Un petit billet pour commémorer le centenaire de la première révolution russe en février 1917, dont je ne parle que maintenant puisque à l’époque, février en Russie, c’était mars dans le reste du monde. La première sans compter celle de 1905, mais pas la dernière puisque quelques mois plus tard, les bolcheviks, représentant les ouvriers grévistes et soldats mutinés qui ont fait tomber le Tsar Nicolas II le 15 mars 1917, prennent le pas sur les bourgeois qui l’avaient remplacé au pouvoir.
C’est pas facile hein ? Je vous invite à approfondir de votre côté, mais s’il fallait retenir une chose de cette journée, c’est qu’on chantait sur l’air de La Marseillaise dans les rues. Ce 15 mars, les commémorations ne devraient pas être nombreuses, et encore moins en Russie ou l’idée d’une révolution démocratique a de quoi crisper. Entendre La Marseillaise en russe, surtout aujourd’hui, doit nous rappeler qu’au-delà du Kremlin, nous avons beaucoup en commun.
Attendue depuis des semaines, l’offensive visant à reprendre la ville de Mossoul aux djihadistes de l’État islamique (EI) a été lancée ce lundi 17 octobre. Retour sur les enjeux et les risques de cette bataille décisive.
Des dizaines de milliers d’Irakiens, de Kurdes, de Turcs et d’Occidentaux s’apprêtent à lutter pendant de nombreuses semaines pour libérer la ville et son 1,5 million d’habitants.
L’opération, nommée « Fatah » (Conquête) va permettre de juger de la solidité de cette coalition, de porter un coup énorme aux djihadistes mais risque aussi de tourner à la pire catastrophe humanitaire de l’année.
Le plan de batailleLa perte d'un symbole pour l'État islamiqueLes dangers qui menacent la coalitionLa crainte d'une catastrophe humanitaireL'après, le véritable enjeu de la bataille de Mossoul
Mossoul est la dernière des grandes villes à reconquérir en Irak après Tikrit, Ramadi et Falloujah, première ville tombée aux mains des djihadistes en janvier 2014 et reprise cet été.
Encercler, libérer, nettoyer et gouverner à nouveau Mossoul
La coalition encercle Mossoul en prenant les villages qui la bordent au Sud, à l’Est et au Nord. Seul l’Ouest, en direction de la Syrie, est pour l’instant laissé libre afin d’offrir une porte de sortie aux djihadistes et éviter une résistance désespérée. Plutôt les affronter dans le désert qu’en ville.
Comme à Falloujah, les forces chiites seront majoritairement impliquées. Des dizaines de milliers de militaires, policiers, membres des forces spéciales et miliciens contrôlés par l’Iran, grand allié chiite de Bagdad, vont attaquer au Sud.
L’aviation occidentale et plusieurs milliers de soldats américains, principalement chargés de l’encadrement, mais aussi des artilleurs français les soutiennent.
À l’Est, 4000 peshmergas Kurdes profiteront aussi de l’aide des forces spéciales occidentales, tandis qu’au Nord, des miliciens kurdes et des sunnites formés par la Turquie complètent le dispositif. Les tribus sunnites participent à l’offensive, certaines du côté de Bagdad, d’autres du côté kurde ou encore turc.
La prise de Mossoul sera un coup décisif porté à Daesh et sa tentative d’installer un « califat » entre Syrie et Irak, mais ne marquera pas pour autant la fin de l’organisation terroriste.
Éliminer Daesh en Syrie, où il faut agir de concert avec la Russie et le régime syrien est bien plus compliqué qu’en Irak. De plus, Daesh prend de plus en plus la forme d’une organisation terroriste sans attache territoriale unique. Nigéria, Libye, Yémen, Afghanistan…
Ses membres sont présents dans l’ensemble du monde islamique et, même éliminés de ces zones, ils pourront toujours se cacher pour continuer leur action comme le fait Al-Qaïda. La guerre contre l’idéologie djihadiste se gagne dans les têtes plus que sur le terrain.
Comme beaucoup, j’ai découvert l’EI lorsqu’il prend Mossoul en juin 2014. Les images de l’armée et des fonctionnaires irakiens fuyant la ville alimentent longtemps la propagande djihadiste. Stupéfaction totale en Occident : trois ans après le départ des Américains, le pays replonge dans la guerre et le terrorisme. Personne n’en veut, mais une nouvelle intervention est inévitable.
Mossoul, berceau du califat rêvé par Daesh
Une partie de la population de Mossoul, ville majoritairement sunnite, fête l’arrivée de Daesh comme une libération. Les armes et les réserves monétaires laissées sur place renforcent considérablement les djihadistes. Ils ne tardent pas à profiter de la situation pour commencer l’épuration ethnique de la région, à commencer par la minorité yézidi.
Enfin, c’est depuis une mosquée de Mossoul que le chef de l’organisation État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, proclame le califat. Profitant des ressources trouvées sur place, celles collectées via l’impôt ou la vente de pétrole ou celles encore envoyées par l’Etat irakien (Bagdad payait toujours les fonctionnaires restés sur place…), Daesh met en place depuis Mossoul les éléments d’un proto-état.
La perte de Mossoul portera un coup énorme aux revenus, à l’image et l’influence de l’organisation terroriste et mettra fin à sa présence territoriale en Irak. Mais malgré le rapport de force inégal, la bataille risque d’être difficile et une victoire ne signifiera pas la fin de l’idéologie djihadiste dans la région.
Histoire croisée de Mossoul et Daesh
Inutile de revenir sur la vieille histoire de Mossoul, distante de quelques kilomètres de Ninive, centre d’une des plus anciennes civilisations de l’histoire humaine. La Mossoul moderne est un pôle multiculturel et un carrefour commercial au sous-sol riche en pétrole. Mossoul n’a jamais véritablement été intégrée à l’Irak. Lors de la fondation et la décolonisation du pays, Turcs et Kurdes protestent contre le rattachement de la zone à l’Irak.
C’est le retour de « la question de Mossoul » indique Myriam Benraad, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, qui explique en partie l’intervention turque dans l’opération. Elle revient dans un long article pour OrientXXI sur le gouffre qui a toujours séparé la région de Bagdad. Déjà, après le renversement de la monarchie en 1958, une insurrection est réprimée dans le sang par le pouvoir central à Mossoul :
« La population locale a perpétué le souvenir de ces événements, développant l’obsession d’un « jamais plus » et se dissociant de l’État pour ne plus l’affronter à nouveau. Cette épaisseur temporelle permet d’entrevoir pourquoi Mossoul ne s’est pas non plus soulevée contre l’EI, et plus particulièrement contre ses combattants étrangers peu appréciés. Elle éclaire la réticence que beaucoup ont éprouvée à quitter leur ville en 2014, surtout débarrassée d’une armée irakienne principalement chiite qui faisait office de force d’occupation pour le compte de Bagdad. »
Après la chute de Saddam, les sunnites n’ont pratiquement plus aucune représentation en Irak, jusque dans l’armée qui est dissoute. Mossoul devient alors l’un des pôles de l’idéologie djihadiste dans le pays, berceau de la branche locale d’Al-Qaida qui prendra ses distances de la maison mère pour devenir l’organisation État islamique.
À première vue, le déséquilibre tant humain que matériel fait pencher la balance en faveur de la coalition. Toutefois, les 4500 à 6000 djihadistes qui devraient prendre part à la défense de Mossoul ont eu le temps de se préparer. Ces hommes, dont certains sont aguerris aux combats en Irak ou en Tchétchénie, adoptent des tactiques de guérillas. Si la bataille venait à durer, la coalition risque d’en faire des martyrs, à la légende digne des légionnaires de Camerone.
Pas de quoi remette en cause la victoire finale de la coalition, mais suffisant pour la retarder. Barack Obama qui l’a promise avant la fin de son mandat. En comparaison, la reprise de Falloujah, bien plus petite, a pris un mois.
La coalition doit faire face aux attaques de snipers et de voitures piégées. Une fois un village récupéré, il faut s’assurer que des djihadistes ne soient pas cachés et que des tunnels par lesquels ils pourraient surgir ou des mines ne menacent la sécurité future des troupes et des habitants.
La situation va empirer à Mossoul avec ses rues étroites, les barrières et tunnels mis en place par les djihadistes, et la difficulté de bombarder de peur de causer des pertes civiles et de créer de nouveaux obstacles pour la coalition. Il faudra être prudent : chaque maison est susceptible d’accueillir des civils, des djihadistes ou des pièges.
On redoute aussi la fuite de djihadistes. Comment les distinguer des réfugiés ? Comment les intercepter avant la Syrie ou pire, l’Europe pour ceux qui voudraient y commettre un attentat ? Que faire des prisonniers? Pas question de créer un nouvel Abu Ghraib, où les Américains avaient enfermé ensemble les djihadistes qui formèrent ensuite Daesh. Mais le véritable ennemi est à l’intérieur de la coalition : typique du conflit en Syrie et en Irak, cette dernière est composée d’alliés de circonstance, aux objectifs parfois opposés.
Dans une interview à Libération, Loulouwa al-Rachid du Centre de recherches internationales (CERI) indiquait : « Le partage du butin et des rôles de chacun au lendemain du départ de l’EI peut donner lieu à une « guerre de tous contre tous » entre milices chiites, forces proturques, Kurdes, etc. Car derrière les rivalités communautaristes, il y a les convoitises des terres, du pétrole et des ressources en eau. »
Clique ici pour découvrir les membres de la coalition et leurs objectifs
Occidentaux
C’est un moment décisif dans la campagne pour infliger à Daesh une défaite durable.
Ashton Carter, Secrétaire américain à la guerre. Portés par les États-Unis et la France, les Occidentaux mènent une nouvelle bataille dans la guerre contre le terrorisme lancée près de quinze ans auparavant.
Loin des blocages rencontrés en Syrie face aux Russes et aux forces du régime, ils peuvent agir en totale liberté en Irak. Ils ont reformé et ré-équipé l’armée et fournissent un soutien aérien.
Leur objectif est de pacifier le pays et d’en finir avec la menace djihadiste qui pèse sur le jeune État irakien difficilement mis en place après la chute de Saddam Hussein. Ils vont aussi tenter de préserver la sécurité des civils et d’assurer l’aide humanitaire.
Il ne faudrait pas tomber dans les mêmes travers que les Russes à Alep et alimenter encore un peu plus le flot des réfugiés qui tentent leur chance vers l’Europe.
Kurdes
Les peshmergas sont présents pour protéger les populations, donc il n’y a pas besoin que les forces irakiennes se déploient
Massoud Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan autonome. Ils sont principalement représentés par les peshmergas, la force de sécurité du Kurdistan, région autonome d’Irak, à l’Est de Mossoul. En théorie, ces derniers dépendent de Bagdad mais dans les faits, la prise de Mossoul par les djihadistes et leur capacité militaire leur ont permis d’agrandir leur territoire et de renforcer leur autonomie.
Le Nord est contrôlé par les miliciens kurdes syriens de l’YDP, proche du PKK turc, faction considérée comme terroriste par la Turquie. Tous les Kurdes bénéficient du soutien occidental et ont longtemps été considérés comme la seule force capable de s’opposer aux djihadistes sur le terrain.
Leur but est de défendre leur territoire historique, et même d’en gagner au détriment des Arabes sunnites installés dans la région par Saddam Hussein. Amnesty International dénonce ainsi la destruction de villages arabes par les Kurdes. Massoud Barzani s’est prononcé en faveur d’un référendum pour que les populations libérées puissent décider de qui elles dépendraient à l’avenir.
Turcs
Peu importe ce que dit le gouvernement irakien, la présence turque sera maintenue pour combattre Daesh et pour éviter une modification par la force de la composition démographique dans la région
Recep Tayyip Erdogan, président turc. Membre de l’OTAN et principale alliée des Occidentaux, la Turquie n’a pas fini de surprendre dans ce conflit. Accusée d’être trop laxiste avec les djihadistes, elle s’est engagée en Syrie fin août via l’opération Bouclier de l’Euphrate. Plus que vaincre les djihadistes, c’est pour s’opposer au régime chiite de Damas et empêcher les Kurdes de créer un pays indépendant qu’ils ont décidé de s’ériger en protecteur de la population sunnite.
C’est la même logique qui les pousse à intervenir en Irak, sans aucun accord préalable de Bagdad ou des Occidentaux. Ils sont présents dès décembre 2015 sur la base de Bashiqa, à quelques dizaines de kilomètres au Nord-Est de Mossoul et s’en servent comme plateforme pour bombarder les terroristes et former des miliciens irakiens sunnites. 1500 d’entre eux participeront à la reconquête de la ville.
Irakiens
Le temps de la victoire est venu et les opérations pour libérer Mossoul ont commencé
Haïder al-Abadi Premier ministre irakien. Les forces irakiennes ont inversé la tendance depuis un an en libérant les principales villes contrôlées par Daesh à l’Ouest et au Nord du pays. Avec l’aide des Occidentaux et de l’Iran, elles se sont reconstituées pour enfin devenir les troupes au sol indispensables à la reconquête du territoire.
