrection est réprimée dans le sang par le pouvoir central à Mossoul :
« La population locale a perpétué le souvenir de ces événements, développant l’obsession d’un « jamais plus » et se dissociant de l’État pour ne plus l’affronter à nouveau. Cette épaisseur temporelle permet d’entrevoir pourquoi Mossoul ne s’est pas non plus soulevée contre l’EI, et plus particulièrement contre ses combattants étrangers peu appréciés. Elle éclaire la réticence que beaucoup ont éprouvée à quitter leur ville en 2014, surtout débarrassée d’une armée irakienne principalement chiite qui faisait office de force d’occupation pour le compte de Bagdad. »
Après la chute de Saddam, les sunnites n’ont pratiquement plus aucune représentation en Irak, jusque dans l’armée qui est dissoute. Mossoul devient alors l’un des pôles de l’idéologie djihadiste dans le pays, berceau de la branche locale d’Al-Qaida qui prendra ses distances de la maison mère pour devenir l’organisation État islamique.
À première vue, le déséquilibre tant humain que matériel fait pencher la balance en faveur de la coalition. Toutefois, les 4500 à 6000 djihadistes qui devraient prendre part à la défense de Mossoul ont eu le temps de se préparer. Ces hommes, dont certains sont aguerris aux combats en Irak ou en Tchétchénie, adoptent des tactiques de guérillas. Si la bataille venait à durer, la coalition risque d’en faire des martyrs, à la légende digne des légionnaires de Camerone.
Pas de quoi remette en cause la victoire finale de la coalition, mais suffisant pour la retarder. Barack Obama qui l’a promise avant la fin de son mandat. En comparaison, la reprise de Falloujah, bien plus petite, a pris un mois.
La coalition doit faire face aux attaques de snipers et de voitures piégées. Une fois un village récupéré, il faut s’assurer que des djihadistes ne soient pas cachés et que des tunnels par lesquels ils pourraient surgir ou des mines ne menacent la sécurité future des troupes et des habitants.
La situation va empirer à Mossoul avec ses rues étroites, les barrières et tunnels mis en place par les djihadistes, et la difficulté de bombarder de peur de causer des pertes civiles et de créer de nouveaux obstacles pour la coalition. Il faudra être prudent : chaque maison est susceptible d’accueillir des civils, des djihadistes ou des pièges.
On redoute aussi la fuite de djihadistes. Comment les distinguer des réfugiés ? Comment les intercepter avant la Syrie ou pire, l’Europe pour ceux qui voudraient y commettre un attentat ? Que faire des prisonniers? Pas question de créer un nouvel Abu Ghraib, où les Américains avaient enfermé ensemble les djihadistes qui formèrent ensuite Daesh. Mais le véritable ennemi est à l’intérieur de la coalition : typique du conflit en Syrie et en Irak, cette dernière est composée d’alliés de circonstance, aux objectifs parfois opposés.
Dans une interview à Libération, Loulouwa al-Rachid du Centre de recherches internationales (CERI) indiquait : « Le partage du butin et des rôles de chacun au lendemain du départ de l’EI peut donner lieu à une « guerre de tous contre tous » entre milices chiites, forces proturques, Kurdes, etc. Car derrière les rivalités communautaristes, il y a les convoitises des terres, du pétrole et des ressources en eau. »
Clique ici pour découvrir les membres de la coalition et leurs objectifs
Occidentaux
C’est un moment décisif dans la campagne pour infliger à Daesh une défaite durable.
Ashton Carter, Secrétaire américain à la guerre. Portés par les États-Unis et la France, les Occidentaux mènent une nouvelle bataille dans la guerre contre le terrorisme lancée près de quinze ans auparavant.
Loin des blocages rencontrés en Syrie face aux Russes et aux forces du régime, ils peuvent agir en totale liberté en Irak. Ils ont reformé et ré-équipé l’armée et fournissent un soutien aérien.
Leur objectif est de pacifier le pays et d’en finir avec la menace djihadiste qui pèse sur le jeune État irakien difficilement mis en place après la chute de Saddam Hussein. Ils vont aussi tenter de préserver la sécurité des civils et d’assurer l’aide humanitaire.
Il ne faudrait pas tomber dans les mêmes travers que les Russes à Alep et alimenter encore un peu plus le flot des réfugiés qui tentent leur chance vers l’Europe.
Kurdes
Les peshmergas sont présents pour protéger les populations, donc il n’y a pas besoin que les forces irakiennes se déploient
Massoud Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan autonome. Ils sont principalement représentés par les peshmergas, la force de sécurité du Kurdistan, région autonome d’Irak, à l’Est de Mossoul. En théorie, ces derniers dépendent de Bagdad mais dans les faits, la prise de Mossoul par les djihadistes et leur capacité militaire leur ont permis d’agrandir leur territoire et de renforcer leur autonomie.
Le Nord est contrôlé par les miliciens kurdes syriens de l’YDP, proche du PKK turc, faction considérée comme terroriste par la Turquie. Tous les Kurdes bénéficient du soutien occidental et ont longtemps été considérés comme la seule force capable de s’opposer aux djihadistes sur le terrain.
Leur but est de défendre leur territoire historique, et même d’en gagner au détriment des Arabes sunnites installés dans la région par Saddam Hussein. Amnesty International dénonce ainsi la destruction de villages arabes par les Kurdes. Massoud Barzani s’est prononcé en faveur d’un référendum pour que les populations libérées puissent décider de qui elles dépendraient à l’avenir.
Turcs
Peu importe ce que dit le gouvernement irakien, la présence turque sera maintenue pour combattre Daesh et pour éviter une modification par la force de la composition démographique dans la région
Recep Tayyip Erdogan, président turc. Membre de l’OTAN et principale alliée des Occidentaux, la Turquie n’a pas fini de surprendre dans ce conflit. Accusée d’être trop laxiste avec les djihadistes, elle s’est engagée en Syrie fin août via l’opération Bouclier de l’Euphrate. Plus que vaincre les djihadistes, c’est pour s’opposer au régime chiite de Damas et empêcher les Kurdes de créer un pays indépendant qu’ils ont décidé de s’ériger en protecteur de la population sunnite.
