Disparu depuis plus d’un mois et demi, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un se serait à nouveau montré en public ce lundi 13 octobre selon l’agence de presse du régime. Une absence de plus de quarante jours qui, paradoxalement, n’a pas empêché le troisième « Kim » de faire parler de lui.

Maladie ? Coup d’État à son encontre ? Les hypothèses n’ont pas manqué du côté de la presse occidentale.

Kim is back !
Kim is back !

Qu’est-il arrivé à Kim Jong-un ?

Comme toujours avec la Corée du Nord, il est très difficile d’obtenir des informations fiables : les communications vers l’extérieur sont quasiment inexistantes et la mentalité coréenne, couplée à l’aspect totalitaire du régime, rend très difficile l’envoi ou le recrutement d’informateurs dans le pays.

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La « disparition » de Kim Jong-un a été remarquée fin-septembre, lorsque le jeune leader de 31 ans a battu son record d’absence (21 jours en 2013) et a raté l’un des événements politiques les plus importants du régime communiste, l’Assemblée populaire suprême.

Les apparitions publiques de Kim Jong-un depuis près de deux ans
Les apparitions publiques de Kim Jong-un depuis près de deux ans

Cette absence a ensuite particulièrement intéressé la presse lorsqu’une délégation nord-coréenne s’est rendue presque par surprise (elle n’a été annoncée que 24 heures à l’avance) le 4 octobre à la cérémonie de clôture des Jeux asiatiques qui se déroulaient en Corée du Sud.

Cette visite marque la reprise du dialogue entre les deux frères ennemis, sept mois après son interruption. Elle est aussi particulièrement symbolique puisqu’elle est menée par le vice-président de la Commission nationale de défense, le vice-maréchal Hwang Pyong-so, n°2 « officieux » du pays. Un poste auquel il a été nommé lors de la fameuse Assemblée suprême qu’a manqué le maréchal Kim Jong-un.

Alors qu’aucune rencontre au sommet n’avait eu lieu depuis 2009 et qu’aucun dirigeant nord-coréen aussi haut placé ne s’était rendu au sud depuis la guerre de Corée, le voyage du nouvel homme fort du régime au moment ou le leader reste invisible avait de quoi plaire à la presse.

On y reviendra, mais de nombreux titres ont même évoqué un coup d’État. Le 10 octobre, la nouvelle absence de Kim Jong-un aux célébrations du 69ème anniversaire de la création du Parti unique nord-coréen, chose inédite pour une cérémonie de premier plan, n’a fait qu’attiser les rumeurs.

L’explication à la longue absence de Kim Jong-un est pourtant connue depuis longtemps : le dirigeant est obèse. Il boit, fume et mange beaucoup trop. Kim Jong-un souffrirait depuis plusieurs mois (il a été vu boitant cet été, comme le montre la vidéo ci-dessous) de problèmes aux chevilles, de diabète ou encore de la goutte, une maladie qui se caractérise par une inflammation des articulations.

Opéré mi-septembre des chevilles par un médecin français, selon la presse sud-coréenne, il aurait eu du mal à se déplacer, d’où sont refus d’apparaître en public depuis le 3 septembre, date à laquelle il avait assisté à un concert de son groupe préféré. Les photos publiées par la presse nord-coréenne à l’occasion du retour du leader à la vie publique le montrent d’ailleurs en train d’utiliser une canne.

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Insuffisant toutefois pour faire taire les partisans du coup d’État, le premier d’entre eux étant Jang Jin-sung, un ancien porte-parole du général Kim Jong-il (le papa de Kim Jong-un, si vous n’avez pas cliqué sur l’encadré) exilé depuis une dizaine d’année à Séoul. Encore une fois, le manque de sources fiables fait que chacun peut dire ce qu’il veut sur la Corée du Nord sans que ce soit vérifié.

Le coup d’État : tentant mais impossible

Si la théorie du coup d’État a eu bonne presse, c’est qu’elle n’est pas totalement infondée. En effet, plusieurs éléments récents laissent penser qu’un changement pourrait avoir lieu à la tête du régime.