Si elles ont payé un lourd tribut dans les précédents affrontements, elles sont aussi suspectées de violences envers les populations sunnites, notamment en ce qui concerne les milices chiites financées par l’Iran, marquées par un fort anti-américanisme. Le Premier ministre irakien a ainsi tenté de rassurer ses partenaires et la population : seuls les militaires et les policiers seront autorisés à entrer dans Mossoul.
C’est leur dernière bataille d’importance à mener, mais sans doute aussi la plus risquée. Il faut en effet que Bagdad restaure son autorité sur la partie sunnite du pays et contienne les ambitions kurdes et turques.
Le sort du 1,5 million d’habitants encore présents dans la deuxième ville du pays occupe tous les esprits. Sans défense, ils courent tous les dangers, à commencer par celui d’être utilisés comme boucliers humains par les djihadistes et d’être frappés par erreur par des tirs de la coalition. Plus la bataille va durer, plus les risques seront grands, y compris ceux inhérents à l’impossibilité d’avoir accès aux soins, à l’eau courante ou aux biens de première nécessité.
Les habitants de Mossoul pris entre deux feux, la guerre et la crise humanitaire
Ce mouvement de résistance est connu depuis plusieurs mois par la presse qui rapporte des tags représentant la lettre M pour muqawama, « résistance », sur les façades de Mossoul. La répression de cette révolte par les djihadistes pourrait faire de nombreuses victimes, sans parler d’éventuels conflits entre civils pro et anti-daesh.
Selon Franck Genauzeau, grand reporter de France 2, une vingtaine de civils ont déjà été exécutés dans les premières heures de l’offensive pour avoir diffusé des photos des installations défensives mises en place par les djihadistes. Daesh a même coupé les connexions Internet, y compris mobile.
Mais au-delà des dangers de la bataille, c’est l’après qui inquiète.
Vers la plus grande catastrophe humanitaire de l'année ?
Ces multiples dangers pourraient inciter de nombreux habitants à fuir Mossoul. Or les capacités d’accueil conjointes de l’ONU et des forces irakiennes sont d’environ 300 000 places, loin du million de personnes potentiellement concernées.
« Il existe une règle informelle selon laquelle aucune institution ne peut faire face à un mouvement de population de plus de 150000 personnes à la fois », indique à la presse Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour l’Irak. Alors que l’hiver approche, seulement la moitié des 334 millions d’euros budgétés pour l’achat de tentes et de biens de première nécessité a été provisionné.
#Irak: les civils qui fuient l’État islamique risquent de graves représailles. Rapport d’Amnesty International: https://t.co/NGefbKSMdo — Nina Walch (@NiWalch) 18 octobre 2016
Et cela ne concerne que l’urgence des prochains mois. La question de la reconstruction de la ville et de ses alentours est primordiale. Alors que l’accueil des réfugiés s’avère déjà problématique, l’expérience montre que les villages reconquis depuis plusieurs mois n’ont toujours pas été réoccupés.
Daesh mène véritablement une politique de la terre brûlée. Les mines et les pièges empêchent le retour des habitants qui ne peuvent reprendre possession de leur maison en toute sécurité. Ils ne peuvent pas commencer les réparations de base, remettre l’électricité ou l’eau courante. Ils ne peuvent pas cultiver à nouveau les champs ou reprendre une activité, faute de clients ou de biens à acheter.
L’économie locale n’existe plus, près de 4 millions de personnes ont quitté la région depuis deux ans pour les camps de réfugiés de Turquie ou d’Europe. Le besoin d’une aide internationale ne concerne pas que les prochains mois mais les prochaines décennies.
La chute de Mossoul ne signifie pas la fin de l’EI en Irak, et encore moins celle de l’idéologie djihadiste. Al-Qaïda avait déjà été « éliminé » du pays à la fin des années 2000. Ça ne l’a pas empêché de réapparaître et de muter en ce qu’on connait aujourd’hui comme l’EI.
Pour trouver la paix, l’Irak doit sortir du sectarisme et du jeu géopolitique
Daesh s’est nourri du ressentiment que faisait naître le pouvoir chiite envers la population sunnite. Bagdad doit éviter de reproduire les erreurs du passé en donnant plus de pouvoir aux communautés locales. Or pour l’instant, rien n’indique un changement de mentalité.
« Le gouvernement irakien n’a pas de plan pour le jour d’après, celui où Mossoul sera repris. Il ne sait pas quoi faire, hormis tenter de rétablir un statu quo ante. Il tentera de placer un gouverneur docile et de déléguer ce qu’il peut à des milices tribales et à ceux qui seront là. Au-delà de l’enjeu symbolique énorme de chasser l’EI d’Irak, Mossoul est un fardeau pour Bagdad qui est en quasi-faillite financière » rappelle Loulouwa al-Rachid.
La victoire militaire devra se prolonger par un effort politique de dialogue et de réconciliation entre les différentes communautés, sous la tutelle des principales puissances engagées.
Car le sort de Mossoul questionne l’avenir de l’Irak dans son ensemble. Dans tout le pays les sunnites attendent d’être intégrés au pouvoir et au-delà des aspects communautaires, toute la population attend le retour de l’emploi, de la justice et de l’indépendance du pays vis-à-vis des intérêts étrangers.
Sans quoi la menace djihadiste pourrait resurgir ailleurs. Pour trouver la paix, l’Irak doit sortir du grand jeu géopolitique dans lequel le pays a été plongé par l’intervention américaine en 2003 et retrouver la voie de la démocratie et du développement.
Derrière la guerre, des revendications citoyennes méconnues
En finir avec un pouvoir corrompu, religieux et inféodé aux États-Unis ou à l’Iran. En dépit de la guerre et de la menace terroriste, un mouvement citoyen émerge en Irak et porte de telles revendications.C’est sur ce mouvement qu’enquête Feurat Alani, ancien correspondant à Bagdad pour de nombreux médias français et désormais producteur de l’agence In Sight Films.
Laïcs ou religieux, apolitiques ou anciens baasistes, jeunes et vieux se retrouvent sur la bien nommée place Tahrir pour demander le renouveau des services publics, la refonte des services de l’État et ses fonctionnaires aussi inutiles que corrompus. C’est en comblant ces besoins que Daesh a réussi à s’implanter facilement dans le Nord-Ouest du pays.
Ils demandent aussi le respect des différentes communautés, sans toutefois pérenniser le système de quotas mis en place par les Américains, qui ne fait qu’alimenter le sectarisme.
Enfin, la question de l’influence iranienne reste primordiale alors que la communauté chiite se divise entre partisans d’al-Abadi, l’actuel Premier ministre nationaliste soutenu par le clergé irakien et ceux de l’ancien Premier ministre al-Maliki, qui se place du côté de Ghassem Souleimani, chef militaire iranien des milices chiites impliquées dans la lutte contre Daesh.
La sonde spatiale européenne vient de s’écraser sur la comète Tchouri. Deux ans après avoir déposé le robot Philae à sa surface et douze ans après avoir quitté la Terre, cet épisode marque la fin de l’une des plus grandes prouesses techniques de l’humanité.
Tout d’abord, le bilan de la mission va se révéler particulièrement positif : les scientifiques de l’Agence spatiale européenne (ESA) vont passer plusieurs années à éplucher les données collectées par le duo Rosetta / Philae.
Améliorer la compréhension de notre système solaire
Les comètes se sont formées au commencement du système solaire et conservent des traces de la matière primitive qui a donné naissance à notre étoile et notre planète. Même si Philae a raté son atterrissage il y a deux ans, il a fourni des informations précieuses, complétées par les mesures prises par Rosetta en orbite.
On a découvert sur Tchouri du dioxygène (0²), là où on ne pensait pas en trouver. On s’est rendu compte que l’eau qui compose sa glace était différente de celle présente sur Terre. On a pu observer sa forme de religieuse (la pâtisserie hein), résultat d’une collision entre deux objets, suffisamment forte pour associer les deux corps mais pas assez pour les détruire.
Enfin, on a confirmé la présence de la glycine, acide aminé de base dans le processus de la vie. Et les scientifiques continuent d’analyser d’autres structures organiques carbonées qui étaient jusqu’ici inconnues.
De quoi remettre en question les théories des scientifiques sur la création du système solaire et des comètes et sur la formation de l’eau et de la vie sur Terre. Les découvertes issues des données de Rosetta devraient rythmer la vie des chercheurs pendant de nombreuses années.
Comme nous vous le disions en 2014, le simple fait que Philae se pose à la surface de Tchouri est un exploit digne de la mission Apollo 11, qui avait mené Armstrong et sa bande sur la Lune en 1969.
Pour vous donner une idée, bien que les technologies et les connaissances aient beaucoup évolué, imaginez que la mission Apollon 11 consiste à tirer au fusil sur une pastèque moyenne de 40cm de diamètre placée à 48 mètres.
L’envoi de Rosetta s’apparente alors à jeter en l’air une fléchette et gérer son timing pour qu’elle retombe, dix ans plus tard, sur un grain de poussière en mouvement à 64 kilomètres de là…
Pas de doute, les enseignements tirés de Rosetta vont permettre à la communauté scientifique d’envisager et de mener à bien de nouvelles missions.
Toujours en référence à l’Egypte antique, la NASA vient ainsi de lancer Osiris-Rex à destination de l’astéroïde Bénou, huit fois plus petit que la comète Tchouri mais qui passe beaucoup plus proche de la Terre (et a même une chance de la percuter d’ici un demi-siècle !).
Le pari de l’agence américaine relève une nouvelle fois du tour de force : la cible est plus petite et la sonde devra retourner sur Terre une fois des échantillons prélevés ! Autre astéroïde, même mission : la sonde Hayabusa-2 lancée en 2014 et qui doit atteindre l’astéroïde Ryugu.
Les deux missions doivent atteindre leur objectif en 2018 et répondre potentiellement aux mêmes questions que Rosetta. Et il parait évidant qu’elles connaitront une médiatisation exceptionnelle, digne de celle savamment orchestrée pour Rosetta par les équipes de communicants de l’Agence spatiale européenne.
L’engouement du public n’est pas prêt de cesser
Plus d’un demi-million de personnes ont suivi en direct l’avancée de la mission sur les réseaux sociaux et ses nombreux temps forts.
On retiendra par exemple l’ « acométage » difficile de Philae, finalement incapable de faire fonctionner ses panneaux solaires ; la course contre la montre pour recueillir des données avant l’épuisement de ses batteries ; la mise en sommeil de Rosetta et son réveil pour analyser l’évolution de la comète à l’approche du soleil ; ou encore les survols de la sonde à la recherche de Philae, dont la position exacte n’était pas confirmée.
Comme le souligne le Parisien, le renouveau de l’intérêt du grand public pour l’exploration spatiale permet aux scientifiques de débloquer plus facilement des crédits pour financer leurs recherches.
L’engouement pour la découverte de « planètes jumelles » dans des systèmes lointains (la dernière en date est Proxima Centauri b, en orbite autour de l’étoile la plus proche du Soleil) « où la vie serait possible », relève ainsi bien plus d’une réalité marketing que scientifique.
Le secteur privé, Space X en tête, n’est pas en reste et la conquête de Mars permet de mobiliser le grand public, quand les investisseurs sont parfois refroidis par les couacs et autres accidents.
Pas étonnant que de nombreux projets soient désormais mis en avant par la communauté scientifique mondiale. La prochaine grande avancée devrait avoir lieu du côté de Jupiter et de ses lunes.
La sonde Juno de la NASA devrait apporter des observations inédites sur la plus grande planète de notre système solaire, tandis qu’Europe, susceptible d’abriter de l’eau liquide et donc la vie, sera l’objet de plusieurs missions : la sonde JUICE, qui devrait être lancée par l’ESA en 2022, et la mission Europa Clipper de la NASA à une date encore inconnue.
130 morts et des centaines de blessés. C’est le triste bilan des attentats du vendredi 13 novembre qui ont une nouvelle fois endeuillé la France cette année.
Ils s’ajoutent aux 48 victimes et aux centaines de blessés touchés par deux kamikazes à Beyrouth, la capitale libanaise, le 12 novembre. Et aux 224 personnes décédées début novembre dans l’explosion d’un avion russe en Egypte ; aux 102 disparus (et des centaines de blessés) de l’attaque qui visait une manifestation pacifique à Ankara fin octobre…
La liste est longue et je pourrais égrainer tant de chiffres que vous auriez des crampes à force de scroller. Un seul suffit à comprendre : en 2014, année où Daesh est entré dans la lumière et a proclamé son califat, le nombre annuel de victimes d’actes terroristes a augmenté de 81%, principalement au Moyen-Orient et en Afrique. 2015 devrait être un cru tout aussi sanglant.
Si Daesh n’est pas l’unique organisation terroriste à sévir, elle est la plus agressive. Pas étonnant de trouver autant de pays mobilisés contre elle : USA, Europe, Russie, Turquie, Pays du Golfe, Iran… Pas moins de 60 pays composent la coalition. Alors face à toute cette puissance, pourquoi une organisation pareille est-elle encore debout ? C’est la question à un milliard d’euros, et on va essayer d’y répondre dans cette FAQ.