C’est la même logique qui les pousse à intervenir en Irak, sans aucun accord préalable de Bagdad ou des Occidentaux. Ils sont présents dès décembre 2015 sur la base de Bashiqa, à quelques dizaines de kilomètres au Nord-Est de Mossoul et s’en servent comme plateforme pour bombarder les terroristes et former des miliciens irakiens sunnites. 1500 d’entre eux participeront à la reconquête de la ville.
Irakiens
Le temps de la victoire est venu et les opérations pour libérer Mossoul ont commencé
Haïder al-Abadi Premier ministre irakien. Les forces irakiennes ont inversé la tendance depuis un an en libérant les principales villes contrôlées par Daesh à l’Ouest et au Nord du pays. Avec l’aide des Occidentaux et de l’Iran, elles se sont reconstituées pour enfin devenir les troupes au sol indispensables à la reconquête du territoire.
Si elles ont payé un lourd tribut dans les précédents affrontements, elles sont aussi suspectées de violences envers les populations sunnites, notamment en ce qui concerne les milices chiites financées par l’Iran, marquées par un fort anti-américanisme. Le Premier ministre irakien a ainsi tenté de rassurer ses partenaires et la population : seuls les militaires et les policiers seront autorisés à entrer dans Mossoul.
C’est leur dernière bataille d’importance à mener, mais sans doute aussi la plus risquée. Il faut en effet que Bagdad restaure son autorité sur la partie sunnite du pays et contienne les ambitions kurdes et turques.
Le sort du 1,5 million d’habitants encore présents dans la deuxième ville du pays occupe tous les esprits. Sans défense, ils courent tous les dangers, à commencer par celui d’être utilisés comme boucliers humains par les djihadistes et d’être frappés par erreur par des tirs de la coalition. Plus la bataille va durer, plus les risques seront grands, y compris ceux inhérents à l’impossibilité d’avoir accès aux soins, à l’eau courante ou aux biens de première nécessité.
Les habitants de Mossoul pris entre deux feux, la guerre et la crise humanitaire
Ce mouvement de résistance est connu depuis plusieurs mois par la presse qui rapporte des tags représentant la lettre M pour muqawama, « résistance », sur les façades de Mossoul. La répression de cette révolte par les djihadistes pourrait faire de nombreuses victimes, sans parler d’éventuels conflits entre civils pro et anti-daesh.
Selon Franck Genauzeau, grand reporter de France 2, une vingtaine de civils ont déjà été exécutés dans les premières heures de l’offensive pour avoir diffusé des photos des installations défensives mises en place par les djihadistes. Daesh a même coupé les connexions Internet, y compris mobile.
Mais au-delà des dangers de la bataille, c’est l’après qui inquiète.
Vers la plus grande catastrophe humanitaire de l'année ?
Ces multiples dangers pourraient inciter de nombreux habitants à fuir Mossoul. Or les capacités d’accueil conjointes de l’ONU et des forces irakiennes sont d’environ 300 000 places, loin du million de personnes potentiellement concernées.
« Il existe une règle informelle selon laquelle aucune institution ne peut faire face à un mouvement de population de plus de 150000 personnes à la fois », indique à la presse Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour l’Irak. Alors que l’hiver approche, seulement la moitié des 334 millions d’euros budgétés pour l’achat de tentes et de biens de première nécessité a été provisionné.
#Irak: les civils qui fuient l’État islamique risquent de graves représailles. Rapport d’Amnesty International: https://t.co/NGefbKSMdo — Nina Walch (@NiWalch) 18 octobre 2016
Et cela ne concerne que l’urgence des prochains mois. La question de la reconstruction de la ville et de ses alentours est primordiale. Alors que l’accueil des réfugiés s’avère déjà problématique, l’expérience montre que les villages reconquis depuis plusieurs mois n’ont toujours pas été réoccupés.
Daesh mène véritablement une politique de la terre brûlée. Les mines et les pièges empêchent le retour des habitants qui ne peuvent reprendre possession de leur maison en toute sécurité. Ils ne peuvent pas commencer les réparations de base, remettre l’électricité ou l’eau courante. Ils ne peuvent pas cultiver à nouveau les champs ou reprendre une activité, faute de clients ou de biens à acheter.
L’économie locale n’existe plus, près de 4 millions de personnes ont quitté la région depuis deux ans pour les camps de réfugiés de Turquie ou d’Europe. Le besoin d’une aide internationale ne concerne pas que les prochains mois mais les prochaines décennies.
La chute de Mossoul ne signifie pas la fin de l’EI en Irak, et encore moins celle de l’idéologie djihadiste. Al-Qaïda avait déjà été « éliminé » du pays à la fin des années 2000. Ça ne l’a pas empêché de réapparaître et de muter en ce qu’on connait aujourd’hui comme l’EI.
Pour trouver la paix, l’Irak doit sortir du sectarisme et du jeu géopolitique
Daesh s’est nourri du ressentiment que faisait naître le pouvoir chiite envers la population sunnite. Bagdad doit éviter de reproduire les erreurs du passé en donnant plus de pouvoir aux communautés locales. Or pour l’instant, rien n’indique un changement de mentalité.
« Le gouvernement irakien n’a pas de plan pour le jour d’après, celui où Mossoul sera repris. Il ne sait pas quoi faire, hormis tenter de rétablir un statu quo ante. Il tentera de placer un gouverneur docile et de déléguer ce qu’il peut à des milices tribales et à ceux qui seront là. Au-delà de l’enjeu symbolique énorme de chasser l’EI d’Irak, Mossoul est un fardeau pour Bagdad qui est en quasi-faillite financière » rappelle Loulouwa al-Rachid.
La victoire militaire devra se prolonger par un effort politique de dialogue et de réconciliation entre les différentes communautés, sous la tutelle des principales puissances engagées.
Car le sort de Mossoul questionne l’avenir de l’Irak dans son ensemble. Dans tout le pays les sunnites attendent d’être intégrés au pouvoir et au-delà des aspects communautaires, toute la population attend le retour de l’emploi, de la justice et de l’indépendance du pays vis-à-vis des intérêts étrangers.