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Pour donner plus de crédibilité à l’hypothèse du coup d’État, on évoque aussi les difficultés qu’a Kim Jong Un à affermir son pouvoir : depuis 2011, il a remplacé près de la moitié des hauts dignitaires de l’armée. Ces quinze derniers mois, il a même changé trois fois son chef d’état-major. Son père en avait fait autant, mais en 17 ans de règne. Enfin, Kim Jong Un a condamné à mort son oncle Jang Song-taek l’an passé, l’accusant de vouloir prendre le pouvoir.

Dans ces conditions, une révolte mêlant militaires opprimés et anciens soutiens de Jang Song-taek semble crédible. Mais on peut lui opposer plusieurs arguments.

La venue, en plein changement de régime, d’une délégation aussi importante que celle qui s’est déplacée en Corée du Sud le 4 octobre est improbable. Les putschistes devraient au contraire affermir leur domination sur la capitale et les institutions du pays. Néanmoins, cet argument n’exclut pas une transition en douceur.

Le régime nord-coréen est tellement lié à la « dynastie de Paektu » mise en place par le grand-père de Kim Jong-un, le président Kim Il-sung, qu’il s’effondrerait sans un membre de la famille à sa tête. Dans le cadre de cette « transition en douceur », certains évoquent le rôle de la sœur cadette de Kim Jong-un, Kim Jong-yo, âgée de seulement 26 ans et qui serait désormais aux affaires. Cependant Kim Jong-yo est une proche collaboratrice de son frère et fut tout aussi active auprès de son père. Il n’y a rien d’étonnant à voir la sœur s’occuper des affaires courantes pendant la convalescence du frère.

Kim Il-sung (gauche) et son fils Kim Jong-il
Kim Il-sung (gauche) et son fils Kim Jong-il sont omniprésents en Corée du Nord

Le dernier élément qui laisse penser qu’aucun réel changement n’a lieu à la tête de la Corée du Nord, c’est l’absence de réaction de la Chine, de la Corée du Sud et ses alliés américains. La chute du dernier régime stalinien au monde aurait de graves conséquences pour ces pays : que faire d’une nation de 25 millions d’habitants fanatisés, qui possède la quatrième armée du monde et un stock impressionnant d’armes, dont probablement des têtes nucléaires ?

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Le régime actuel est très prévisible. Un changement soudain à sa tête ou même sont effondrement inquiéterait les pays voisins, qui auraient au minimum mis leurs armées en alerte. Or, il n’y a pour l’instant que la presse qui soit aux aguets.

La situation aurait pu changer la semaine dernière après des échanges de tirs entre le Nord et le Sud.

Le 7 octobre, un bateau sud-coréen a ouvert le feu sur une navette nord-coréenne qui s’introduisait dans ses eaux territoriales. Rien d’exceptionnel, alors qu’il y a régulièrement ce genre d’accrochage dans la zone. Ce n’est qu’un nouvel épisode de la « Guerre du Crabe » qui oppose les deux marines depuis 60 ans.

Plus rare, il y a eu des échanges de tirs entre des postes frontaliers le 10 octobre, alors que l’armée du nord essayait d’abattre des ballons dirigeables chargés de tracts et de dollars envoyés par des opposants depuis le sud. Pyongyang accuse Séoul d’encourager ces actions et il est très probable que la délégation envoyée aux Jeux asiatiques cherchait à s’assurer qu’un tel événement ne se produirait pas à l’occasion de l’anniversaire du Parti.

Pyongyang en a profité pour rompre les discussions ouvertes par la visite officielle du 4 octobre, mais aucun mouvement de troupes n’a été signalé depuis.

Pour résumer, Kim Jong-un semble donc toujours en vie et au pouvoir. L’armée, malgré la purge et une méfiance croissante, lui obéit toujours et la réouverture des discussions avec le sud n’est déjà plus d’actualité… Si vous comprenez la logique de tout ça, n’hésitez pas à laisser un commentaire.