Un, car la théorie ne s’applique pas en pratique. À l’école, on m’expliquait la logique mathématique comme ça : l’ami de ton ami est ton ami, l’ami de ton ennemi est ton ennemi, l’ennemi de ton ennemi est ton ami ( + et + = +, + et – = -, – et – = +, si vous étiez une buse à l’école, il est temps de s’y mettre !). Mais cette logique ne s’applique pas en Syrie et en Irak, où personne ne fait confiance à personne.
Deux, car les forces actuellement engagées contre Daesh sont insuffisantes. Les frappes aériennes ne permettent pas de vaincre les djihadistes qui s’adaptent en se cachant dans la population ou en agissant la nuit par petits groupes. Il faudrait qu’elles soient accompagnées d’une véritable offensive terrestre. Mais personne n’est actuellement capable de la mener.
Trois, car une victoire militaire contre l’Etat islamique ne suffit pas à régler le problème du terrorisme ou du Moyen-Orient. Le djihadisme est une idéologie qui se nourrit du « martyr » de ses membres. La bataille doit aussi se mener tant dans les têtes que sur le terrain. Mais une fois Daesh vaincu, qui pourra prendre sa place et ramener la paix dans la région ?
D’où vient Daesh ?
La version courte : du désert. C’est là que les combattants de « l’État islamique d’Iraq » se sont planqués à la fin des années 2000 quand les Américains étaient en train d’éliminer ce qui était encore une branche locale d’al-Qaïda. Le début de la guerre civile en Syrie leur donne l’occasion de se refaire une santé de l’autre côté de la frontière, en recrutant partout dans le monde ceux qui sont venus se battre contre Bachar et en récupérant le matériel destiné aux rebelles. En 2014, ils sont capables d’attaquer l’Iraq et prennent la ville de Mossoul en juin, date à laquelle ils proclament le califat.
La version longue
Reprenons du début : en 2003, les US ont la merveilleuse idée de renverser Saddam Hussein. Alors oui, c’est un dictateur sanguinaire qui n’hésite pas à bombarder et gazer son peuple. Mais ça se sait déjà depuis les années 80, quand Saddam était encore « un ami », qu’on aidait dans sa guerre contre l’Iran.
L’avantage de Saddam, c’est son nationalisme arabe laïque qui arrivait, par la force certes, à maintenir une certaine cohésion en Iraq, où on trouve une majorité de musulmans chiites, une minorité sunnite au pouvoir, mais aussi des chrétiens orientaux, des yézidis etc. En 2003, tout a été balayé à grands coups de rangers. Le régime baassiste de Saddam est dissout.
Les Américains se basent sur la majorité chiite pour reconstruire un gouvernement et une armée. Autant dire que les chauds du djihad, en ébullition depuis le renversement de l’émirat islamique des talibans en Afghanistan, associés aux anciens cadres sunnites de l’armée irakienne, ont vite mené la vie dure à la coalition occidentale.
Mais à la fin des années 2000, les djihadistes à l’origine de Daesh étaient quasiment éliminés d’Iraq. Les Américains finançaient en effet les tribus sunnites minoritaires de l’ouest du pays (frontière avec la Syrie) pour qu’elles luttent contre les djihadistes. Et voilà qu’en 2011, les printemps arabes et le retrait des occidentaux de la région changent encore la donne.
Face à Bachar el-Assad et à l’indifférence de la communauté internationale, les djihadistes se présentent comme les sauveurs des sunnites. Dans un premier temps, les occidentaux et leurs alliés soutiennent tous les rebelles. Mais les laïques étant des civils aussi entraînés que toi ou moi, ce sont les djihadistes qui récupèrent le matos et le territoire, jusqu’à devenir assez forts pour attaquer et prendre le nord de l’Iraq en 2014. Ils sont accueillis en libérateurs par la minorité sunnite abandonnée depuis le départ des occidentaux et maltraitée par le gouvernement chiite au pouvoir.
C’est à ce moment que les Américains, effrayés de perdre Bagdad, se réveillent. Mais le mal est déjà là.
Pourquoi provoquent-ils des attentats, tout en sachant qu’il y aura riposte ?
C’est justement pour nous pousser à réagir dans la précipitation. Les terroristes ciblent des sociétés en apparence divisées, en espérant que la peur oblige les gouvernements à cesser leurs frappes, qu’elle pousse les gens les uns contre les autres ou mieux, qu’elle nous entraîne à riposter. Daesh rêve de voir les occidentaux revenir au Moyen-Orient et croit pouvoir soulever tous les musulmans contre eux.
En quoi ça va les aider ?
Ils jouent la carte du choc des civilisations. C’est une secte qui s’appuie sur l’islam radical et veut convaincre les musulmans sunnites de rejoindre la lutte contre les chiites et l’occident. En proclamant le califat, ils tentent de séduire les nostalgiques de l’âge d’or musulman : attaquer le califat peut décider ceux qui vivent en occident sans se sentir intégrés et ceux qui rejettent simplement l’impérialisme occidental à rejoindre la lutte. Enfin ça c’est sur le papier. Dans la pratique, je pense que leurs ambitions sont loin d’être religieuses et servent plutôt des intérêts privés. Reste à découvrir lesquels.
S’ils sont dangereux, pourquoi ne pas les avoir éliminés avant ?
Car personne n’en avait vraiment les moyens ni l’envie.
Obama a été élu pour terminer les guerres d’Afghanistan et d’Iraq, pas pour y retourner. L’armée britannique est aux fraises après dix ans de guerre et incapable d’intervenir seule. La France est déjà en Afrique et la rigueur économique complique le déblocage des moyens supplémentaires. Et puis surtout les occidentaux ont longtemps considéré que Bachar était l’ennemi number one, jusqu’à ce que Daesh commence à tuer des otages et des civils dans des attentats.
Ensuite, il y a trop d’intérêts contradictoires : les alliés de l’occident, la Turquie et l’Arabie Saoudite, sans oublier Israël, détestent Bachar et l’Iran. Détruire Daesh, c’est donner l’avantage au dictateur et aux chiites. Pour l’Iran et la Russie, la logique est différente : plus Daesh est menaçant, plus les occidentaux ont besoin d’eux et de Bachar pour régler le problème et sont prêts à faire des concessions : l’Ukraine, les embargos contre les deux pays, le nucléaire iranien, la survie du régime de Bachar…
Enfin, certains pays ont des liens ambigus avec Daesh. Erdogan, le président turc, est bien content d’avoir Daesh à sa frontière qui lutte contre les Kurdes et leur projet d’indépendance. Du côté de l’Arabie Saoudite et du Qatar, certains « riches donateurs » n’hésitent pas à financer une organisation qui prône un islam proche du wahhabisme, le courant majoritaire de la péninsule arabique (mains coupées, droits des femmes bafoués, monuments dynamités, Daesh n’a rien inventé). Les Pays du Golfe sont d’ailleurs plus concentrés sur la guerre civile au Yémen que sur Daesh.
Il se passe quoi au Yémen ?
Une minorité chiite s’y bat depuis longtemps contre un gouvernement sunnite mais aussi des groupes djihadistes comme al-Qaïda en péninsule arabique (AQPA, ceux qui ont formé les frères Kouachi, auteurs de l’attentat contre Charlie). Ils sont soutenus par l’Iran. Les Pays du Golfe sunnites ont eux lancé une vaste opération pour soutenir le gouvernement et bombarder Sanaa, la capitale du pays aux mains des rebelles. En sept mois, on compte 5000 morts et près de 25 000 blessés, ainsi qu’une situation humanitaire catastrophique : Le Monde rapportait en août cette phrase du chef du Comité international de la Croix-Rouge, Peter Maurer : « Le Yémen, après cinq mois, ressemble à la Syrie après cinq ans. »
Après ces attentats, pourquoi est-ce qu’on ne recouvre pas simplement Daesh sous un tapis de bombe ?
Hmm… Parce qu’ils se cachent au milieu de la population, et que ça serait vraiment pas sympa pour elle. Ni pour les centaines de milliers de réfugiés qui aimeraient bien retourner chez eux plus tard. Enfin ça serait sans doute très mal perçu dans le reste du monde musulman, et on n’a vraiment pas besoin de ça. Néanmoins, il y a depuis les attentats une intensification des frappes contre l’organisation, du fait de la France et de la Russie notamment.
Vladimir Poutine vient seulement de reconnaître l’attentat à l’origine du crash de l’avion russe dans le Sinaï : il légitime ainsi auprès d’une opinion publique récalcitrante l’engagement en Syrie et a fortiori contre Daesh, alors que les rebelles syriens étaient principalement visés pour le moment.
La France était jusqu’à présent à l’origine de moins de 5% des frappes de la coalition contre Daesh depuis un an. Elle a renforcé également son action avec une quarantaine de bombes larguées ce week-end, soit autant qu’en plusieurs mois d’intervention « normale ».
Et pourquoi ne pas y aller à pied nettoyer ça à l’ancienne ?
Parce que ça semblait aussi une bonne idée en Afghanistan, et faute de soutien local, on a vu le résultat : une décennie de guerre, et les talibans sont toujours là. C’est ce que veut Daesh, alors avant d’y aller, il faut savoir qui y va et qui nous aide une fois là-bas.
En effet, les raids aériens coûtent chers (plusieurs dizaines de millions de dollars tous les jours), mais permettent de limiter les pertes. Sauf qu’ils sont insuffisants : dans une logique d’usure, on ne cible que les grosses infrastructures, laissant aux djihadistes le temps de s’adapter et de riposter. Pour être vraiment efficace, il faut avoir des infos qui viennent directement du sol afin de guider les frappes ou d’indiquer par exemple des mouvements de troupes. Les occidentaux ont déjà déployé des forces spéciales, surtout en Iraq. Mais le plus efficace serait de coordonner les frappes aériennes avec une offensive terrestre. Et aux commandos, faut pas trop leur en demander non plus.
Sur qui peut-on s’appuyer pour une offensive terrestre ?
En Syrie, éliminons d’office les rebelles syriens : mal formés, trop divisés entre modérés (par exemple l’armée syrienne libre) et islamistes (des dizaines de groupes dont al-Qaïda, qui s’allient aux modérés ou à Daesh selon le moment et l’endroit). Difficile aussi de s’appuyer sur l’armée syrienne de Bachar sans passer pour des trompettes et des faux-culs. En Irak, la faiblesse de l’armée gouvernementale, qui a notamment abandonné Mossoul l’an passé sans combattre, ne plaide pas en sa faveur. Enfin impossible de s’associer aux milices chiites financées par l’Iran pour soutenir Bagdad et qui mêlent autant des types venus défendre leur pays que des fous furieux qui veulent se venger des sunnites et aller reprendre La Mecque s’il le faut. Les Saoudiens feraient la gueule.
La solution la plus logique serait de s’appuyer sur un membre historique de l’OTAN, qui a l’une des plus grosses armées terrestre de la région et qui accueille déjà des millions de réfugiés syriens : la Turquie. Mais bon, on attend toujours le déploiement de l’armée turque de l’autre côté de la frontière pour créer une zone de sécurité, comme l’avait évoqué Erdogan quand il s’est enfin décidé à « frapper » Daesh cet été. Elle devait permettre de couper le ravitaillement aux djihadistes et de ramener les réfugiés en Syrie. La reprise des hostilités avec les Kurdes a gelé le projet.
Reste donc les Kurdes. Ah les Kurdes. Mais si, ceux que tout le monde admirait quand ils se battaient à Kobané et qui se font aujourd’hui bombarder par les Turcs en toute décontraction de notre côté.
C’est quoi le problème avec les Kurdes ?
La version courte, c’est qu’ils sont sans doute les partenaires les plus fiables des occidentaux, mais qu’ils se verraient bien profiter du chaos ambiant pour fonder leur propre pays. Et ça, l’Iran et surtout la Turquie ne le permettront jamais.
La version longue
Les Kurdes illustrent à eux seuls la complexité géopolitique de la région.Depuis la fin de la Première guerre mondiale et l’échec de la création d’un Kurdistan, les frontières ont séparé ce peuple millénaire entre la Turquie, l’Iran, l’Iraq et la Syrie. Quand les Américains battent Saddam, ils donnent aux Kurdes d’Iraq des moyens et un semblant d’autonomie.Ce sont les Peshmergas, et ils sont pour l’instant les seuls à réussir à contenir Daesh dans le nord de l’Iraq. Comme les Kurdes de Turquie et d’Iran, ils aident les Kurdes syriens à résister eux-aussi.
Ce sont donc les meilleurs combattants sur le terrain, et en plus ils entretiennent d’assez bonnes relations avec les occidentaux, qui fournissent les armes et la formation. Alors où est le problème ?
Le problème c’est que les Kurdes profitent de la situation pour transformer en Irak et en Syrie une autonomie de principe en une indépendance de fait. L’Iraq et la Syrie n’y peuvent pas grand chose, mais ça fait grincer des dents en Iran et surtout en Turquie, qui stressent pour leur propre intégrité. Au-delà de cette opposition avec deux des principaux acteurs du conflits et potentiels partenaires de la coalition, se pose aussi le problème des territoires non kurdes, où ces derniers n’ont aucun intérêt à aller se battre.
Ah ouais c’est bien prise de tête tout ça. Du coup on fait comment ?
Et ben j’imagine que vu que c’est très compliqué, on va simplifier les choses. Bachar est au centre du problème puisque c’est lui qui empêche pour l’instant la mise en place d’une grande coalition entre Occidentaux, Turcs et Pays du Golfe d’un côté et l’Iran et la Russie d’un autre.