Sans quoi la menace djihadiste pourrait resurgir ailleurs. Pour trouver la paix, l’Irak doit sortir du grand jeu géopolitique dans lequel le pays a été plongé par l’intervention américaine en 2003 et retrouver la voie de la démocratie et du développement.
Derrière la guerre, des revendications citoyennes méconnues
En finir avec un pouvoir corrompu, religieux et inféodé aux États-Unis ou à l’Iran. En dépit de la guerre et de la menace terroriste, un mouvement citoyen émerge en Irak et porte de telles revendications.C’est sur ce mouvement qu’enquête Feurat Alani, ancien correspondant à Bagdad pour de nombreux médias français et désormais producteur de l’agence In Sight Films.
Laïcs ou religieux, apolitiques ou anciens baasistes, jeunes et vieux se retrouvent sur la bien nommée place Tahrir pour demander le renouveau des services publics, la refonte des services de l’État et ses fonctionnaires aussi inutiles que corrompus. C’est en comblant ces besoins que Daesh a réussi à s’implanter facilement dans le Nord-Ouest du pays.
Ils demandent aussi le respect des différentes communautés, sans toutefois pérenniser le système de quotas mis en place par les Américains, qui ne fait qu’alimenter le sectarisme.
Enfin, la question de l’influence iranienne reste primordiale alors que la communauté chiite se divise entre partisans d’al-Abadi, l’actuel Premier ministre nationaliste soutenu par le clergé irakien et ceux de l’ancien Premier ministre al-Maliki, qui se place du côté de Ghassem Souleimani, chef militaire iranien des milices chiites impliquées dans la lutte contre Daesh.
130 morts et des centaines de blessés. C’est le triste bilan des attentats du vendredi 13 novembre qui ont une nouvelle fois endeuillé la France cette année.
Ils s’ajoutent aux 48 victimes et aux centaines de blessés touchés par deux kamikazes à Beyrouth, la capitale libanaise, le 12 novembre. Et aux 224 personnes décédées début novembre dans l’explosion d’un avion russe en Egypte ; aux 102 disparus (et des centaines de blessés) de l’attaque qui visait une manifestation pacifique à Ankara fin octobre…
La liste est longue et je pourrais égrainer tant de chiffres que vous auriez des crampes à force de scroller. Un seul suffit à comprendre : en 2014, année où Daesh est entré dans la lumière et a proclamé son califat, le nombre annuel de victimes d’actes terroristes a augmenté de 81%, principalement au Moyen-Orient et en Afrique. 2015 devrait être un cru tout aussi sanglant.
Si Daesh n’est pas l’unique organisation terroriste à sévir, elle est la plus agressive. Pas étonnant de trouver autant de pays mobilisés contre elle : USA, Europe, Russie, Turquie, Pays du Golfe, Iran… Pas moins de 60 pays composent la coalition. Alors face à toute cette puissance, pourquoi une organisation pareille est-elle encore debout ? C’est la question à un milliard d’euros, et on va essayer d’y répondre dans cette FAQ.
Un, car la théorie ne s’applique pas en pratique. À l’école, on m’expliquait la logique mathématique comme ça : l’ami de ton ami est ton ami, l’ami de ton ennemi est ton ennemi, l’ennemi de ton ennemi est ton ami ( + et + = +, + et – = -, – et – = +, si vous étiez une buse à l’école, il est temps de s’y mettre !). Mais cette logique ne s’applique pas en Syrie et en Irak, où personne ne fait confiance à personne.
Deux, car les forces actuellement engagées contre Daesh sont insuffisantes. Les frappes aériennes ne permettent pas de vaincre les djihadistes qui s’adaptent en se cachant dans la population ou en agissant la nuit par petits groupes. Il faudrait qu’elles soient accompagnées d’une véritable offensive terrestre. Mais personne n’est actuellement capable de la mener.
Trois, car une victoire militaire contre l’Etat islamique ne suffit pas à régler le problème du terrorisme ou du Moyen-Orient. Le djihadisme est une idéologie qui se nourrit du « martyr » de ses membres. La bataille doit aussi se mener tant dans les têtes que sur le terrain. Mais une fois Daesh vaincu, qui pourra prendre sa place et ramener la paix dans la région ?
D’où vient Daesh ?
La version courte : du désert. C’est là que les combattants de « l’État islamique d’Iraq » se sont planqués à la fin des années 2000 quand les Américains étaient en train d’éliminer ce qui était encore une branche locale d’al-Qaïda. Le début de la guerre civile en Syrie leur donne l’occasion de se refaire une santé de l’autre côté de la frontière, en recrutant partout dans le monde ceux qui sont venus se battre contre Bachar et en récupérant le matériel destiné aux rebelles. En 2014, ils sont capables d’attaquer l’Iraq et prennent la ville de Mossoul en juin, date à laquelle ils proclament le califat.
La version longue
Reprenons du début : en 2003, les US ont la merveilleuse idée de renverser Saddam Hussein. Alors oui, c’est un dictateur sanguinaire qui n’hésite pas à bombarder et gazer son peuple. Mais ça se sait déjà depuis les années 80, quand Saddam était encore « un ami », qu’on aidait dans sa guerre contre l’Iran.
L’avantage de Saddam, c’est son nationalisme arabe laïque qui arrivait, par la force certes, à maintenir une certaine cohésion en Iraq, où on trouve une majorité de musulmans chiites, une minorité sunnite au pouvoir, mais aussi des chrétiens orientaux, des yézidis etc. En 2003, tout a été balayé à grands coups de rangers. Le régime baassiste de Saddam est dissout.
Les Américains se basent sur la majorité chiite pour reconstruire un gouvernement et une armée. Autant dire que les chauds du djihad, en ébullition depuis le renversement de l’émirat islamique des talibans en Afghanistan, associés aux anciens cadres sunnites de l’armée irakienne, ont vite mené la vie dure à la coalition occidentale.
