Vous savez sûrement que l’Afrique de l’Ouest connait actuellement la pire épidémie du virus Ebola de l’histoire. Cependant, plusieurs éléments ne sont pas assez mis en avant par la presse grand public selon nous. On vous récapitule tout ce qui s’est passé et que vous devez savoir pour avoir votre propre avis sur ce sujet.
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On ne s’étendra pas longtemps sur le traitement médiatique de l’épidémie : certains trouvent que c’est trop, d’autres pas assez. Pour être concis, oui, Ebola n’a fait officiellement « qu’un peu plus » de 3000 morts, et on devrait accorder autant d’importance aux millions de victimes annuelles du paludisme, de la pneumonie et des diarrhées qui sévissent en Afrique. Mais les causes, la réalité et les conséquences de l’épidémie actuelle justifient une telle exposition. Mieux, cette mise en avant devrait également bénéficier à la lutte contre l’horrible liste de maladies que je viens de citer.
Ce qui m’interpelle, c’est plus le ton employé lorsque l’on parle d’Ebola. Je ne sais pas si le fait d’être à l’époque plus jeune a son importance, mais je me souviens de l’angoisse, voire l’hystérie, qui était palpable lorsqu’on évoquait la maladie de la vache folle, la grippe aviaire ou plus récemment la grippe H1N1 dans les médias. Avec Ebola, la presse fait moins dans le sensationnel et l’alarmisme. Par contre, rien ne justifie un traitement aseptisé et superficiel de l’épidémie.
Ebola est bien plus grave que H1N1 et ces autres maladies qui nous effrayaient auparavant.
C’est pourquoi je veux évoquer ici plusieurs points :
- l’atrocité de cette crise sur le plan humain. Avec le décompte des victimes, c’est l’angle d’attaque le plus courant que j’ai observé. Même Obama l’a évoqué. Il est cependant essentiel pour comprendre la nature de ce qui se trame là-bas.
- L’enchaînement catastrophique des événements, qui est assez difficile à imaginer si on ne suit pas régulièrement l’actualité.
- Les graves conséquences de cette épidémie pour les pays touchés, qui ne sont quasiment pas abordées.
La pire épidémie du virus Ebola de l’histoire
Ebola tire son nom d’une rivière de la République Démocratique du Congo, a.k.a Congo-Kinshasa ou Zaïre pour les initiés et les fans de Youssoupha. C’est là qu’a eu lieu la première épidémie en 1976. C’est aussi le théâtre, avec le Soudan, de la plupart des épidémies qui se sont déclarées jusqu’à aujourd’hui. Mieux que des mots, cette infographie réalisée par le site Vox, d’où je tiens pas mal des infos et des chiffres utilisés ici, vous montre bien en quoi cette épidémie est unique :
Avant 2014, Ebola avait fait environ 1600 victimes officielles. Rien que cette année, selon les derniers chiffres de l’OMS (l’Organisation Mondiale de la Santé, pas l’Office Municipale des Sports) on a franchi le cap des 3300 morts pour près de 7200 cas. On y reviendra, mais ces chiffres ne valent pas grand-chose : la vérité, c’est que personne n’a aucune idée de l’ampleur réelle de l’épidémie qui touche l’Afrique de l’Ouest.
Selon les chiffres officiels donc, l’année 2014 a été deux fois plus meurtrière que les 38 années précédentes. Qu’est-ce qui a changé ? Pas la maladie.
La « fièvre hémorragique » Ebola est une vicieuse, mais c’est toujours la même. Elle se transmet à l’origine via les animaux comme les singes ou les chauves-souris, morts ou vivants. Ses symptômes sont la fatigue, les maux de tête, la fièvre, les douleurs musculaires, les vomissements et la diarrhée. Ils peuvent se déclarer jusqu’à trois semaines après la contamination et leur apparition rend le malade contagieux à son tour. Dans un cas sur deux – où une majorité selon les articles – la victime saigne par le nez, la bouche, les selles… Une extrême déshydratation et la formation de caillots sanguins entraînent la chute de la pression artérielle, l’arrêt d’organes vitaux et la mort. Cela arrive généralement dans les cinq jours après l’apparition des premiers symptômes.