Donc pour l’instant, on va faire comme si Bachar n’existait plus, mettre de côté le fait qu’il massacre les sunnites syriens et qu’il doit quitter le pouvoir pour ne pas froisser les Russes et les Iraniens, lesquels se feront un plaisir de taper Daesh avec nous. Et pour ce qui est des Turcs et des Pays du Golfe et bien… il est temps de se poser quelques questions : s’ils favorisent leurs propres intérêts, peut-être faut-il en faire de même.
Bon, on élimine Daesh, et après ?
Voilà la question ultime, dont l’absence de réponse explique notre temps de réaction. En plus de la lutte sur le terrain, il faut détruire Daesh en tant qu’organisation internationale qui a accumulé assez de fonds pour poursuivre son action, à la manière d’al-Qaïda après la chute des Talibans. Et une fois Daesh détruit ou chassé, qui pour administrer les zones sunnites de Syrie et d’Iraq ? Le droit international voudrait que ce soit Damas et Bagdad, les autorités légales. Mais la fracture entre sunnite et les chiites au pouvoir est sans doute trop grave après des années de conflit et une guerre civile syrienne qui a fait déjà 250 000 morts.
Dans un cadre fédéral, on pourrait donner le pouvoir aux tribus sunnites, les seules qui ont encore un semblant de légitimité auprès de la population. Mais peut-être qu’elles sont déjà trop compromises avec Daesh, pour qui elles administrent les zones rurales. De plus l’expérience irakienne a déjà tourné au fiasco après le départ des occidentaux. Dans la même idée, la création d’un Kurdistan est aussi difficilement envisageable vis-à-vis de la Turquie, même si il y a une continuité territoriale entre le nord de la Syrie et de l’Irak et que les occidentaux auraient ainsi un allié plutôt solide dans la région.
Bref on ne peut pour l’instant que supposer, même si j’ai ma petite idée : il faudra bien qu’un jour les réfugiés syriens rentrent chez eux, du moins une partie. Or avant que Daesh ne soit éliminé, on a largement le temps de sélectionner et de former une nouvelle génération de cadres sunnites fiables, qui auront leur mot à dire dans une Syrie post-Bachar el-Assad.
Reste un dernier problème : comment en finir avec l’idéologie djihadiste ? Car vaincre Daesh en Syrie et en Iraq n’y suffira pas.
Vous vous intéressez à l’État islamique ? C’est bien. Ça en vaut la peine, surtout lorsque ses membres nous attaquent aussi atrocement que ce 13 novembre, et que de nombreuses décisions – d’abord la surveillance de votre activité en ligne, désormais l’état d’urgence– découlent directement des actes de cette organisation terroriste.
Accessoirement, vous pouvez aussi être choqués par les centaines de milliers de victimes de la guerre civile en Syrie. Merci l’ONU. Mais avec Daesh, oubliez tout ce qu’une décennie de lutte contre le terrorisme vous a appris sur ce type d’organisation.
L’État islamique, alias Daesh, est une organisation terroriste dans le sens où ses membres utilisent la terreur pour imposer leur idéologie: ils ont recours aux meurtres aveugles d’opposants ou aux exécutions scénarisées d’otages occidentaux, au viol, à l’esclavage… Les actions les plus retentissantes sont les attentats, quotidiens à Bagdad, exceptionnels en Occident.
On doit par exemple aux djihadistes :
La vague d’attentats qui a frappé la France, la Tunisie ou la Turquie cette année.
Les attaques en Égypte, dont le crash d’un avion russe, mais aussi au Liban, au Yémen et au Pakistan.
Les massacres à l’encontre des chiites et yézidis capturés ainsi que des tribus sunnites qui refusent la domination de Daesh.
Les opposants, otages, homosexuels, etc. assassinés au sein de la zone contrôlée par les djihadistes.
Son idéologie est simple : mener le djihad armé contre les Occidentaux et les musulmans chiites et imposer la charia aux musulmans sunnites. Tout traduit chez eux une lecture rigoriste et totalement anachronique des textes de l’islam. Le djihad est implacable : les gens du livre (chrétiens, juifs) doivent payer ou se convertir. Les autres (chiites, yézidis) doivent se convertir – dans de rares cas – ou mourir. Proche du wahhabisme, vision salafiste qui prône un retour à « l’islam des ancêtres », cette idéologie justifie la refondation, contestée dans le monde musulman, du califat.
Quelles différences entre Musulmans Chiites et Sunnites?
Après la mort du prophète Mahomet en 632, les musulmans se divisent sur la question du successeur le plus légitime pour guider la communauté des croyants (Mahomet n’avait pas donné d’indications et il n’avait pas de fils vivant pour lui succéder légitimement) :
Les futurs sunnites pensent que c’est à une élite d’élire le futur guide des croyants. Ils désignent Abou Bakr, fidèle compagnon du prophète, comme premier calife de l’Islam. Le calife n’est cependant pas investi de la parole divine. En effet pour les sunnites, le Coran est une oeuvre divine qui se suffit à elle-même et la tâche du calife est uniquement de guider les croyants vers Allah par la prière.
Les futurs chiites pensent que les hommes n’ont pas le droit de désigner un leader de l’Islam, la décision revient à Dieu et comme Mahomet fut le seul prophète envoyé par Dieu, le nouveau leader de l’Islam ne peut que faire partie de la famille du prophète. Ils reconnaissent donc comme successeur le cousin de Mahomet, Ali ibn Abi Talib. Ce dernier est considéré comme investi de la parole divine.
La division entre ces deux branches est totale depuis le règne d’Ali, finalement quatrième et dernier calife de l’islam unifié entre 656 et 661.
Pour imposer cette idéologie, Daesh s’est développé là où l’instabilité politique est le terreau de l’extrémisme : Afghanistan, Somalie, Libye et bien sûr depuis l’intervention américaine et les printemps arabes, l’Irak et la Syrie. Deux régions aussi marquées par les tensions religieuses, les chiites étant au pouvoir. Persécutés, les sunnites sont d’autant plus réceptifs aux arguments de Daesh : l’ordre pour les sunnites, la mort pour les chiites.
Une armée, un territoireUne administration et des servicesDes moyens financiersUne géopolitique
Daesh contrôle près de 230 000 kilomètres carrés (autant que la Grande-Bretagne) soit la moitié de la Syrie et un tiers de l’Irak. La conquête d’un tel territoire – et la lutte contre deux armées nationales – nécessite de disposer d’une armée. Daesh comprend entre 30 000 et 50 000 djihadistes – 100 000 pour les estimations les plus hautes – bien entraînés, équipés et endoctrinés. Mais tous ne combattent pas : ils assurent l’ordre, l’approvisionnement, le respect de la charia, la propagande de l’organisation.
Il existe des services qui font de Daesh un « proto-État ». Au-delà des opérations militaires, il faut bien gérer l’approvisionnement et la vie quotidienne des troupes et des 5 à 10 millions de civils qui sont sous la coupe de l’organisation. Les djihadistes sont payés et reçoivent une maison et des femmes afin de préparer la prochaine génération de combattants. Les enfants vont à l’école et apprennent à se battre. Une véritable administration, sous la tutelle d’un gouvernement, assure la gestion des hôpitaux, des transports publics, des distributions de nourriture… Mais bien sûr, aucun autre État ne reconnaît l’État islamique en tant que tel.
Pour entretenir son « État », Daesh doit compter sur des ressources stables. En juin dernier, la prise de Mossoul, deuxième ville d’Irak, lui a assuré un butin de plusieurs centaines de millions de dollars. Les ressources en énergie fossile et en phosphate, l’agriculture, la vente d’œuvres d’art mais surtout l’argent extorqué aux habitants, aux commerces, aux transporteurs en transit et aux familles des captifs, sans oublier les dons, lui assurent 2,4 milliards d’euros de gains annuels.
Daesh a de quoi financer sa stratégie géopolitique : abattre les frontières entre Syrie et Irak, créées par les Occidentaux après la Grande Guerre, pour établir un « Sunnistan / Jihadistan » ; poursuivre son extension dans le monde arabe, là où le terrain est propice ; menacer l’Occident, en divisant et endoctrinant ses ressortissants, en visant ses intérêts, en poussant les migrants dans ses bras. Tout est fait pour précipiter le retour des Occidentaux et provoquer une étincelle dans la poudrière moyen-orientale.
Une marque qui s'exporteAtypique et contradictoire
En économie, Daesh pourrait être comparé à un conglomérat multinational : ses activités sont variées, des hydrocarbures au commerce d’art. Ses interlocuteurs, comme ses cadres, viennent de tous les horizons : du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Europe, d’Asie et même d’Amérique et d’Océanie. Sa « marque », boostée par le « label » califat, connaît un grand succès sur les réseaux sociaux, les retombées dans la presse sont importantes et attirent de plus en plus de « franchisés » potentiels : Libye, Yémen, Pakistan, Somalie et Nigéria…
L’État islamique permet à des groupes comme Boko-Haram d’agir en son nom, à condition qu’ils adoptent leur couleur, leurs méthodes (façon d’exécuter, attentats…) et produisent des contenus de la même qualité. Des instructeurs sont même dépêchés sur place pour assurer la formation de ces nouvelles filiales, qui profitent de la notoriété de l’organisation pour attirer les dons et les nouvelles recrues ou encore pour négocier à la hausse le prix des otages.
C’est cette dimension médiatique et économique qui fait la grande nouveauté de Daesh. Tout comme ses contradictions : à la fois groupe le plus fondamentaliste, par son interprétation du Coran et la remise en place du califat, et le plus ouvert sur l’Occident, ses ressortissants et ses technologies. Il prône la lutte contre les chiites et l’Occident, pourtant ce sont les sunnites qui sont ses principales victimes.
Son idéologie, proche du wahhabisme d’Arabie Saoudite – très stricts, les Saoudiens vont jusqu’à recouvrir de béton les tombeaux de la famille de Mahomet pour éviter l’idolâtrie – préconise la destruction des lieux de culte et des objets jugés déviants. Mais elle s’efface bien vite devant les euros et les dollars que des collectionneurs peu scrupuleux déboursent pour s’offrir ces pièces d’exception.
Une secte ?
Un lavage de cerveauDes personnes déboussolées
Tous les membres de Daesh sont fanatisés, apprennent par cœur la propagande de l’organisation et les textes religieux. Tous sont capables de réciter des imprécations envers les autres musulmans et des menaces contre l’Occident. Ils utilisent des phrases chocs, tant dans les vidéos que dans les conversations en ligne qu’ils ont avec des candidats au djihad. La folie de Daesh pousse ses membres jusqu’à organiser des concours de récitations des versets les plus violents du Coran : des esclaves sont offertes au gagnant.
Les motivations de ses membres sont aussi variées que contradictoires : des Syriens issus de la révolution contre le régime de Bachar qui s’allient à l’État islamique faute de mieux ; des convertis occidentaux qui partent dans une aventure fantasmée sans jamais avoir mis les pieds dans une mosquée ; des djihadistes proches des mercenaires, qui vivent au gré des conflits, du Pakistan au Sahel ; des musulmans radicalisés par des prêcheurs financés à coup de pétrodollars et qui font plus dans la géopolitique que dans le religieux.
Des gens perdus dans un monde où le progrès des nouvelles technologies rend d’autant plus visibles et insupportables ses inégalités ; où la diffusion des « valeurs » occidentales, émancipatrices et individualistes, brouille les rapports ancestraux à la culture et à la communauté ; et où pourtant, la démocratie, si valorisée en Occident, reste la tyrannie ailleurs. Tyrannie religieuse, tyrannie politique, tyrannie économique : chacun trouvera une raison, bonne ou mauvaise, de s’indigner et de rejoindre une organisation qui prend l’aspect d’une secte mais cache le cancer de notre société.
Pour creuser la question :
Daesh, ni terroriste, ni étatique, ni sectaire ?
Une fois ce constat établi, peut-on pour autant définir avec certitude ce qu’est Daesh ? Non.
Est-ce plus une organisation terroriste ou une secte qui veut imposer son idéologie ? Une organisation étatique ou une « marque », dont les membres ne cherchent que l’argent facile et le pouvoir sur un territoire ? Rien de tout ça ?
Ce que vous venez de lire n’est que la formulation d’hypothèses, une grille de lecture simplifiée, construite d’après les informations qui ressortent de l’activité et du territoire de l’organisation. En réalité, il est très difficile de cerner les intentions de l’EI.
D’après l’expert Xavier Raufer, interviewé par France Info après le 13 novembre, personne n’est capable de définir ce qu’est Daesh : parmi les dizaines de dirigeants de l’organisation islamiste identifiés par les Occidentaux, aucun n’est un « islamiste » pur souche, qui a fait par exemple l’Afghanistan ou a écrit des textes religieux (le « calife » de Daesh, Abu Bakr al-Baghdadi, est bien docteur en théologie, mais il a fait ses études par défaut après avoir été rejeté de l’armée irakienne et de la fac de droit, ndlr). Au contraire, une majorité d’entre eux est issue des cadres du régime de Saddam Hussein, laïques qui buvaient volontiers un petit rouge au repas.