Mais à la fin des années 2000, les djihadistes à l’origine de Daesh étaient quasiment éliminés d’Iraq. Les Américains finançaient en effet les tribus sunnites minoritaires de l’ouest du pays (frontière avec la Syrie) pour qu’elles luttent contre les djihadistes. Et voilà qu’en 2011, les printemps arabes et le retrait des occidentaux de la région changent encore la donne.
Face à Bachar el-Assad et à l’indifférence de la communauté internationale, les djihadistes se présentent comme les sauveurs des sunnites. Dans un premier temps, les occidentaux et leurs alliés soutiennent tous les rebelles. Mais les laïques étant des civils aussi entraînés que toi ou moi, ce sont les djihadistes qui récupèrent le matos et le territoire, jusqu’à devenir assez forts pour attaquer et prendre le nord de l’Iraq en 2014. Ils sont accueillis en libérateurs par la minorité sunnite abandonnée depuis le départ des occidentaux et maltraitée par le gouvernement chiite au pouvoir.
C’est à ce moment que les Américains, effrayés de perdre Bagdad, se réveillent. Mais le mal est déjà là.
Pourquoi provoquent-ils des attentats, tout en sachant qu’il y aura riposte ?
C’est justement pour nous pousser à réagir dans la précipitation. Les terroristes ciblent des sociétés en apparence divisées, en espérant que la peur oblige les gouvernements à cesser leurs frappes, qu’elle pousse les gens les uns contre les autres ou mieux, qu’elle nous entraîne à riposter. Daesh rêve de voir les occidentaux revenir au Moyen-Orient et croit pouvoir soulever tous les musulmans contre eux.
En quoi ça va les aider ?
Ils jouent la carte du choc des civilisations. C’est une secte qui s’appuie sur l’islam radical et veut convaincre les musulmans sunnites de rejoindre la lutte contre les chiites et l’occident. En proclamant le califat, ils tentent de séduire les nostalgiques de l’âge d’or musulman : attaquer le califat peut décider ceux qui vivent en occident sans se sentir intégrés et ceux qui rejettent simplement l’impérialisme occidental à rejoindre la lutte. Enfin ça c’est sur le papier. Dans la pratique, je pense que leurs ambitions sont loin d’être religieuses et servent plutôt des intérêts privés. Reste à découvrir lesquels.
S’ils sont dangereux, pourquoi ne pas les avoir éliminés avant ?
Car personne n’en avait vraiment les moyens ni l’envie.
Obama a été élu pour terminer les guerres d’Afghanistan et d’Iraq, pas pour y retourner. L’armée britannique est aux fraises après dix ans de guerre et incapable d’intervenir seule. La France est déjà en Afrique et la rigueur économique complique le déblocage des moyens supplémentaires. Et puis surtout les occidentaux ont longtemps considéré que Bachar était l’ennemi number one, jusqu’à ce que Daesh commence à tuer des otages et des civils dans des attentats.
Ensuite, il y a trop d’intérêts contradictoires : les alliés de l’occident, la Turquie et l’Arabie Saoudite, sans oublier Israël, détestent Bachar et l’Iran. Détruire Daesh, c’est donner l’avantage au dictateur et aux chiites. Pour l’Iran et la Russie, la logique est différente : plus Daesh est menaçant, plus les occidentaux ont besoin d’eux et de Bachar pour régler le problème et sont prêts à faire des concessions : l’Ukraine, les embargos contre les deux pays, le nucléaire iranien, la survie du régime de Bachar…
Enfin, certains pays ont des liens ambigus avec Daesh. Erdogan, le président turc, est bien content d’avoir Daesh à sa frontière qui lutte contre les Kurdes et leur projet d’indépendance. Du côté de l’Arabie Saoudite et du Qatar, certains « riches donateurs » n’hésitent pas à financer une organisation qui prône un islam proche du wahhabisme, le courant majoritaire de la péninsule arabique (mains coupées, droits des femmes bafoués, monuments dynamités, Daesh n’a rien inventé). Les Pays du Golfe sont d’ailleurs plus concentrés sur la guerre civile au Yémen que sur Daesh.
Il se passe quoi au Yémen ?
Une minorité chiite s’y bat depuis longtemps contre un gouvernement sunnite mais aussi des groupes djihadistes comme al-Qaïda en péninsule arabique (AQPA, ceux qui ont formé les frères Kouachi, auteurs de l’attentat contre Charlie). Ils sont soutenus par l’Iran. Les Pays du Golfe sunnites ont eux lancé une vaste opération pour soutenir le gouvernement et bombarder Sanaa, la capitale du pays aux mains des rebelles. En sept mois, on compte 5000 morts et près de 25 000 blessés, ainsi qu’une situation humanitaire catastrophique : Le Monde rapportait en août cette phrase du chef du Comité international de la Croix-Rouge, Peter Maurer : « Le Yémen, après cinq mois, ressemble à la Syrie après cinq ans. »
Après ces attentats, pourquoi est-ce qu’on ne recouvre pas simplement Daesh sous un tapis de bombe ?
Hmm… Parce qu’ils se cachent au milieu de la population, et que ça serait vraiment pas sympa pour elle. Ni pour les centaines de milliers de réfugiés qui aimeraient bien retourner chez eux plus tard. Enfin ça serait sans doute très mal perçu dans le reste du monde musulman, et on n’a vraiment pas besoin de ça. Néanmoins, il y a depuis les attentats une intensification des frappes contre l’organisation, du fait de la France et de la Russie notamment.
Vladimir Poutine vient seulement de reconnaître l’attentat à l’origine du crash de l’avion russe dans le Sinaï : il légitime ainsi auprès d’une opinion publique récalcitrante l’engagement en Syrie et a fortiori contre Daesh, alors que les rebelles syriens étaient principalement visés pour le moment.
La France était jusqu’à présent à l’origine de moins de 5% des frappes de la coalition contre Daesh depuis un an. Elle a renforcé également son action avec une quarantaine de bombes larguées ce week-end, soit autant qu’en plusieurs mois d’intervention « normale ».
Et pourquoi ne pas y aller à pied nettoyer ça à l’ancienne ?