C’était vrai en 1976, ça l’est toujours aujourd’hui pour cette souche particulière du virus. Car un autre foyer d’infection issu d’une souche différente d’Ebola se trouve actuellement au Congo. Il a fait environ 70 victimes mais vient d’être maîtrisé par les autorités.
Voilà, on y est. Ce qui a changé et ce qui est dramatique dans toute cette histoire, c’est qu’Ebola a frappé là où l’on ne s’y attendait pas. D’habitude, lorsqu’une épidémie du virus Ebola se déclare, comme ce fut le cas à proximité du Congo des dizaines de fois (cf infographie), les autorités savent réagir : elles connaissent les symptômes, savent qu’il faut mettre la zone sous quarantaine, répertorier les malades et les accompagner, rechercher les personnes qui ont eu des contacts avec eux et les placer sous observation. Bon, ça ne sauve pas les malades, mais ça évite que l’épidémie ne se propage.
Ebola a frappé au plus mauvais endroit, là où personne ne l’attendait
Ici, les choses sont bien différentes. L’épidémie débute entre décembre 2013 et janvier 2014 à Guéckédou, une localité majeure du sud de la Guinée, proche à la fois du Libéria et du Sierra Leone. Autant dire que les choses ne commencent pas bien : beaucoup de monde y transite et le fait que trois pays soient concernés réduit les chances d’une réponse organisée.
La région n’a jamais rencontré Ebola, mais elle connaît bien d’autres maladies, comme la grippe et le paludisme. Malheureusement, les mêmes symptômes apparaissent dans les trois situations et les premières victimes sont passées inaperçues. Les médecins ne prennent pas de précautions particulières et sont eux-aussi contaminés. Début mars, les services de santé de Guéckédou alertent les autorités guinéennes et Médecins Sans Frontières (MSF).
Il est alors difficile de se faire une idée de l’ampleur de l’épidémie à cause de la rareté et l’inexpérience des labos locaux et du mauvais état des routes, qui ralentit l’arrivée des échantillons. Il faut passer par des labos européens pour avoir la confirmation qu’Ebola est à l’œuvre. Entre-temps, la maladie peut se développer. Les victimes, qui vont chercher une assistance médicale dans les villes, y transmettent le virus. Lorsqu’Ebola est identifiée, elle est déjà à Conakry, la capitale de la Guinée (2 millions d’habitants).
Contrairement au Congo où elle frappe des villages isolés, Ebola se développe alors dans un univers urbain et surpeuplé. Autre problème, elle est très contagieuse.
En avril puis en mai, l’OMS confirme que l’épidémie s’est propagée au Libéria et en Sierra Leone. Enfin, le 18 juin, l’organisation se réveille et déclare l’état d’urgence. Le nombre de cas a plus que quadruplé et la maladie a déjà fait 500 victimes.
Oui, quelque chose a merdé. L’OMS n’a déclaré l’état d’urgence que cet été, cinq mois après le début de l’épidémie. Deux mois de plus ont été nécessaires pour qu’une intervention internationale se mette en place. Depuis, l’épidémie est hors de contrôle
Pour contenir la maladie, les services de santé doivent être mobilisés dès le départ. Informés et appuyés par les organismes internationaux, le Sénégal et le Nigéria ont réussi à contenir les débuts d’épidémies de cet été.
En Guinée, en Sierra Leone et au Libéria, personne n’était préparé. Pas assez de lits, pas assez d’ambulances, pas assez de matériel de protection pour les secours : au moins 200 médecins sont décédés depuis le début de l’épidémie. C’est dramatique dans une région qui n’en compte environ qu’un pour 6000 habitants.
Cette maladie ne laisse pas de place à la compassion et la population se méfie des secours
Face à la faiblesse du système de santé, les gens ne vont plus consulter et sont soignés par leurs proches. C’est là qu’Ebola montre sa nature profonde : cette maladie est une pute. Désolé d’être cru, mais ce passage est crucial pour comprendre la problématique Ebola. Autant qu’il soit impactant.