L’expert n’hésite pas à désigner l’organisation comme une armée mercenaire, dont l’aspect religieux n’est qu’un prétexte : ils déclarent faire la guerre aux chiites, mais affrontent très peu le régime de Bachar el-Assad et se contentent de lutter contre les rebelles syriens, les tribus sunnites indépendantes ou les minorités comme les yézidis, bref des gens qui a priori s’opposent aussi à Bachar ou au gouvernement chiite d’Irak…
Derrière un mercenaire, il y a un commanditaire. Difficile de dire, dans le foutoir géopolitique qu’est le Moyen-Orient, pour qui roule Daesh selon Xavier Raufer.
Quelles différences avec al-Qaïda ?
Jusqu’ici, Daesh ne se démarque pas tellement de notre référence à tous en matière de terroristes se revendiquant de l’islam : al-Qaïda. Présent dans chaque région où le djihad est possible (Afghanistan, son berceau, mais aussi dans le Sahara avec AQMI, au Yémen avec AQPA ou en Syrie avec le Front al-Nosra), l’organisation d’Oussama Ben Laden prône le djihad contre l’Occident et est responsable des attentats les plus meurtriers de notre époque, à commencer par l’attaque du World Trade Center.
Pas étonnant qu’avant de devenir Daesh, l’État islamique se nommait al-Qaïda en Irak et luttait contre les Occidentaux qui avaient mis fin au régime de Saddam. Mais en 2011, les Américains laissent les clefs du pays aux chiites et relâchent de nombreux djihadistes et d’anciens officiers sunnites de Saddam. La même année, la guerre civile éclate en Syrie où le régime alaouite de Bachar (chiite) bombarde la majorité sunnite du nord du pays.
Daesh diffère alors d’al-Qaïda. Le djihad s’oriente contre les chiites et se structure grâce aux anciens militaires irakiens qui aimeraient reprendre le contrôle du pays, ou du moins créer un pays pour les Arabes sunnites encerclés par « l’arc chiite » : Iran, Irak, Syrie, Liban. La stratégie de Bachar el-Assad en Syrie est une aubaine : il libère des djihadistes et encourage les sunnites à prendre les armes contre lui afin de légitimer la répression. Son armée défend au maximum le sud du pays, chiite et chrétien, et délaisse le nord sunnite. Plus les terroristes sont forts, plus son régime devient indispensable pour lutter contre eux et a des chances de s’entendre avec les Occidentaux.
L’armée et le pays dont rêve Daesh sont en gestation.
Quelles différences avec les Talibans ?
Là-aussi, la description que je viens de faire de Daesh pourrait rappeler celle des Talibans. Je suis certain que vous saurez décrire dans les grandes lignes qui ils sont : des alliés d’al-Qaïda qui faisaient régner la charia en Afghanistan jusqu’à l’intervention américaine en 2001. Mais saviez-vous que les Talibans étaient plus reliés entre eux par des convictions théologiques que par des liens ethniques ou géographiques ?
Menés par le fameux mollah Omar, ils se répandent dans les écoles coraniques de l’est de l’Afghanistan et l’ouest du Pakistan au début des années 90. Ils profitent à cette époque de l’instabilité politique et des luttes entre anciens moudjahidines – ceux qui s’opposaient aux Soviétiques jusqu’en 1989 – pour le pouvoir en Afghanistan pour s’en emparer. De 1996 à 2001, ils proclament un Émirat islamique et contrôlent l’ensemble du pays, à l’exception du nord tenu par les hommes du fameux commandant Massoud, assassiné quelques jours avant le 11 septembre.
Mais, même s’ils ont été reconnus par d’autres États – contrairement à Daesh – et font régner la charia, les Talibans n’ont jamais mis en place une administration aussi performante, ni profité d’une manne financière aussi importante que Daesh. Leurs hommes n’ont jamais été aussi bien équipés et ils n’ont affronté que des milices qui l’étaient encore moins, quand Daesh lutte contre de vraies armées. Enfin, l’influence des Talibans n’a jamais dépassé le monde musulman. C’est là la force de Daesh : allier la notoriété d’une « marque » comme al-Qaïda à l’assise territoriale des Talibans, en menant le tout bien plus loin que ce que ses prédécesseurs avaient été capables de faire.
État islamique, EI, EIIL, Daesh : comment nommer l'organisation ?
Toutes ces appellations se valent, elles veulent toutes dire la même chose. L’État islamique en Irak et au Levant s’appelle simplement l’État islamique depuis la proclamation du califat. L’organisation veut montrer sa vocation internationale, qui ne se limite pas à l’Irak et au Levant (Syrie, Liban, Israël) depuis l’allégeance de groupes africains.
EI et EIIL sont des acronymes, tout comme Daesh, traduction d’EIIL (ad-Dawla Al-islamiya fi’l Iraq wash Sham) en arabe. Mais contrairement à ses équivalents occidentaux, l’expression « Daesh » a pris une tournure très péjorative dans le monde musulman. Selon Europe 1 et Romain Caillet, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, elle a « une prononciation particulièrement repoussante, très gutturale ». Pour Wassim Nasr, journaliste de France 24, Daesh sonne comme d’autres mots arabes qui signifient « celui qui écrase », « tumeur sous l’ongle » ou qui rappellent une période sombre de l’islam, celle du schisme entre sunnites et chiites.
Les djihadistes punissent tous ceux qui osent utiliser ce nom. « Le terme « Da’ech »n’est pas péjoratif en soi, il l’est devenu en raison du contenu qu’on lui associe: les exactions, les exécutions, les offensives, etc. », explique Myriam Benraad, une politologue spécialiste de l’islam, à Slate.
Au contraire, État islamique donne une connotation positive à l’organisation, alors que nombreux sont ceux à ne la considérer ni comme un État légitime, ni comme une forme d’organisation relevant de l’islam. Les djihadistes essayent de se donner une véritable légitimité : « ils sont dans une logique de pureté de la langue. Leurs communiqués sont écrits dans un arabe parfait et donc choisi et sans faute, ce qui leur permet d’affirmer leur identité et de recruter plus. Ils n’utilisent donc pas cet acronyme » rappelle Myriam Benraad.
Les mobiles ont bouleversé deux fois notre mode de vie : en nous mettant en contact, partout, tout le temps. Puis en nous mettant en réseau, via Internet désormais directement disponible.
Et ce n’est que le début, avec l’apparition d’objets connectés et d’applications qui remplissent le moindre de nos besoins. Se posent alors deux problématiques : comment en faciliter l’utilisation grâce à une meilleure ergonomie et dans un écosystème ouvert ?
Des applications et des supports toujours plus variés
Internet est de plus en plus mobile : toutes les études tendent à faire des smartphones et tablettes notre moyen privilégié pour naviguer en ligne, via un nombre croissant d’applications.
En plus de celles qui sont pré-installées sur notre mobile en fonction du système d’exploitation ou de la marque, nous avons tous au moins une fois téléchargé une application à partir d’un store. Des millions y sont en concurrence pour remplir le moindre de nos besoins : des réseaux sociaux et messageries mobiles, au divertissement, en passant par les utilitaires, les applications des médias ou des services comme Facebook, WhatsApp, YouTube, SIOU ou Uber.
« Chaque jour ce sont plusieurs centaines de millions d’applications qui sont téléchargées et le secteur connaît une croissance exponentielle » explique Jean-Christophe Martin, fondateur de SIOU, une nouvelle solution de gestion d’applications mobiles.
Applications mobiles, les chiffres
Environ 350 millions de téléchargements sont réalisés quotidiennement à partir des stores d’Apple et Google. Il faut y ajouter ceux effectués sur les magasins de Windows ou Amazon et sur des stores plus confidentiels comme Cydia, pour les applications introuvables sur le store de la marque à la pomme.
L’an passé il y avait respectivement 1,2 et 1,4 million d’applications sur l’Apple App Store et sur Google Play, les deux magasins en ligne des principaux systèmes d’exploitation mobiles que sont iOS et Android (environ 15% du marché pour le premier, 80% pour le second).
On est bien loin des 500 apps disponibles en 2008 sur le store d’Apple, quelques mois après la présentation par Steve Jobs de l’iPhone, le premier smartphone à succès. En 2009, pour ses débuts, le store de Google comptait quant à lui seulement 2300 applications !
En sept ans, on est passé de quelques milliers à plus de 2 millions d’applications disponibles au téléchargement. De quoi mettre une sacrée pagaille sur nos mobiles et sur les stores.
« Nous disposons en moyenne d’une centaine d’applications par mobile. On vous laisse imaginer la situation quand ce chiffre va doubler sur des écrans dont la taille approche généralement les 5 ou 6 pouces (entre 12 et 15cm environ, ndlr), et qui vont encore se réduire avec l’essor des smartwatches« , résume le fondateur de SIOU, qui décrit une problématique touchant deux milliards d’utilisateurs mobiles dans le monde, en attendant ceux des marchés émergents.
Et ce n’est pas tout : après les smartphones et les tablettes tactiles, les objets connectés devraient aussi se démocratiser, malgré les échecs relatifs de l’Apple Watch et des Google Glass.
« L’arrivée de nouveaux supports comme les smart TV ou les smartwatches (les montres connectées, ndlr) ne va faire que renforcer le développement de nouveaux besoins spécifiques à ces « devices » (un mot générique qu’on utilise pour désigner un petit peu tout ce qui a un écran et qui permet de se connecter à Internet, ndlr) et donc de nouvelles applications pour y répondre. »
Comment faire alors pour s’y retrouver dans des stores et des mobiles surchargés ? Pour s’adapter à des ergonomies qui évoluent en fonction des supports mais aussi en fonction des environnements cloisonnés par les constructeurs et les systèmes d’exploitation concurrents ?
Peu d’innovation en matière de gestion d’applications mobiles
Un constat à la base de la réflexion de SIOU, qui veut rendre l’utilisation d’applications mobiles sur smartphone et tablette elle aussi plus intelligente.
« Simplifier l’usage et la recherche quotidienne de nos applications, améliorer et personnaliser l’expérience des utilisateurs tout en préservant leur environnement original et celui du constructeur« , c’est le leitmotiv de SIOU qui propose une solution automatique pour organiser nos applications mobiles sur un dashboard (un écran d’accueil, ndlr), tant sur les téléphones et tablettes iOS que sur Android ou Cyanogen.
« On essaye de répondre à une problématique mondialeà laquelle sont confrontés la plupart des acteurs majeurs du secteur » confie Jean-Christophe Martin. « Aucun n’est en mesure de fournir par défaut une solution pratique nous permettant d’organiser librement et instantanément nos applications. On peut toujours télécharger un « smartlauncher », mais il faut installer un nouvel environnement sur un système déjà en place au détriment de l’interface, de la mémoire et de la batterie du mobile. »
SIOU s’attaque également à la navigation sur les stores pour faciliter la découverte de nouvelles applications : l’accès à ces dernières peut se faire depuis le dashboard, sans avoir à ouvrir le store et remplir des critères de recherche.
Si vous voulez vous faire une idée :
« On fait face à l’absence d’innovations dans ce domaine de la part des constructeurs. Il n’y a rien d’automatique, vous êtes toujours obligés de faire à la main tout ce qui touche à votre consommation d’application, de la recherche sur le store à l’organisation sur votre dashboard (votre écran d’accueil, ndlr). C’est un peu archaïque comme façon de procéder, surtout si vous répétez ces taches à chaque nouveau téléchargement et pire, à chaque changement de téléphone ! »
Imaginez maintenant faire ça sur le minuscule écran d’une montre ou pire, en utilisant vos yeux à la place de vos doigts et vous comprenez le défi que représente l’émergence de l’IoT (Internet of Things, courant dans lequel s’inscrivent les objets connectés, ndlr) pour l’expérience utilisateur.
Introduire plus d’automatisme semble donc une bonne piste. Inspiré des choix déjà réalisés par SIOU, on peut ainsi imaginer une solution qui analyse votre usage mobile et vous suggère de télécharger les applications qui correspondent le plus à vos besoins. Puis d’organiser et de retrouver ces applications indifféremment sur votre smartphone, smartwatch, smartTV, etc.
C’est ici qu’apparaît notre deuxième problématique : donner plus de liberté aux utilisateurs en améliorant l’ergonomie est une chose, mais comment faire si l’utilisateur est prisonnier d’un même environnement ?
Des utilisateurs contraints par les environnements trop fermés
On connaît la musique : tout vous encourage à rester fidèle à un environnement unique. C’est plus simple quand on a un Mac d’avoir un iPhone, une AppleWatch ou une AppleTV, qui peuvent interagir entre eux.
Quitte à ce que les constructeurs en profitent. En effet, ces derniers sont toujours à la recherche de nouvelles fonctionnalités, mais ne peuvent pas tout développer en interne, d’où le dynamisme du secteur des startups mobiles.
Même si ces dernières permettent aux utilisateurs de bénéficier de fonctionnalités manquantes, elles restent dépendantes des constructeurs, qui contrôlent les conditions d’accès à leur store et n’hésitent pas à privilégier leurs intérêts aux nôtres.