Parce que ça semblait aussi une bonne idée en Afghanistan, et faute de soutien local, on a vu le résultat : une décennie de guerre, et les talibans sont toujours là. C’est ce que veut Daesh, alors avant d’y aller, il faut savoir qui y va et qui nous aide une fois là-bas.
En effet, les raids aériens coûtent chers (plusieurs dizaines de millions de dollars tous les jours), mais permettent de limiter les pertes. Sauf qu’ils sont insuffisants : dans une logique d’usure, on ne cible que les grosses infrastructures, laissant aux djihadistes le temps de s’adapter et de riposter. Pour être vraiment efficace, il faut avoir des infos qui viennent directement du sol afin de guider les frappes ou d’indiquer par exemple des mouvements de troupes. Les occidentaux ont déjà déployé des forces spéciales, surtout en Iraq. Mais le plus efficace serait de coordonner les frappes aériennes avec une offensive terrestre. Et aux commandos, faut pas trop leur en demander non plus.
Sur qui peut-on s’appuyer pour une offensive terrestre ?
En Syrie, éliminons d’office les rebelles syriens : mal formés, trop divisés entre modérés (par exemple l’armée syrienne libre) et islamistes (des dizaines de groupes dont al-Qaïda, qui s’allient aux modérés ou à Daesh selon le moment et l’endroit). Difficile aussi de s’appuyer sur l’armée syrienne de Bachar sans passer pour des trompettes et des faux-culs. En Irak, la faiblesse de l’armée gouvernementale, qui a notamment abandonné Mossoul l’an passé sans combattre, ne plaide pas en sa faveur. Enfin impossible de s’associer aux milices chiites financées par l’Iran pour soutenir Bagdad et qui mêlent autant des types venus défendre leur pays que des fous furieux qui veulent se venger des sunnites et aller reprendre La Mecque s’il le faut. Les Saoudiens feraient la gueule.
La solution la plus logique serait de s’appuyer sur un membre historique de l’OTAN, qui a l’une des plus grosses armées terrestre de la région et qui accueille déjà des millions de réfugiés syriens : la Turquie. Mais bon, on attend toujours le déploiement de l’armée turque de l’autre côté de la frontière pour créer une zone de sécurité, comme l’avait évoqué Erdogan quand il s’est enfin décidé à « frapper » Daesh cet été. Elle devait permettre de couper le ravitaillement aux djihadistes et de ramener les réfugiés en Syrie. La reprise des hostilités avec les Kurdes a gelé le projet.
Reste donc les Kurdes. Ah les Kurdes. Mais si, ceux que tout le monde admirait quand ils se battaient à Kobané et qui se font aujourd’hui bombarder par les Turcs en toute décontraction de notre côté.
C’est quoi le problème avec les Kurdes ?
La version courte, c’est qu’ils sont sans doute les partenaires les plus fiables des occidentaux, mais qu’ils se verraient bien profiter du chaos ambiant pour fonder leur propre pays. Et ça, l’Iran et surtout la Turquie ne le permettront jamais.
La version longue
Les Kurdes illustrent à eux seuls la complexité géopolitique de la région.Depuis la fin de la Première guerre mondiale et l’échec de la création d’un Kurdistan, les frontières ont séparé ce peuple millénaire entre la Turquie, l’Iran, l’Iraq et la Syrie. Quand les Américains battent Saddam, ils donnent aux Kurdes d’Iraq des moyens et un semblant d’autonomie.Ce sont les Peshmergas, et ils sont pour l’instant les seuls à réussir à contenir Daesh dans le nord de l’Iraq. Comme les Kurdes de Turquie et d’Iran, ils aident les Kurdes syriens à résister eux-aussi.
Ce sont donc les meilleurs combattants sur le terrain, et en plus ils entretiennent d’assez bonnes relations avec les occidentaux, qui fournissent les armes et la formation. Alors où est le problème ?
Le problème c’est que les Kurdes profitent de la situation pour transformer en Irak et en Syrie une autonomie de principe en une indépendance de fait. L’Iraq et la Syrie n’y peuvent pas grand chose, mais ça fait grincer des dents en Iran et surtout en Turquie, qui stressent pour leur propre intégrité. Au-delà de cette opposition avec deux des principaux acteurs du conflits et potentiels partenaires de la coalition, se pose aussi le problème des territoires non kurdes, où ces derniers n’ont aucun intérêt à aller se battre.
Ah ouais c’est bien prise de tête tout ça. Du coup on fait comment ?
Et ben j’imagine que vu que c’est très compliqué, on va simplifier les choses. Bachar est au centre du problème puisque c’est lui qui empêche pour l’instant la mise en place d’une grande coalition entre Occidentaux, Turcs et Pays du Golfe d’un côté et l’Iran et la Russie d’un autre.
Donc pour l’instant, on va faire comme si Bachar n’existait plus, mettre de côté le fait qu’il massacre les sunnites syriens et qu’il doit quitter le pouvoir pour ne pas froisser les Russes et les Iraniens, lesquels se feront un plaisir de taper Daesh avec nous. Et pour ce qui est des Turcs et des Pays du Golfe et bien… il est temps de se poser quelques questions : s’ils favorisent leurs propres intérêts, peut-être faut-il en faire de même.
Bon, on élimine Daesh, et après ?
Voilà la question ultime, dont l’absence de réponse explique notre temps de réaction. En plus de la lutte sur le terrain, il faut détruire Daesh en tant qu’organisation internationale qui a accumulé assez de fonds pour poursuivre son action, à la manière d’al-Qaïda après la chute des Talibans. Et une fois Daesh détruit ou chassé, qui pour administrer les zones sunnites de Syrie et d’Iraq ? Le droit international voudrait que ce soit Damas et Bagdad, les autorités légales. Mais la fracture entre sunnite et les chiites au pouvoir est sans doute trop grave après des années de conflit et une guerre civile syrienne qui a fait déjà 250 000 morts.