Et Dieu sait que les malades ont toutes les raisons de pleurer. Le taux de mortalité du virus oscille entre 70 et 90% à l’heure actuelle. Une fois que ses symptômes sont déclarés, un malade sait que s’il va à l’hôpital, il a toutes les chances de ne plus jamais revoir les siens et de mourir seul. Nombreux sont ceux qui préfèrent rester chez eux, condamnant par la même occasion leur famille, leurs amis, leurs voisins.
Même sans toucher directement le malade ou son cadavre, il suffit de manipuler un drap ou un verre avec lequel il a été en contact pour être contaminé. Les membres d’une même famille ne peuvent pas établir entre eux le protocole très strict normalement appliqué lors d’une quarantaine. Imaginez que c’est votre mère, votre femme ou votre sœur qui est malade ? Que feriez-vous ? Je ne prends pas ces exemples au hasard : au Libéria, 75% des victimes sont des femmes.
Comme le rappelle Barack Obama, Ebola nous dépouille de notre humanité : « elle change un simple acte d’amour et de compassion envers un proche, comme toucher la main d’un ami ou embrasser son enfant mourant, en acte potentiellement fatal pour vous… »
La plupart du temps d’ailleurs, lorsqu’une zone de quarantaine est mise en place, il y a pénurie de tout. Face à la croissance exponentielle du nombre de cas et à la pression des médias et des pays voisins, les autorités ont fait boucler des zones par l’armée sans s’assurer que les stocks de vivres ou de médicaments étaient suffisants. Les conditions de vie dans ces zones se sont dégradées avec l’apparition de la famine et la recrudescence d’autres maladies, alors que les médecins sont concentrés sur Ebola. Selon Joanne Liu, la présidente de MSF, difficile de savoir qui meurt d’Ebola, du paludisme ou d’autre chose.
Bien plus de victimes que les chiffres officiels : seuls 18% des malades sont pris en charge
Des malades préfèrent s’enfuir de ces mouroirs et errent dans la rue, provoquant parfois des mouvements de panique comme cet été sur un marché de Monrovia. J’avais déjà utilisé ce reportage dans un précédent article. Je viens d’ailleurs de remarquer en le matant une nouvelle fois qu’un médecin s’éclate littéralement la gueule à la fin de la vidéo en tombant d’un 4×4.
La plupart des chiffres donnés sur Ebola ne correspondent pas à la réalité. Les 7200 personnes contaminées ne sont que celles prises en charge dans les hôpitaux et les dispensaires. L’American Centers for Disease Control and Prevention (CDC), considère que ce chiffre ne correspond en réalité qu’à 18% des malades… Pour contenir une épidémie, il faudrait qu’au moins 70% des victimes soient prises en charge.
Voilà pourquoi le virus Ebola se développe si vite : selon le New England Journal of Medicine, le nombre de cas double tous les 16 jours en Guinée, tous les 24 jours au Libéria, le pays le plus touché, et tous les 30 jours en Sierra Leone.
Pour l’OMS, qui se base sur les chiffres officiels, 20 000 personnes pourraient être touchées en novembre. Avec les chiffres officieux, on peut facilement atteindre les 100 000 cas. Pour lutter efficacement contre Ebola, un contingent de 20 000 hommes serait nécessaire, de préférence des militaires. Les Américains viennent d’en envoyer 3000. Encore insuffisant.
Dorénavant, certains experts pensent que la réponse ne doit plus seulement être médicale. Le professeur Peter Piot, co-découvreur du virus en 1976, parle d’une crise humanitaire globale : « Désormais, la réponse à la situation ne doit plus être du seul ressort de la médecine. Parallèlement à la militarisation de l’action médicale, il faut élargir la mobilisation internationale et onusienne, inclure le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) et le Programme alimentaire mondial (PAM) » explique-t-il à Slate.fr.