Pour revenir à la suggestion d’applications, certains ont peut-être encore en mémoire l’exemple d’AppGratis, l’application française aux 12 millions d’utilisateurs qui permettait de télécharger gratuitement chaque jour une application payante iOS : début 2013, Apple décide brutalement de la supprimer de son store, avant de proposer quelques mois plus tard sa propre version.
Projetez-vous maintenant au-delà des montres et des lunettes, dans un monde où nous aurons des voitures et des maisons connectées. Il y a fort à parier que ce qui est vrai pour les mobiles et les objets connectés le soit pour ces nouveaux marchés. Êtes-vous prêt à faire confiance à un unique environnement et une unique entreprise pour tout ça ?
Là aussi la démarche de SIOU offre une piste de réflexion. Les développeurs de la start-up ont conçu une application système qui coopère au maximum avec le code d’iOS et d’Android. Jean-Christophe Martin insiste sur leur travail : « On veut améliorer l’expérience de l’utilisateur, il ne faut pas qu’il soit perdu par rapport à l’interface dont il a l’habitude. Il faut aussi que l’application soit fiable et fonctionne pour tous les systèmes : au moindre bug, on perd la confiance de l’utilisateur. Et ça nous permet enfin de proposer une technologie modulable qui reconnaît et s’adapte automatiquement au système d’exploitation que vous utilisez. »
En plus d’iOS et d’Android, lLa start-up a ainsi misé sur Cyanogen, un système d’exploitation alternatif qui emprunte les éléments open source d’Android. « Le succès de Cyanogen tient au fait qu’il tire le meilleur de sa communauté de 85 000 ingénieurs et intègre petit à petit les fonctionnalités les plus optimisées » avance Jean-Christophe Martin.
Une alternative qui a déjà séduit près de 55 millions d’utilisateurs dans le monde, désireux de profiter des applications open source les plus innovantes sans être tributaire d’un environnement. Des téléphones commencent même à être développés sous ce système d’exploitation, comme l’anglais Wileyfox.
Même si les constructeurs phares sont conscients des limites des environnements fermés (Steve Wozniak, co-fondateur d’Apple, avait ainsi évoqué un temps l’intérêt d’un iPhone sous Android), on peut imaginer que l’essor des voitures et maisons connectées sera accompagné d’un mouvement open source similaire, à même d’offrir une alternative aux utilisateurs comme Jean-Christophe Martin, qui nous a confié être proche de quitter son iPhone pour un téléphone sous Cyanogen.
L’image en question, c’est celle d’Aylan, un petit Kurde syrien originaire de Kobané, né après le début de la guerre civile et qui cherchait à rejoindre l’île grecque de Kos, à quelques kilomètres seulement de la Turquie, où son corps a été retrouvé mercredi matin.
Son père survivant voulait rejoindre sa sœur, qui vit au Canada depuis 20 ans, et offrir un avenir à ses deux enfants qui n’avaient connu que le chaos.
Ce que l’image ne montre pas, ce sont les douze autres réfugiés qui ont trouvé la mort en tentant la même traversée, dont le frère et la mère d’Aylan. L’image ne montre pas non plus tous les réfugiés qui ont perdu la vie en nourrissant les mêmes rêves.
Cette image ne devrait pas être nécessaire pour changer notre regard sur la tragédie qui se joue aujourd’hui au large, sur nos plages ou dans nos gares. Qui n’est pas au courant du drame qui touche des centaines de milliers de réfugiés, venus du Moyen-Orient et d’Afrique ?
Il faut s’attendre à une explosion du nombre de réfugiés
On nous parle quotidiennement des naufrages qui font plusieurs centaines de morts, des accidents liés au passage de certains points chauds comme à Calais ou à la frontière hongroise, ou simplement des conditions de vie déplorables des « migrants ».
Des personnes qu’on devrait plutôt nommer « réfugiés », et cela même si elles ont un job au Royaume-Uni ou en Amérique du Nord comme objectif et quelle que soit leur origine : Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, corne de l’Afrique, Soudan, Centrafrique, Congo, région du lac Tchad, Mali… toutes des zones touchées par l’extrémisme et la guerre civile.
Mais ça, les médias nous le montrent déjà en boucle. Au passage, c’est intéressant de noter le caractère grégaire des journalistes français, qui nous parlent d’une image, pour la simple et bonne raison que le monde entier en parle déjà : vérifiez la presse d’hier : regardez la Une et les titres de journaux comme The Independent, The Time, The Washington Post, El Pais, et tant d’autres qui, même sans nous montrer le corps du petit Aylan, nous parlent de l’horreur que vivent les migrants.
En France, il n’y a que Le Monde, et encore, c’est un journal du soir qui a eu le temps jeudi de sentir la vague (et les ventes) monter.
Un kiosquier av. Bugeaud dévalisé de ses exemplaires de #LeMonde parce la photo du petit #Aylan est en Une.
Mais la question n’est pas ici de faire (encore) le procès de la presse. Ni de dire que cette photo va changer notre compréhension du drame migratoire. Ce sont les mêmes scènes qui se répètent inlassablement, des guerres d’Afrique au conflit qui a ravagé l’Europe il y a à peine 70 ans, et notre société est habituée à voir ce genre de clichés chocs, qui montre l’horreur de la guerre ou de la crise humanitaire par le prisme de l’enfance. Plusieurs articles en font un très bon inventaire.
L’important est d’expliquer un phénomène qui ne va que s’aggraver, et de dépasser nos appréhensions primaires pour se focaliser sur les solutions qui s’offrent à nous. On sait le Moyen-Orient et l’Afrique instables et plongés dans la crise politique et économique ; on sait que le réchauffement climatique ( la sécheresse est l’une des causes de la révolution en Syrie ) et la montée des eaux vont augmenter ce flux de réfugiés. Je n’ai pas la prétention de dire que j’ai une solution. Mais en ce qui concerne le sort que l’on doit réserver à ces réfugiés, j’ai ma petite idée.
L’Europe peut tout mais tente peu
L’Union européenne compte plus de 500 millions d’habitants et est la première puissance économique mondiale. Aujourd’hui, on pinaille pour savoir comment répartir entre les 28 quelques centaines de milliers de demandeurs d’asile. Ils sont 800 000 en Allemagne, quatre fois plus que l’an passé. Le premier pays de la zone euro est celui qui accueille le plus de réfugiés, soit environ 32% de l’ensemble des demandeurs d’asile de l’UE, et pourtant il semble au bord de la rupture.
Le Liban est un minuscule pays de 10 000 km2 et un peu plus de 5,5 millions d’habitants. La densité de population y est cinq fois plus élevée qu’en UE. Le pays est miné depuis des décennies par la guerre civile, ruiné par les conflits successifs avec Israël et en proie depuis plus d’un mois à une grave crise sanitaire et politique, dont vous n’avez certainement pas entendu parler. Il accueille plus d’un million de réfugiés sur son sol. La Jordanie, la Turquie et l’Iran, qui ont bien sûr plus de moyens, font de même.
Et si les réfugiés ne sont pas pour autant sauvés (le Liban les rejette de plus en plus), les conditions de vie y sont meilleures qu’en Europe, grâce à l’aide de l’ONU certes, mais quand même ! En Hongrie, des milliers de personnes dorment dans les gares, les parcs ou aux alentours, avec seulement quelques points d’eau à disposition. C’est une crise humanitaire, crise que les comptables de l’UE n’arrivent pas à gérer avec leurs méthodes habituelles, à coup de normes et de quotas.
« En juillet, les Européens se sont mis d’accord pour réinstaller 22 500 réfugiés syriens vivant actuellement dans des pays du Proche-Orient (Liban, Jordanie). Ils ne sont, également, parvenus à s’entendre que sur la répartition volontaire de 32 256 demandeurs d’asile arrivés en Grèce et en Italie, deux pays qui n’arrivent plus à faire face à la situation. Un chiffre dérisoire face à l’ampleur des arrivées » jugeait Le Monde le 19 août, avant d’évoquer les solutions envisagées par nos gouvernants :
« Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a indiqué mardi quatre sujets qui pourraient constituer les grands axes d’un plan franco-allemand. Il s’agirait tout d’abord de créer des « points d’enregistrement » (hot spots) là où les réfugiés arrivent. (…) Deuxièmement, des procédures accélérées devraient être mises en place afin que ceux qui n’obtiennent pas l’asile repartent effectivement et rapidement. En Allemagne, Mme Merkel a reconnu qu’on ne pouvait plus travailler en « mode normal ». Le pays rappelle des retraités ou fait appel à des fonctionnaires d’autres administrations pour venir en aide aux services d’immigration. Troisième axe : aider les pays de transit sur la route de l’UE à lutter contre les filières clandestines. La France pense surtout à la Libye et au Niger, l’Allemagne aux Balkans. Quatrième axe : à plus long terme, aider au développement des pays de départ afin de tarir le flux à la source. »
350 000 « migrants » ont tenté la traversée de la Méditerranée depuis le début de 2015, contre 220 000 pour toute l’année 2014. Les 2/3 arrivent en Europe par la Grèce : c’est le chemin le plus logique pour les réfugiés politiques syriens, irakiens et afghans, qui méritent en majorité l’asile.
Au total, 2643 sont déjà morts en mer cette année. Ils étaient 3500 l’an passé. Combien sont les victimes inconnues d’autres axes de passage, quand ils ne succombent pas simplement avant même d’atteindre la Méditerranée ? Combien de corps balisent les routes qui mènent en Syrie, en Érythrée ?
Combien sont au fond des eaux dans lesquelles nous avons passé une partie de nos vacances cet été ? Combien sont, comme Aylan, retrouvés sur les plages qui nous font tant rêver ? Pourquoi ne pas donner plus de moyens aux ambassades et au consulats européens, dans les pays frontaliers de la Syrie, pour que les demandes d’asile et de visa soient traitées avant que les réfugiés, par désespoir, ne fassent confiance aux passeurs ? Pourquoi ne pas intervenir en Lybie, où le chaos règne depuis la chute de Kadhafi, pour y instaurer ces fameux « hot spots », avec l’aide de l’ONU, à la façon de ce qui se fait aux frontières de la Syrie et de l’Irak ? De là-bas, nous pourrions empêcher ces innombrables noyades et lutter efficacement contre ces mêmes passeurs, coupant par la même occasion des sources de revenus aux groupes terroristes qui sont la cause de la fuite des migrants.
Accueillir les réfugiés : plus qu’une responsabilité, une opportunité
Et j’irai même plus loin : combien, parmi ceux qui sont morts ou qui attendent entassés dans les gares et les bidonvilles, sont des médecins, des ingénieurs, des avocats, ou même des ouvriers, des étudiants, de jeunes enfants ? Combien de talents sont ainsi gâchés, combien de familles courageuses ont tout quitté pour prouver au monde qu’elles préfèrent la vie à la tyrannie, à l’extrémisme ?
Accueillons-les, donnons leurs les moyens de vivre, de s’enrichir, d’utiliser leurs talents pour inventer une alternative à la situation de leurs pays. N’allons pas imaginer qu’ils rêvent de prendre notre place, notre emploi, notre bouffe et notre maison : ils n’aspirent qu’à vivre sans danger, chez eux de préférence. Offrons à ces enfants une autre jeunesse que celle de la guerre, de l’ignorance, de la tyrannie et de la haine : offrons à ces enfants une jeunesse de paix, d’éducation, de démocratie et de tolérance, qu’ils pourront un jour transmettre à leurs propres enfants, une fois de retour au pays.
Ce n’est pas un coût, c’est un investissement. Un investissement de quelques milliards d’euros sans doute, mais à mettre en perspective avec les dizaines et les dizaines de milliards dépensés pour sauver la Grèce il y a peu où renflouer notre système bancaire avant ça. L’Europe est seule face à ses responsabilités, mais elle est aussi la seule à pouvoir saisir cette opportunité.
Nous payons aujourd’hui le prix de notre impérialisme, de notre volonté d’imposer à ces populations notre façon de vivre, de consommer et de se gouverner. Encore une fois, Claude Lévi-Strauss peut nous aider à y voir plus clair, comme le rappelle cet article du Figaro, dont je ne partage cependant pas toutes les conclusions : l’anthropologue soutient que les civilisations, cultures ou nations, pour progresser, ont besoin d’échanger entre elles, ce qui sous-entend qu’elles sont différentes dans de nombreux domaines. Or la mondialisation, du moins celle qu’on a connu depuis plus d’un siècle, conduit à une homogénéisation forcée des sociétés humaines autrefois indépendantes : soit via le « hard power » colonial, soit via le « soft power » capitaliste.
Au Figaro de citer Lévi pour conclure : « on doit reconnaître que cette diversité [du monde] résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi: elles ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais pour ne pas périr, il faut que persiste entre elles une certaine imperméabilité. »
Accueillir ses réfugiés et les enrichir momentanément aujourd’hui, c’est enrichir leurs pays demain et éviter qu’une horde croissante de désespérés viennent mourir à notre porte en nous demandant des comptes.
Alors vous serez nombreux à penser que ce n’est pas si simple, et je suis d’accord.