Dans un cadre fédéral, on pourrait donner le pouvoir aux tribus sunnites, les seules qui ont encore un semblant de légitimité auprès de la population. Mais peut-être qu’elles sont déjà trop compromises avec Daesh, pour qui elles administrent les zones rurales. De plus l’expérience irakienne a déjà tourné au fiasco après le départ des occidentaux. Dans la même idée, la création d’un Kurdistan est aussi difficilement envisageable vis-à-vis de la Turquie, même si il y a une continuité territoriale entre le nord de la Syrie et de l’Irak et que les occidentaux auraient ainsi un allié plutôt solide dans la région.
Bref on ne peut pour l’instant que supposer, même si j’ai ma petite idée : il faudra bien qu’un jour les réfugiés syriens rentrent chez eux, du moins une partie. Or avant que Daesh ne soit éliminé, on a largement le temps de sélectionner et de former une nouvelle génération de cadres sunnites fiables, qui auront leur mot à dire dans une Syrie post-Bachar el-Assad.
Reste un dernier problème : comment en finir avec l’idéologie djihadiste ? Car vaincre Daesh en Syrie et en Iraq n’y suffira pas.
Vous vous intéressez à l’État islamique ? C’est bien. Ça en vaut la peine, surtout lorsque ses membres nous attaquent aussi atrocement que ce 13 novembre, et que de nombreuses décisions – d’abord la surveillance de votre activité en ligne, désormais l’état d’urgence– découlent directement des actes de cette organisation terroriste.
Accessoirement, vous pouvez aussi être choqués par les centaines de milliers de victimes de la guerre civile en Syrie. Merci l’ONU. Mais avec Daesh, oubliez tout ce qu’une décennie de lutte contre le terrorisme vous a appris sur ce type d’organisation.
L’État islamique, alias Daesh, est une organisation terroriste dans le sens où ses membres utilisent la terreur pour imposer leur idéologie: ils ont recours aux meurtres aveugles d’opposants ou aux exécutions scénarisées d’otages occidentaux, au viol, à l’esclavage… Les actions les plus retentissantes sont les attentats, quotidiens à Bagdad, exceptionnels en Occident.
On doit par exemple aux djihadistes :
La vague d’attentats qui a frappé la France, la Tunisie ou la Turquie cette année.
Les attaques en Égypte, dont le crash d’un avion russe, mais aussi au Liban, au Yémen et au Pakistan.
Les massacres à l’encontre des chiites et yézidis capturés ainsi que des tribus sunnites qui refusent la domination de Daesh.
Les opposants, otages, homosexuels, etc. assassinés au sein de la zone contrôlée par les djihadistes.
Son idéologie est simple : mener le djihad armé contre les Occidentaux et les musulmans chiites et imposer la charia aux musulmans sunnites. Tout traduit chez eux une lecture rigoriste et totalement anachronique des textes de l’islam. Le djihad est implacable : les gens du livre (chrétiens, juifs) doivent payer ou se convertir. Les autres (chiites, yézidis) doivent se convertir – dans de rares cas – ou mourir. Proche du wahhabisme, vision salafiste qui prône un retour à « l’islam des ancêtres », cette idéologie justifie la refondation, contestée dans le monde musulman, du califat.
Quelles différences entre Musulmans Chiites et Sunnites?
Après la mort du prophète Mahomet en 632, les musulmans se divisent sur la question du successeur le plus légitime pour guider la communauté des croyants (Mahomet n’avait pas donné d’indications et il n’avait pas de fils vivant pour lui succéder légitimement) :
Les futurs sunnites pensent que c’est à une élite d’élire le futur guide des croyants. Ils désignent Abou Bakr, fidèle compagnon du prophète, comme premier calife de l’Islam. Le calife n’est cependant pas investi de la parole divine. En effet pour les sunnites, le Coran est une oeuvre divine qui se suffit à elle-même et la tâche du calife est uniquement de guider les croyants vers Allah par la prière.
Les futurs chiites pensent que les hommes n’ont pas le droit de désigner un leader de l’Islam, la décision revient à Dieu et comme Mahomet fut le seul prophète envoyé par Dieu, le nouveau leader de l’Islam ne peut que faire partie de la famille du prophète. Ils reconnaissent donc comme successeur le cousin de Mahomet, Ali ibn Abi Talib. Ce dernier est considéré comme investi de la parole divine.
La division entre ces deux branches est totale depuis le règne d’Ali, finalement quatrième et dernier calife de l’islam unifié entre 656 et 661.
Pour imposer cette idéologie, Daesh s’est développé là où l’instabilité politique est le terreau de l’extrémisme : Afghanistan, Somalie, Libye et bien sûr depuis l’intervention américaine et les printemps arabes, l’Irak et la Syrie. Deux régions aussi marquées par les tensions religieuses, les chiites étant au pouvoir. Persécutés, les sunnites sont d’autant plus réceptifs aux arguments de Daesh : l’ordre pour les sunnites, la mort pour les chiites.
Une armée, un territoireUne administration et des servicesDes moyens financiersUne géopolitique
Daesh contrôle près de 230 000 kilomètres carrés (autant que la Grande-Bretagne) soit la moitié de la Syrie et un tiers de l’Irak. La conquête d’un tel territoire – et la lutte contre deux armées nationales – nécessite de disposer d’une armée. Daesh comprend entre 30 000 et 50 000 djihadistes – 100 000 pour les estimations les plus hautes – bien entraînés, équipés et endoctrinés. Mais tous ne combattent pas : ils assurent l’ordre, l’approvisionnement, le respect de la charia, la propagande de l’organisation.
Il existe des services qui font de Daesh un « proto-État ». Au-delà des opérations militaires, il faut bien gérer l’approvisionnement et la vie quotidienne des troupes et des 5 à 10 millions de civils qui sont sous la coupe de l’organisation. Les djihadistes sont payés et reçoivent une maison et des femmes afin de préparer la prochaine génération de combattants. Les enfants vont à l’école et apprennent à se battre. Une véritable administration, sous la tutelle d’un gouvernement, assure la gestion des hôpitaux, des transports publics, des distributions de nourriture… Mais bien sûr, aucun autre État ne reconnaît l’État islamique en tant que tel.