Personnellement, je ne trouve qu’une explication : rien n’a changé en Corée du Nord et la presse s’est emballée pour pas grand chose. Comme d’habitude, le régime communiste souffle le chaud et le froid. C’est une de ses vieilles techniques.

Rien de nouveau chez les Kim

Pour comprendre ce qu’il se passe actuellement en Corée du Nord, où plutôt comprendre qu’il ne s’y passe pas grand chose, il suffit de comparer la situation de Kim Jong-un avec celle de son père.

Avant cela, il faut poser quelques bases, surtout si vous n’avez pas lu le premier encadré relatif à la difficulté d’obtenir des informations sur la Corée ! Ce qui en passant n’est pas très gentil. Comme je le disais, la Corée a une culture isolationniste très marquée. Le confucianisme est aussi très présent dans les mentalités et il prône principalement des valeurs conservatrices. Dans la société nord-coréenne, le futur est imaginé comme la reproduction du passé.  Les règles et les dirigeants sont immuables. Leur politique aussi…

En 1995, Kim Jong-il vient de succéder à son père Kim Il-sung. Comme Kim Jong-un en 2011, la presse occidentale se moque de lui. Kim Jong-il est présenté comme un playboy, amateur de femmes et de grands crus, passionné de cinéma. Son fils passe pour un glouton alcoolique et obèse, fan de Disney. En 1995 aussi, on pensait que Kim Jong-il n’arriverait pas à imposer son autorité et que le pays était au bord de l’effondrement. En 1995 aussi, le dirigeant nord-coréen avait procédé à une purge, supprimant deux des neufs plus grandes armées du pays. Déjà, on évoquait la possibilité d’une tentative de coup d’État pour expliquer les événements. Plus généralement, la chute du régime est une véritable arlésienne, qui fait fantasmer par sa portée démocratique comme par ses potentielles conséquences catastrophiques.

Pour savoir pourquoi il faut redouter la chute du régime, vous connaissez la musique...

Quant à la volonté de reprendre les discussions avec le sud pour les rompre quelques jours plus tard, il s’agit ni plus ni moins de la façon habituelle dont la Corée du Nord gère ses relations internationales. Pour se faire entendre et obtenir ce qu’ils veulent (aide alimentaire, reprise des recherches nucléaires…) les Coréens alternent les phases de détente et de rapprochement avec celles de menace et d’isolation.

Un jour le régime oeuvre pour la réunification de familles séparées par la guerre de Corée ou le retour d’otages dans leur pays d’origine, un autre il rouvre le dossier nucléaire. À chaque essai, tir de missile, ou parade militaire, les Nord-coréens menacent puis ouvrent des discussions où ils promettent de se calmer en échange de l’aide internationale.

L’absence du leader communiste serait plus liée à un coup marketing qu’à un coup d’État. Cette mise en scène assurerait à la Corée du Nord un espace médiatique suffisant pour avancer ses pions. Les discussions avec la Corée du Sud devraient reprendre prochainement. Mais la encore, l’opacité qu’est capable d’imposer la dictature communiste empêche toute réponse certaine.

Ce dernier encadré recèle quelques informations sur la politique internationale du régime

Par contre, les théories du complot ont le mérite de mettre en avant une chose : la montée en puissance de Hwang Pyong-so et de Kim Jong-yo. Deux personnalités qui, jusqu’à présent, étaient affiliées à un autre organe méconnu du régime : le Département de l’Organisation et de l’Orientation du Parti.

Créé par Kim Jong-il, ce bureau aurait de plus en plus d’influence sur la politique du régime selon les partisans d’une transition en douceur qui pensent que Kim Jong-un serait désormais leur homme de paille. Là encore, la promesse de changement permet à la Corée de se montrer sous un meilleur jour.

Hwang Pyong-so était vice-président du Département de l'Organisation et de l'Orientation avant de monter en grade. La grosse marrade.
Hwang Pyong-so était vice-président du Département de l’Organisation et de l’Orientation avant de monter en grade. La grosse marrade.
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Kim Jong-yo, la soeur cadette du dirigeant. Son nom est de plus en plus cité sur les documents officiels nord-coréens.
Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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