Comment répartir les migrants de façon équitable entre les pays d’Europe, alors que ces derniers n’ont d’yeux que pour l’Angleterre et l’Allemagne, leur faible chômage, leurs emplois sous-payés qui ne nécessitent pas toujours de papiers, leur communautarisme où l’on trouve toujours des compatriotes ou de la famille ? On peut commencer par critiquer les politiques sociales menées dans ces deux pays, mais aussi proposer des conditions d’accueil aussi favorables dans les autres. C’est l’extrême mobilité des réfugiés une fois en Europe qui empêche la mise en place de structures d’accueil satisfaisantes.
Mais là aussi, vous me demanderez où placer tout ce petit monde et comment les occuper, alors que le chômage est déjà au plus haut ? Pour ne s’intéresser qu’au cas de la France, connaissez-vous Chambon-le-Château, charmant village lozérien, qui accueille depuis plusieurs années une cinquantaine de demandeurs d’asile ? Sans idéaliser leur impact sur l’économie locale, ils offrent une aide précieuse pour le maintien des petits commerces, d’une poste et d’une école. Rien de révolutionnaire, mais il y a tellement de villages en train de mourir en France que c’est une piste qui mérite d’être évoquée. Nos agriculteurs se plaignent de ne pas pouvoir employer de la main-d’œuvre à bas coûts, comme en Allemagne ? Nous devons recruter des médecins étrangers pour lutter contre le désert rural ? Tant d’autres pistes… Et pour être cynique, on peut aller jusqu’à dire que la gestion des réfugiés devrait créer de plus en plus d’emplois !
Enfin, vous pouvez évoquer le fait que des conditions d’accueil de plus en plus favorables vont inciter les migrants à tenter leur chance. Mais il faut être lucide : les conditions actuelles n’empêchent pas les parents de se jeter à l’eau en entraînant leur famille. L’appel d’air n’est pas de notre côté de la mer, c’est la guerre qui attise leur désir de partir. L’exemple tragique d’Aylan montre aussi que l’Europe n’est qu’une étape pour beaucoup de réfugiés : alors que l’Asie du sud-est connaît une crise similaire, il est temps d’envisager une réponse mondiale. Surtout que certains pays, notamment ceux du Golfe, qui sont en partie responsables de la crise qui touche l’Irak et la Syrie, n’ont accueilli aucun réfugié sur leur sol ! En attendant, plusieurs millions de réfugiés sont déjà en Europe, et je nous vois mal tous les raccompagner hors de l’UE.
Comme le dit très justement Daniel Schneidermann, d’@rrêt sur images, à propos de celle qui nous intéresse :
« C’est la photo qui va faire bouger les consciences. Pourquoi celle-ci ? Des dizaines, des centaines d’enfants comme Aylan se sont noyés ces derniers mois en Méditerranée. Mais Aylan s’est peut-être noyé au bon moment. Au moment où la banquise européenne commence à craquer, où dans les discours politiques le mot réfugié l’emporte sur le mot migrant, où Angela Merkel vient de décider de ne plus renvoyer d’Allemagne les réfugiés syriens. Aylan s’est endormi au bon moment et au bon endroit comme le résume, plus efficace que tous les discours, le photomontage d’un internaute. »
Il suffit parfois d’une image pour aller au-delà des peurs et du populisme. Traitez-moi d’utopiste, mais face à l’horreur, il faut aussi savoir rêver.
L’ambition de l’État islamique est de perdurer et de se renforcer assez pour continuer son expansion : Irak, Syrie, Liban, Jordanie et surtout Israël. Cette politique demande évidemment des ressources, mais aussi le contrôle des territoires et des populations.
La stratégie de communication et de séduction mise en place par l’organisation pour attirer de nouvelles recrues va ainsi de pair avec la constitution d’un véritable proto-État dont la superficie est à peu près similaire à la Grande-Bretagne et la population varie selon les estimations entre 5 et 10 millions d’habitants.
Depuis Raqqa, ville du nord de la Syrie conquise en janvier 2014, l’organisation a mis en place une véritable administration, comme je l’indiquais en septembre dernier. Des ministères de la Santé, de l’Éducation, de la Défense, des Affaires religieuses ou encore de la Communication y ont été constitués.
Une administration, des services publics, des commerces ouverts…
Daesh a des attachés de presse, qui encadre les journalistes étrangers comme c’est le cas dans ce reportage en anglais de Vice News. Les tribunaux y jugent selon la loi islamique, une force de police a été constituée, les transports publics fonctionnent et l’organisation a mis en place ses propres écoles, où les jeunes se forment déjà au djihad.
Ses ressources trahissent cette évolution d’un groupuscule terroriste vers un véritable « État islamique »: auparavant largement financé par des intérêts étrangers, originaires des pays du Golfe, Daesh exploite désormais les ressources et les habitants de son territoire.
Quelles sont les ressources exploitées par Daesh ?Un sous-sol riche en hydrocarburesL'agriculturePillages et extorsionsLe trafic de droguesL'aide inattendue de... Bagdad
L’organisation contrôle le gros des réserves en pétrole, en gaz, mais aussi en phosphate de Syrie et d’Irak, soit une réserve estimée à 2000 milliards de dollars. Leur façon de les exploiter est artisanale, mais rapporte gros : lorsqu’un puits de pétrole est sécurisé, les djihadistes ouvrent les vannes à fond, creusent au bulldozer une tranchée où se déverse le liquide et utilisent de petites pompes pour remplir des camions-citernes.
On est loin de l’exploitation industrielle, mais la manne pétrolière rapportait à son apogée à l’organisation près de 2 millions de dollars par jour. Malgré l’embargo, les djihadistes alimentent le marché noir via la Turquie où des intermédiaires peu scrupuleux le mélange avec des importations légales. Ils profitent de l’expérience des anciens cadres du régime de Saddam Hussein, qui exportaient déjà depuis une vingtaine d’années le pétrole irakien via des routes de contrebande. Même topo pour le gaz et le phosphate. Ces trois ressources représentent plus de la moitié des revenus de l’organisation.
Néanmoins, après une année 2014 fastueuse, l’EI est victime de la baisse des cours du pétrole et des bombardements de la coalition qui visent les puits exploités par l’organisation.
Les exportations « made in Daesh » ne se limitent pas aux hydrocarbures : bien que la sécheresse devienne de plus en plus problématique – et pourrait être une des causes de la guerre civile syrienne – la région est un grenier historique qui produit du blé et du coton. On ne sait pas si l’EI vend directement les récoltes ou se contente de taxer les bénéfices, mais du coton syrien se retrouve également en Turquie, et cela de façon totalement légale, l’embargo ne concernant que les armes, le pétrole et les opérations bancaires. Ainsi, quand vous faites le plein ou achetez un t-shirt fabriqué en Turquie, vous financez peut-être les terroristes.
Le marché noir d’antiquités est aussi très lucratif grâce aux sites archéologiques et aux musées et archives tombés entre leurs mains. Puisque les virements sont interdits, l’organisation utilise pour être payée un système digne des premiers temps de la banque : un réseau de bureaux de change permet de déposer l’argent en Turquie et de demander à un bureau en Syrie ou en Irak de donner la même somme au destinataire. Les échanges vont dans les deux sens – il faut bien importer de la nourriture et des biens – aussi l’argent ne manque jamais. Les dons qui viennent des pays du Golfe passent par le même chemin, aussi utilisé au quotidien par la population.
Les commerçants subissent une véritable extorsion : Daesh vend sa « protection » à la manière des organisations criminelles. L’achat de marchandises est taxée, façon TVA, tandis que les camions qui les acheminent doivent s’acquitter d’un péage. Les djihadistes laissent même passer les camions et les bus qui transitent entre Damas et Bagdad (les deux capitales ennemies !) par leur territoire, tant que tout le monde paye la somme réglementaire…
On peut aussi évoquer le sort des esclaves. Pour récupérer une femme mariée de force ou un enfant envoyé dans un camp de formation, les familles peuvent payer une rançon : autour des 25 000 dollars, une fortune quand le salaire moyen n’est que de quelques centaines de dollars par mois.
Reste la drogue. Bien qu’elle y soit normalement interdite, comme l’alcool et le tabac, – les djihadistes allant jusqu’à filmer la destruction de cartouches de cigarettes sur leur territoire, alors qu’ils alimentent en parallèle le marché noir européen – elle circule en grande quantité sur le territoire de l’organisation, qui y produit des drogues synthétiques comme le captagon, une amphétamine.
Selon Radwan Mortada, un expert contacté par Arte, qui a consacré un reportage le mois dernier sur le sujet, un sac de 200 000 pilules coûte quelques milliers de dollars à produire pour un bénéfice d’un demi-million de dollars. 50 millions de pilules auraient été écoulées en 2014.
Le captagon, qui agit comme coupe-faim, anti-fatigue, anti-stress et anti-douleur, est aussi très populaire auprès des djihadistes. Les Kurdes, qui ont également retrouvé de la cocaïne et des seringues sur des prisonniers ou des corps, parlent de combattants drogués et fanatiques, qui ne tombent qu’après avoir été touchés à plusieurs reprises.
Plus ubuesque, l’organisation est même « aidée » par l’État irakien : puisque ses dirigeants pensent que Mossoul sera tôt ou tard reprise et qu’il faut bien continuer à entretenir la ville, près de 50 000 fonctionnaires irakiens continuent d’être payés par Bagdad, au profit des djihadistes qui ne dépensent pas un sou ! Les salaires sont payés via le réseau de bureaux utilisé pour toutes les transactions et tombent à moitié dans la poche de l’organisation.
Les témoignages en provenance de Raqqa indiquent que les habitants se sont adaptés à la présence de Daesh. L’activité commerciale et entrepreneuriale se poursuit au sein du Califat, tant pour assurer l’approvisionnement des habitants et plus particulièrement des combattants, que leur divertissement. Daesh publie même un véritable guide touristique à destination des djihadistes étrangers et de leur famille, où l’on vente la qualité du climat, la diversité des produits vendus dans les boutiques de la ville, l’ouverture de nouveaux restaurants – dont un chinois – ou encore les écoles qui fournissent une instruction en anglais !
Dans la même idée, on apprend qu’un service de protection des consommateurs vérifie la conformité des marchandises vendues, tant avec la charia qu’avec les normes sanitaires courantes…
Cette vidéo montre le quotidien à Raqqa, filmé en caméra cachée par une opposante syrienne qui a dû fuir en France après avoir été reconnue.
… mais un modèle criminel et sans lendemain
Cette normalité de façade est une technique utilisée par Daesh pour séduire ses partisans. Autre argument : les femmes et les enfants capturés parmi les opposants et les minorités chrétiennes et yézidies. Les personnes concernées sont une composante du butin tiré du djihad, lequel permet aux djihadistes de légitimer ces pratiques. Les cheiks et les émirs de l’organisation priment lors de la répartition des femmes, dont ils peuvent ensuite disposer à leur guise. Les plus belles sont parfois revendues plusieurs milliers de dollars sur les marchés humains mis en place par l’EI. Les autres, partagées par la troupe, ne valent parfois pas plus que le prix d’un paquet de cigarettes. Certaines peuvent être échangées une vingtaine de fois entre combattants…
Daesh, qui fournit aussi une maison et une ou plusieurs femmes, cherche à attirer de nouvelles recrues et à préparer la prochaine génération de combattants. La propagande de Daesh fait état de plus de 500 naissances à Raqqa, alors que les ONG décrivent des hôpitaux en ruine.
Pour profiter des différents trafics (drogues, esclaves…) et de l’ambiance des cafés et des restaurants dont les habitants sont exclus, les fonctionnaires et les combattants de l’organisation disposent d’un salaire minimum de 300 euros par mois. Au contraire, ceux qui ne sont pas avec l’organisation, même les plus pauvres, sont soumis à l’impôt, ce qui explique que certains préfèrent rejoindre l’EI et les avantages qu’il assure. Extorqués, ils extorquent à leur tour.
Pour limiter le mécontentement populaire et gérer les nombreux réfugiés qui viennent en ville fuir les combats, l’organisation doit veiller au fonctionnement des services publics : distributions gratuites de nourriture, fonctionnement des transports en commun ou du réseau postal… Daesh a les moyens de cette politique, avec des réserves proches de 2 milliards de dollars selon les spécialistes.
Mais ces moyens sont destinés avant tout aux djihadistes, comme le dénoncent des activistes syriens avec la campagne en ligne « Raqqa massacrée en silence« . Elle montre la dégradation du niveau de vie de la population et le renforcement de la répression des djihadistes envers ceux qui se plaignent. Les corps décapités qui décorent la ville rappellent aux habitants tout le poids de la charia.
En effet, les spécialistes pointent du doigt les ratés de la politique publique des djihadistes : selon Tom Keatinge, spécialiste britannique de la sécurité interviewé par l’International Business Times en avril dernier : « Daesh n’a pas tenu ses engagements. À Mossoul, le butane serait dix fois plus cher qu’auparavant. Le réseau téléphonique ne fonctionne plus et il n’y a pas de ramassage des ordures. » Un constat partagé par Ayman Al-Tamimi, un autre analyste cité par le journal : « Objectivement, la vie est devenue bien plus difficile qu’avant l’arrivée de Daesh : les gens doivent produire leur propre électricité, le prix des combustibles est bien plus élevé, les médicaments sont en rupture de stock, etc. »
Le mécontentement des populations urbaines est un atout pour la coalition. La guerre contre l’organisation se prolonge d’ailleurs sur le terrain économique et financier : les Occidentaux font tout pour geler les avoirs des djihadistes et de ceux qui les financent. Malgré ses réticences à intervenir au sol, l’administration Obama a donné son feu vert pour le déploiement d’un commando en Syrie. Son objectif : capturer ou éliminer certains responsables de l’organisation, dont Abou Sayaf, en charge des finances, du commerce des otages et de la vente du pétrole. De leur côté, les Kurdes s’emploient à couper les lignes d’approvisionnement des djihadistes avec la Turquie.