Pour entretenir son « État », Daesh doit compter sur des ressources stables. En juin dernier, la prise de Mossoul, deuxième ville d’Irak, lui a assuré un butin de plusieurs centaines de millions de dollars. Les ressources en énergie fossile et en phosphate, l’agriculture, la vente d’œuvres d’art mais surtout l’argent extorqué aux habitants, aux commerces, aux transporteurs en transit et aux familles des captifs, sans oublier les dons, lui assurent 2,4 milliards d’euros de gains annuels.
Daesh a de quoi financer sa stratégie géopolitique : abattre les frontières entre Syrie et Irak, créées par les Occidentaux après la Grande Guerre, pour établir un « Sunnistan / Jihadistan » ; poursuivre son extension dans le monde arabe, là où le terrain est propice ; menacer l’Occident, en divisant et endoctrinant ses ressortissants, en visant ses intérêts, en poussant les migrants dans ses bras. Tout est fait pour précipiter le retour des Occidentaux et provoquer une étincelle dans la poudrière moyen-orientale.
Une marque qui s'exporteAtypique et contradictoire
En économie, Daesh pourrait être comparé à un conglomérat multinational : ses activités sont variées, des hydrocarbures au commerce d’art. Ses interlocuteurs, comme ses cadres, viennent de tous les horizons : du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Europe, d’Asie et même d’Amérique et d’Océanie. Sa « marque », boostée par le « label » califat, connaît un grand succès sur les réseaux sociaux, les retombées dans la presse sont importantes et attirent de plus en plus de « franchisés » potentiels : Libye, Yémen, Pakistan, Somalie et Nigéria…
L’État islamique permet à des groupes comme Boko-Haram d’agir en son nom, à condition qu’ils adoptent leur couleur, leurs méthodes (façon d’exécuter, attentats…) et produisent des contenus de la même qualité. Des instructeurs sont même dépêchés sur place pour assurer la formation de ces nouvelles filiales, qui profitent de la notoriété de l’organisation pour attirer les dons et les nouvelles recrues ou encore pour négocier à la hausse le prix des otages.
C’est cette dimension médiatique et économique qui fait la grande nouveauté de Daesh. Tout comme ses contradictions : à la fois groupe le plus fondamentaliste, par son interprétation du Coran et la remise en place du califat, et le plus ouvert sur l’Occident, ses ressortissants et ses technologies. Il prône la lutte contre les chiites et l’Occident, pourtant ce sont les sunnites qui sont ses principales victimes.
Son idéologie, proche du wahhabisme d’Arabie Saoudite – très stricts, les Saoudiens vont jusqu’à recouvrir de béton les tombeaux de la famille de Mahomet pour éviter l’idolâtrie – préconise la destruction des lieux de culte et des objets jugés déviants. Mais elle s’efface bien vite devant les euros et les dollars que des collectionneurs peu scrupuleux déboursent pour s’offrir ces pièces d’exception.
Une secte ?
Un lavage de cerveauDes personnes déboussolées
Tous les membres de Daesh sont fanatisés, apprennent par cœur la propagande de l’organisation et les textes religieux. Tous sont capables de réciter des imprécations envers les autres musulmans et des menaces contre l’Occident. Ils utilisent des phrases chocs, tant dans les vidéos que dans les conversations en ligne qu’ils ont avec des candidats au djihad. La folie de Daesh pousse ses membres jusqu’à organiser des concours de récitations des versets les plus violents du Coran : des esclaves sont offertes au gagnant.
Les motivations de ses membres sont aussi variées que contradictoires : des Syriens issus de la révolution contre le régime de Bachar qui s’allient à l’État islamique faute de mieux ; des convertis occidentaux qui partent dans une aventure fantasmée sans jamais avoir mis les pieds dans une mosquée ; des djihadistes proches des mercenaires, qui vivent au gré des conflits, du Pakistan au Sahel ; des musulmans radicalisés par des prêcheurs financés à coup de pétrodollars et qui font plus dans la géopolitique que dans le religieux.
Des gens perdus dans un monde où le progrès des nouvelles technologies rend d’autant plus visibles et insupportables ses inégalités ; où la diffusion des « valeurs » occidentales, émancipatrices et individualistes, brouille les rapports ancestraux à la culture et à la communauté ; et où pourtant, la démocratie, si valorisée en Occident, reste la tyrannie ailleurs. Tyrannie religieuse, tyrannie politique, tyrannie économique : chacun trouvera une raison, bonne ou mauvaise, de s’indigner et de rejoindre une organisation qui prend l’aspect d’une secte mais cache le cancer de notre société.
Pour creuser la question :
Daesh, ni terroriste, ni étatique, ni sectaire ?
Une fois ce constat établi, peut-on pour autant définir avec certitude ce qu’est Daesh ? Non.
Est-ce plus une organisation terroriste ou une secte qui veut imposer son idéologie ? Une organisation étatique ou une « marque », dont les membres ne cherchent que l’argent facile et le pouvoir sur un territoire ? Rien de tout ça ?
Ce que vous venez de lire n’est que la formulation d’hypothèses, une grille de lecture simplifiée, construite d’après les informations qui ressortent de l’activité et du territoire de l’organisation. En réalité, il est très difficile de cerner les intentions de l’EI.
D’après l’expert Xavier Raufer, interviewé par France Info après le 13 novembre, personne n’est capable de définir ce qu’est Daesh : parmi les dizaines de dirigeants de l’organisation islamiste identifiés par les Occidentaux, aucun n’est un « islamiste » pur souche, qui a fait par exemple l’Afghanistan ou a écrit des textes religieux (le « calife » de Daesh, Abu Bakr al-Baghdadi, est bien docteur en théologie, mais il a fait ses études par défaut après avoir été rejeté de l’armée irakienne et de la fac de droit, ndlr). Au contraire, une majorité d’entre eux est issue des cadres du régime de Saddam Hussein, laïques qui buvaient volontiers un petit rouge au repas.
