Les avions Rafales de Dassault pourraient enfin trouver un acheteur ! Du moins c’est ce qu’on entend régulièrement dans la presse depuis plus d’une décennie.
Un constat s’impose : l’avion français ne s’est encore jamais vendu à l’étranger, malgré l’intérêt de la Corée du Sud en 2002, du Maroc en 2007, de la Suisse en 2011 ou encore du Brésil en 2013 et la liste est longue. Depuis 2012, c’est l’Inde qui est le mieux placé pour devenir le premier acquéreur étranger du Rafale.
Le pays avait lancé en 2009 un appel d’offre auquel le Rafale a répondu, ainsi que le Typhoon d’Eurofighter, les F-16 et F-18 américains, le Saab Gripen suédois ou encore le MiG-35 russe. Il y a deux ans, seul le Rafale était encore en course et dès lors, il ne reste plus à l’Inde que d’acter l’achat de 126 appareils, pour près de 12 milliards d’euros. Régulièrement, les journaux indiquent que cette signature est proche.
L’air indien, une mélodie bien connue
En début de semaine, c’est la visite du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian en Inde qui a remis le sujet sur le devant de la scène. Il y a six mois, c’était Laurent Fabius, ministre des Affaires Etrangères, qui s’y collait. Dans les deux cas, ils font la même promesse d’un dénouement rapide.
Comme l’arrivée de la neige en hiver, la vente potentielle du Rafale est un classique de la presse française : il y a deux semaines, on s’interrogeait sur la possibilité que le Rafale « atterrisse » un jour en Égypte, pour reprendre le titre le plus en vogue. Il y a deux mois, c’était la vente de 36 appareils au Qatar qui était évoquée. Dans tous les cas, les articles sur le sujet rappellent ceux publiés depuis plus de dix ans. La signature est quasiment certaine, l’avion français étant le meilleur sur le papier et le favori des forces armées locales. Toutefois, les négociations sont complexes et quelques petits détails restent encore à régler…
Ils concernent par exemple les transferts de technologies ou la production des avions sur place : ce fût un point de blocage au Brésil, c’est aujourd’hui au cœur du dossier indien, puisque seulement 18 des 126 appareils commandés devraient être montés en France. L’Inde, via le groupe public Hindustan Aeronautics Limited (HAL), « possédera la technologie complète et la licence pour fabriquer des appareils supplémentaires qui, en outre, pourraient être exportés« , a souligné Jean-Yves Le Drian.
Derrière ces éléments de négociation « officiels » comme le transfert de technologies ou encore la prise en charge des risques, s’en cachent d’autres, moins avouables.
Ces conditions en apparence défavorables témoignent des contraintes qui pèsent sur le dossier Rafale. Plus il se vend mal, plus on est tenté de faire des concessions et de casser les prix, en espérant déclencher un effet « boule de neige ».
Des concessions de plus en plus grandes pour vendre le Rafale
En effet, le Rafale a déjà coûté la bagatelle de 43 milliards d’euros, en grande partie financés par le pays puisque notre armée en est l’unique acheteur. Jusqu’en 2019, Dassault devrait produire 66 Rafales, dont seulement 26 pour l’armée française. Mais si les 40 autres ne se vendent pas, c’est la France qui payera l’addition. Elle s’élève à environ 4 milliards d’euros.
Devant ces investissements massifs et la nécessité d’entretenir l’un des fleurons du savoir-faire technologique français, le fait de vendre coûte que coûte, et cela malgré quelques concessions à notre désavantage, peut se comprendre.
D’autant plus que le temps presse, avec l’arrivée de concurrents comme les F-22 et F-35 américains et d’autres avions de nouvelle génération. Mais le problème, c’est qu’il n’y a aucune explication logique à ces échecs successifs, hormis une, sur laquelle je reviendrais plus tard.
En effet, la France dispose avec le Rafale d’un des meilleurs avions au monde sur le plan technologique et stratégique, ainsi que de sérieux arguments commerciaux.
L’excellence n’est pas toujours récompensée
Sans trop rentrer dans les détails, le Rafale est un avion multi-rôles : il peut intercepter ou escorter d’autres avions, effectuer des bombardements au sol, y compris des frappes nucléaires, faire de la reconnaissance, et opérer à la fois depuis une base aérienne ou un porte-avion. C’est l’un des seuls au monde à faire tout ça.
En achetant des Rafales, une armée aérienne n’a pas besoin d’entretenir une flotte d’avions spécialisés. De plus, l’armée française multiplie les opérations en théâtres extérieurs (Afghanistan, Libye, Mali, Irak), soit autant d’occasions de prouver l’efficacité de nos appareils. En comparaison, le F-22 vient à peine de connaître son baptême du feu et le F-35 n’est encore qu’un projet à problèmes.
Bref, que ce soit en matière de qualité et d’usage par rapport au prix, le Rafale « survole » la concurrence.
Alors comment expliquer que ses concurrents trouvent preneurs, même le F-35 ?
Le problème de la France, c’est son manque d’agressivité commerciale, politique et culturelle.
Le problème n’est pas le Rafale
Au Maroc, alors que la France était logiquement favorite, les Américains ont profité de notre molesse pour proposer des F-16 à prix cassé (le F-16 est déjà rentabilisé, ils peuvent se le permettre) et un important programme d’alphabétisation des campagnes… Ils n’hésitent pas à sortir le chéquier pour alimenter leur lobbying. C’est aussi ça le « soft power ».
Face aux pressions, la France manque souvent de répondant. Le cas du porte-hélicoptère Mistral « Vladivostok », non livré à la Russie, en est un exemple.
Nos « alliés » n’ont souvent aucun scrupule à torpiller le dossier français quand celui-ci est favori. En Corée du Sud, quand le Rafale remportait l’adhésion des autorités face au F-15, George W. Bush a simplement rappelé à Séoul l’importance des forces US dans le dispositif de dissuasion face à la Corée du Nord…
Les États-Unis ont noué des liens très forts avec de nombreux pays depuis un demi-siècle : ils ont ainsi entraîné dans la conception du F-35 de nombreux pays alliés, comme le Royaume-Uni, le Canada ou encore Israël, soit autant de débouchés, malgré les défauts évidents du projet.
Le Rafale pourrait de son côté se baser sur le succès des Mirages de Dassault, qui se sont vendus à plus de 2000 exemplaires dans le monde. Mais la France n’arrive pas à fidéliser sa clientèle. Manque de lobbying, d’investissements annexes et de « vice » donc, mais aussi manque flagrant de discernement politique.
On ne reviendra pas sur le flop marocain, mais on peut mettre en avant leurs pendants suisse et brésilien, où le Gripen suèdois, pourtant largement inférieur, a finalement été sélectionné. En Suisse, le Rafale tenait la corde jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy attaque le pays sur son statut de paradis fiscal. Idem au Brésil, jusqu’à ce que la France ne soutienne pas Brasilia sur le dossier du nucléaire iranien. Ces « inélégances » n’expliquent pas tout, mais jouent tout de même contre Dassault.
Face aux problèmes rencontrés, l’avionneur et les ministères concernés ont mis en place un organe de collaboration qui permet dorénavant de parler d’une seule voix lorsqu’il s’agit de vendre le Rafale et de prendre en considération à la fois l’aspect commercial et politique d’une négociation.
Attendons de voir si cela se concrétisera enfin par un atterrissage réussi en Inde ou au Qatar.
Crédit photo : Flickr / Wikimédia, Brian Mullender, Ricardo J. Reyes, Dassault, USAF