Alors que sur le plan opérationnel et idéologique, l’organisation semble pouvoir perdurer encore plusieurs années, c’est l’absence d’une véritable politique économique, autre que celle du pillage, qui nous débarrassera de Daesh : les frappes sur les installations pétrolières et la surexploitation de ces dernières par les djihadistes vont tarir cette source de revenus. Le manque de carburant va affecter le transport de marchandises comme celui de combattants. Daesh va perdre en autonomie et en réactivité sur le terrain et ne pourra pas se financer exclusivement en extorquant les populations sous sa coupe.
Cette stratégie d’étouffement sur le long terme ne devrait pas améliorer la situation des populations concernées, ni l’image de l’Occident, en retrait depuis le début de la guerre en Syrie il y a quatre ans.
Revenons au 29 juin 2014. Quelques semaines après la prise de Mossoul, deuxième ville d’Irak, du contenu de ses banques et des arsenaux de l’armée irakienne en déroute, les djihadistes de ce qui était alors l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) se sentent assez forts pour rétablir le califat.
Dès lors, ils se font appeler simplement l’État islamique (EI), insistant sur la portée universelle du régime instauré, à l’instar du califat qui est censé être l’autorité suprême, sur le plan spirituel et temporel, pour tous les musulmans. Bien sûr, la majorité d’entre eux n’est pas dupe et vit avec désolation le retour, entre les mains de nouveaux barbares, d’une institution disparue depuis près de 90 ans avec la fin de l’Empire ottoman.
Mais certains sont séduits par le discours du « calife Ibrahim », nouveau nom d’Abu-Bakr al-Baghdadi, le chef de l’organisation terroriste. Ils voient en lui le « successeur du prophète » qu’est le calife depuis la mort de Mahomet en 632, ou du moins le champion du salafisme, le retour à « l’islam des ancêtres ». En ce sens, les succès du djihad armé et la conquête d’un territoire où est appliquée la charia servent la politique d’al-Baghdadi et de l’EI.
Au 29 juin 2015, on ne peut en effet que constater le succès de Daesh, selon les termes utilisés le mois dernier par l’Institut américain d’études de la guerre pour définir la stratégie de l’organisation terroriste : « défendre l’intérieur de l’Irak et de la Syrie, s’étendre au niveau régional, et perturber et recruter à l’échelle internationale ».
En Irak et en Syrie, le groupe a enregistré deux succès majeurs avec les prises respectives de Ramadi et de Palmyre. La première, à une centaine de kilomètres de Bagdad, renforce la pression djihadiste sur la capitale irakienne et permet à l’EI de contrôler l’ouest désertique du pays, peuplé par des tribus sunnites que l’organisation associe à la gestion. C’est aussi une humiliation supplémentaire pour l’armée irakienne, qui s’est débandée dès les premières attaques suicides de djihadistes précédés par une réputation de cruauté qui avait déjà fait merveille à Mossoul l’an passé.
La seconde, ville antique du centre de la Syrie célèbre pour ses monuments romains et sa prison dans laquelle le régime détenait nombre d’opposants et de djihadistes, donne à l’EI la mainmise sur la moitié du pays. Tombée malgré la résistance de l’armée gouvernementale, cette victoire a surtout un fort retentissement symbolique, tant pour les Occidentaux qui craignent de nouveaux saccages que pour les opposants syriens à la dictature de Bachar. Malgré la défense de la ville kurde de Kobané en Syrie et la reprise de Tikrit en Irak, les forces djihadistes maintiennent ainsi leur contrôle sur un vaste « pré carré » entre les deux pays, dont les angles sont Raqqa, la capitale, Mossoul, Palmyre et Ramadi.
Pour ce qui est de s’implanter au niveau régional, Daesh cherche à étendre son influence dans chaque région du monde musulman où règne l’instabilité. Il faut moins y voir une implantation directe qu’une « franchise » accordée à des groupes locaux. Le but pour l’organisation est d’ouvrir de nouveaux fronts, tant pour diviser les forces ennemies que pour s’imposer comme la référence du terrorisme international, au détriment des divers groupes djihadistes et des antennes locales d’al-Qaïda.
le Liban et Israël sont dans sa ligne de mire. Les djihadistes multiplient les incursions dans le nord du Liban et ont récemment prévenu les rebelles qui occupent la frontière syrio-israélienne de leur intérêt pour la zone. De plus, des tirs de roquettes depuis Gaza ont été revendiqués par l’EI.
en Libye, des djihadistes se revendiquant de Daesh sont à Syrte, au centre du pays, alors que deux gouvernements, l’un libéral à Tobrouk dans l’ouest, l’autre islamiste à Tripoli dans l’est, s’opposent depuis la chute de Kadhafi. Les négociations entamées sous l’égide de l’ONU afin de constituer un gouvernement libyen uni face à l’EI restent stériles.
au Yémen, où le conflit entre sunnites et chiites a anéanti le pouvoir en place et au Pakistan, en proie aux troubles causés par les Talibans, Daesh ou des groupes affiliés viennent de commettre une série d’attentats causant plus de 200 morts parmi les chiites.
aux confins du monde musulman, la secte Boko-Haram, qui fait régner la terreur depuis le nord du Nigéria, s’est aussi rapproché de l’EI en vue de l’instauration d’un califat africain ; même constat dans le Caucase, où l’EI vient de recevoir l’allégeance d’un important groupe tchétchène, fort de près de 10 000 hommes prêts à en découdre avec les Russes ; enfin dans les pays musulmans des Balkans, comme la Bosnie, le Kosovo et surtout l’Albanie, l’organisation appelle au djihad au travers des vidéos de propagande dont elle s’est fait une spécialité.
Ces vidéos au style hollywoodien sont la pierre angulaire de la stratégie de communication de l’organisation. Le numérique est, comme jamais auparavant pour une organisation du genre, le champ de bataille privilégié par Daesh pour « perturber et recruter à l’échelle internationale » selon les mots de l’Institut américain d’études de la guerre. La vague d’attentats et de massacres qui a frappé, le vendredi précédant l’anniversaire du califat, la France, la Tunisie, le Koweït et la ville Kurde de Kobané, est le résultat de cette politique.
Là aussi, l’EI semble triompher, tant la riposte est lente à se mettre en place. La communauté internationale va pourtant devoir prendre des mesures de plus en plus drastiques si la situation persiste, tant en ligne que sur le terrain. Mais quelles mesures ? Celle privilégiée pour l’instant, au détriment des populations persécutées par les djihadistes, est d’étouffer Daesh à petit feu, tout en limitant le retour des djihadistes occidentaux en métropole.
Les raids aériens, bien que très coûteux, ont permis d’éliminer 10 000 combattants en moins d’un an. Ils visent également les installations utilisées par l’EI pour extraire les hydrocarbures, vendues ensuite en Turquie grâce à la « passivité » des autorités locales. Couper la route de la Turquie parachève ce plan : les Kurdes syriens, aidés par leurs frères irakiens, ont repris début juin un poste frontalier essentiel pour l’approvisionnement de Raqqa, la capitale du califat. Mais le contrôle de la frontière est difficile : c’est par la Turquie que sont passés les djihadistes qui ont tué près de 150 civils kurdes à Kobané en plein Ramadan cet été.
L’entrée du pays du président Erdogan dans une lutte active contre l’organisation terroriste complexifie un peu plus le tableau. L’attentat qui a fait 102 victimes lors d’une manifestation pacifique à Ankara en octobre devrait conduire les autorités turques à renforcer le contrôle de ses frontières. Mais en parallèle, la Turquie mène une guerre active contre les éléments kurdes censés lutter contre Daesh en Syrie et en Irak.
Empêcher les exportations et les importations pourra à terme épuiser les ressources de l’organisation et provoquer la pénurie, le mécontentement et peut-être la révolte chez les populations sunnites de son territoire. Mais la victoire doit aussi se gagner dans les têtes : comment éliminer durablement l’idéologie djihadiste, les troubles religieux et la haine de l’Occident ?
Ce 18 juin, début du Ramadan, le site Marmiton.org a publié, comme chaque année, et comme pour chaque fête religieuse (chrétienne, juive ou musulmane), une sélection spéciale « recettes du Ramadan ».
Mais cette année, des internautes se sont indignés sur Facebook du fait que le site souhaite un « bon Ramadan à tous » et (blague ?) ne propose pas de recette commémorant les 75 ans de l’appel du 18 juin du Général de Gaulle. C’est Rue89 qui dévoile l’affaire.
Sans oublier de féliciter la CM de Marmiton, voici un petit extrait d’un bouquin que je suis en train de lire et que cette histoire me donne envie de partager.
L'ethnocentrisme
Il semble que la diversité des cultures soit rarement apparue aux hommes pour ce qu’elle est : un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés ; ils y ont plutôt vu une sorte de monstruosité ou de scandale (…) L’attitude la plus ancienne (…) consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions.
« Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères.
Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. (…) sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit. (…)
Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait que la notion d’humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l’espèce humaine, est d’apparition fort tardive et d’expansion limitée.
Là même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il n’est nullement certain – l’histoire récente le prouve- qu’elle soit établie à l’abri des équivoques ou des régressions. Mais, pour de vastes fractions de l’espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion paraît être totalement absente.
L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives, « sauvages », se désignent d’un nom qui signifie les « hommes », les « bons », impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus – ou même de la nature – humaines, mais sont tout au plus composés de « mauvais » (…) c’est dans la mesure même ou l’on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l’on s’identifie le plus complétement avec celles qu’on essaye de nier.
En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques.La barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie.
Ce qui devait n’être qu’une brochure publiée en 1952 par l’UNESCO et écrite par un prof alors relativement inconnu se révèle être la base d’une nouvelle façon de concevoir la culture et la civilisation…
Pour ceux qui ont le temps de multiplier les messages d’insulte et de protestation, voici une excellente façon de s’occuper : une petite centaine de pages et je l’espère autant de raisons de changer d’avis.
Pour ceux qui ne prendront pas le temps de le lire et d’être bousculé dans leur façon de voir le monde – un monde qui évolue malgré vous et votre racisme : vous, votre idéologie et le climat de haine que vous contribuez à entretenir me débecte.
Vous ignorez tout de l’histoire de notre pays et de la réalité actuelle de celui-ci. Vous ignorez que la France n’est pas un pays de « Français », mais un pays d’immigrants. Notre nom est issu d’une confédération de tribus germaniques qui a envahi la Gaule, dont la capitale a été pendant des siècles… Rome.
Il y a cinq siècles, on ne se serait pas défini par rapport à la France, mais par rapport à la Bretagne, à la Picardie, à la Gascogne ou à l’Occitannie.
Il y a un siècle, notre pays comptait sur les Polonais, les Italiens, les Espagnols avant d’accueillir après-guerre les Africains. Regardez autour de vous, combien de vos proches sont issus de l’immigration, plus ou moins lointaine ? Comment ignorer que ce sont aussi et souvent les « étrangers », illustres ou inconnus, qui ont fait la France ?
La force d’un pays ou d’un peuple se jauge à la façon dont il est capable d’accepter la différence et de se l’approprier pour s’améliorer.
Et ceux qui ont reproché à Marmiton de ne pas commémorer les 75 ans de l’appel du 18 juin du général de Gaulle, n’oubliez pas que les forces de la France libre étaient en grande partie constituées de musulmans. Ils faisaient le Ramadan et sont morts parfois loin de chez eux pour lutter contre le nazisme. Nazisme qui, au passage, est une idéologie fasciste, le fascisme étant l’enfant attardé du nationalisme exacerbé.
Je terminerais en citant encore Lévy-Strauss :
Diversité des cultures
Il y a simultanément à l’oeuvre, dans les sociétés humaines, des forces travaillant dans des directions opposées : les unes tendant au maintien et même à l’accentuation des particularismes ; les autres agissant dans le sens de la convergence et de l’affinité.
L’étude du langage offre des exemples frappants de tels phénomènes : ainsi, en même temps que des langues de même origine ont tendance à se différencier les unes par rapport aux autres (tels : le russe, le français et l’anglais), des langues d’origines variées, mais parlées dans des territoires contigus, développent des caractères communs : par exemple, le russe s’est, à certains égards, différencié d’autres langues slaves pour se rapprocher, au moins par certains traits phonétiques, des langues finno-ougriennes et turques parlées dans son voisinage géographique immédiat.
Quand on étudie de tels faits – et d’autres domaines de la civilisation, comme les institutions sociales, l’art, la religion, en fourniraient aisément de semblables – on en vient à se demander si les sociétés humaines ne se définissent pas, en égard à leurs relations mutuelles, par un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent, non plus, descendre sans danger.