L’expert n’hésite pas à désigner l’organisation comme une armée mercenaire, dont l’aspect religieux n’est qu’un prétexte : ils déclarent faire la guerre aux chiites, mais affrontent très peu le régime de Bachar el-Assad et se contentent de lutter contre les rebelles syriens, les tribus sunnites indépendantes ou les minorités comme les yézidis, bref des gens qui a priori s’opposent aussi à Bachar ou au gouvernement chiite d’Irak…
Derrière un mercenaire, il y a un commanditaire. Difficile de dire, dans le foutoir géopolitique qu’est le Moyen-Orient, pour qui roule Daesh selon Xavier Raufer.
Quelles différences avec al-Qaïda ?
Jusqu’ici, Daesh ne se démarque pas tellement de notre référence à tous en matière de terroristes se revendiquant de l’islam : al-Qaïda. Présent dans chaque région où le djihad est possible (Afghanistan, son berceau, mais aussi dans le Sahara avec AQMI, au Yémen avec AQPA ou en Syrie avec le Front al-Nosra), l’organisation d’Oussama Ben Laden prône le djihad contre l’Occident et est responsable des attentats les plus meurtriers de notre époque, à commencer par l’attaque du World Trade Center.
Pas étonnant qu’avant de devenir Daesh, l’État islamique se nommait al-Qaïda en Irak et luttait contre les Occidentaux qui avaient mis fin au régime de Saddam. Mais en 2011, les Américains laissent les clefs du pays aux chiites et relâchent de nombreux djihadistes et d’anciens officiers sunnites de Saddam. La même année, la guerre civile éclate en Syrie où le régime alaouite de Bachar (chiite) bombarde la majorité sunnite du nord du pays.
Daesh diffère alors d’al-Qaïda. Le djihad s’oriente contre les chiites et se structure grâce aux anciens militaires irakiens qui aimeraient reprendre le contrôle du pays, ou du moins créer un pays pour les Arabes sunnites encerclés par « l’arc chiite » : Iran, Irak, Syrie, Liban. La stratégie de Bachar el-Assad en Syrie est une aubaine : il libère des djihadistes et encourage les sunnites à prendre les armes contre lui afin de légitimer la répression. Son armée défend au maximum le sud du pays, chiite et chrétien, et délaisse le nord sunnite. Plus les terroristes sont forts, plus son régime devient indispensable pour lutter contre eux et a des chances de s’entendre avec les Occidentaux.
L’armée et le pays dont rêve Daesh sont en gestation.
Quelles différences avec les Talibans ?
Là-aussi, la description que je viens de faire de Daesh pourrait rappeler celle des Talibans. Je suis certain que vous saurez décrire dans les grandes lignes qui ils sont : des alliés d’al-Qaïda qui faisaient régner la charia en Afghanistan jusqu’à l’intervention américaine en 2001. Mais saviez-vous que les Talibans étaient plus reliés entre eux par des convictions théologiques que par des liens ethniques ou géographiques ?
Menés par le fameux mollah Omar, ils se répandent dans les écoles coraniques de l’est de l’Afghanistan et l’ouest du Pakistan au début des années 90. Ils profitent à cette époque de l’instabilité politique et des luttes entre anciens moudjahidines – ceux qui s’opposaient aux Soviétiques jusqu’en 1989 – pour le pouvoir en Afghanistan pour s’en emparer. De 1996 à 2001, ils proclament un Émirat islamique et contrôlent l’ensemble du pays, à l’exception du nord tenu par les hommes du fameux commandant Massoud, assassiné quelques jours avant le 11 septembre.
Mais, même s’ils ont été reconnus par d’autres États – contrairement à Daesh – et font régner la charia, les Talibans n’ont jamais mis en place une administration aussi performante, ni profité d’une manne financière aussi importante que Daesh. Leurs hommes n’ont jamais été aussi bien équipés et ils n’ont affronté que des milices qui l’étaient encore moins, quand Daesh lutte contre de vraies armées. Enfin, l’influence des Talibans n’a jamais dépassé le monde musulman. C’est là la force de Daesh : allier la notoriété d’une « marque » comme al-Qaïda à l’assise territoriale des Talibans, en menant le tout bien plus loin que ce que ses prédécesseurs avaient été capables de faire.
État islamique, EI, EIIL, Daesh : comment nommer l'organisation ?
Toutes ces appellations se valent, elles veulent toutes dire la même chose. L’État islamique en Irak et au Levant s’appelle simplement l’État islamique depuis la proclamation du califat. L’organisation veut montrer sa vocation internationale, qui ne se limite pas à l’Irak et au Levant (Syrie, Liban, Israël) depuis l’allégeance de groupes africains.
EI et EIIL sont des acronymes, tout comme Daesh, traduction d’EIIL (ad-Dawla Al-islamiya fi’l Iraq wash Sham) en arabe. Mais contrairement à ses équivalents occidentaux, l’expression « Daesh » a pris une tournure très péjorative dans le monde musulman. Selon Europe 1 et Romain Caillet, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, elle a « une prononciation particulièrement repoussante, très gutturale ». Pour Wassim Nasr, journaliste de France 24, Daesh sonne comme d’autres mots arabes qui signifient « celui qui écrase », « tumeur sous l’ongle » ou qui rappellent une période sombre de l’islam, celle du schisme entre sunnites et chiites.
Les djihadistes punissent tous ceux qui osent utiliser ce nom. « Le terme « Da’ech »n’est pas péjoratif en soi, il l’est devenu en raison du contenu qu’on lui associe: les exactions, les exécutions, les offensives, etc. », explique Myriam Benraad, une politologue spécialiste de l’islam, à Slate.
Au contraire, État islamique donne une connotation positive à l’organisation, alors que nombreux sont ceux à ne la considérer ni comme un État légitime, ni comme une forme d’organisation relevant de l’islam. Les djihadistes essayent de se donner une véritable légitimité : « ils sont dans une logique de pureté de la langue. Leurs communiqués sont écrits dans un arabe parfait et donc choisi et sans faute, ce qui leur permet d’affirmer leur identité et de recruter plus. Ils n’utilisent donc pas cet acronyme » rappelle Myriam Benraad.