Car désormais, les conséquences sur le long terme pour les trois pays touchés apparaissent. On espère que l’envoi massif de matériel va permettre un meilleur accueil des malades et empêchera la propagation d’autres maladies dans la population saine. Mais il faudra également répondre au défi alimentaire, alors que de nombreux agriculteurs sont morts dans les campagnes et qu’il n’y a pas eu de récolte cette année. Les champs sont laissés en jachère, et rien ne dit qu’ils seront travaillés l’an prochain. Plus généralement, tous les pans de la société sont touchés, de l’économie à l’éducation. Des milliers d’orphelins doivent déjà être pris en charge.
L’Occident doit être vigilant
Dommage, car des pays comme la Sierra Leone (+13,3%) et le Libéria (+8,1%) avaient respectivement la deuxième et la onzième plus forte croissance économique au monde. À défaut d’avoir rapidement été prise en charge, cette épidémie va maintenant coûter très cher si l’on veut que ces pays reprennent le chemin du développement.
Ebola devrait nous mobiliser pour que des traitements soient développés afin d’endiguer efficacement les maladies qui ravagent l’Afrique. Pendant la quarantaine d’année où elle est restée confinée au Congo ou au Soudan et faisait épisodiquement quelques centaines de morts, les labos ne se sont pas assez intéressés au développement d’un remède. Les recherches coûtent beaucoup d’argent et les investissements ne vont que vers celles ayant des débouchés concrets. Devant l’ampleur du désastre et les premières contaminations d’Occidentaux, c’est maintenant le cas.
Les recherches vont être d’autant plus encouragées que la possibilité de voir Ebola dans les pays développés s’est accrue. Jusqu’ici, l’épidémie avait peu de chances de quitter la zone actuellement touchée : les services de santé des pays frontaliers sont en alerte, les contrôles des passagers quittant le pays sont renforcés et les malades contagieux n’ont pas la force de se déplacer sur de grandes distances. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’une défaillance, comme le prouve le cas de Thomas Duncan, à l’origine du premier cas d’Ebola en dehors de l’Afrique.
Venu rendre visite à sa famille au Texas, l’homme n’avait pas indiqué avoir été au contact de gens contaminés lors de son départ de Monrovia le 19 septembre. C’était pourtant le cas. Les premiers symptômes se sont déclarés le 24 septembre. Le lendemain, l’hôpital de Dallas où Thomas vient consulter le renvoie chez ses proches avec de simples antibiotiques. Il y reviendra le 28 septembre dans un état critique, avant que le virus Ebola soit détecté deux jours plus tard. Au total, plus d’une centaine de personnes, dont 20 ont été en contact direct avec Thomas sont sous surveillance : la famille de la victime n’a ni respecté les premières mesures de confinement, ni pris de précautions avec ses affaires.
Ici, l’absence de symptômes avant le départ de Thomas, son ignorance et le manque de vigilance de ses proches et des services hospitaliers américains ont été déterminants. S’il ne faut pas céder à la panique, ce schéma peut toutefois se reproduire si l’épidémie d’Ebola n’est pas plus prise au sérieux. Heureusement, vous connaissez maintenant sérieusement le sujet.
Mise à jour du 07 octobre : le premier cas de transmission d’Ebola en Europe vient d’être confirmé. La victime est une infirmière espagnole qui avait soigné deux de ses compatriotes, des missionnaires infectés alors qu’ils combattaient l’épidémie en Afrique de l’Ouest et rapatriés en Espagne cet été. Bien qu’une extrême vigilance soit apportée au personnel médical qui soigne les malades rapatriés (j’espère que c’est également le cas pour la Française actuellement soignée) le risque qu’Ebola touche l’Europe et plus particulièrement la France est réel. Par ailleurs, le cas de l’infirmière espagnole laisse imaginer la difficulté des équipes qui travaillent en Afrique avec beaucoup moins de moyens.
Mise à jour du 14 octobre : Une infirmière américaine qui soignait Thomas Duncan à Dallas a également contracté le virus. Par ailleurs, un Soudanais employé de l’ONU ayant attrapé le virus Ebola au Liberia vient de décéder à Leipzig (Allemagne), où il était soigné.
C’est le deuxième pays européen où une victime d’Ebola meurt après l’Espagne et les décès de deux missionnaires cet été.