Un petit billet pour commémorer le centenaire de la première révolution russe en février 1917, dont je ne parle que maintenant puisque à l’époque, février en Russie, c’était mars dans le reste du monde. La première sans compter celle de 1905, mais pas la dernière puisque quelques mois plus tard, les bolcheviks, représentant les ouvriers grévistes et soldats mutinés qui ont fait tomber le Tsar Nicolas II le 15 mars 1917, prennent le pas sur les bourgeois qui l’avaient remplacé au pouvoir.
C’est pas facile hein ? Je vous invite à approfondir de votre côté, mais s’il fallait retenir une chose de cette journée, c’est qu’on chantait sur l’air de La Marseillaise dans les rues. Ce 15 mars, les commémorations ne devraient pas être nombreuses, et encore moins en Russie ou l’idée d’une révolution démocratique a de quoi crisper. Entendre La Marseillaise en russe, surtout aujourd’hui, doit nous rappeler qu’au-delà du Kremlin, nous avons beaucoup en commun.
Attendue depuis des semaines, l’offensive visant à reprendre la ville de Mossoul aux djihadistes de l’État islamique (EI) a été lancée ce lundi 17 octobre. Retour sur les enjeux et les risques de cette bataille décisive.
Des dizaines de milliers d’Irakiens, de Kurdes, de Turcs et d’Occidentaux s’apprêtent à lutter pendant de nombreuses semaines pour libérer la ville et son 1,5 million d’habitants.
L’opération, nommée « Fatah » (Conquête) va permettre de juger de la solidité de cette coalition, de porter un coup énorme aux djihadistes mais risque aussi de tourner à la pire catastrophe humanitaire de l’année.
Le plan de batailleLa perte d'un symbole pour l'État islamiqueLes dangers qui menacent la coalitionLa crainte d'une catastrophe humanitaireL'après, le véritable enjeu de la bataille de Mossoul
Mossoul est la dernière des grandes villes à reconquérir en Irak après Tikrit, Ramadi et Falloujah, première ville tombée aux mains des djihadistes en janvier 2014 et reprise cet été.
Encercler, libérer, nettoyer et gouverner à nouveau Mossoul
La coalition encercle Mossoul en prenant les villages qui la bordent au Sud, à l’Est et au Nord. Seul l’Ouest, en direction de la Syrie, est pour l’instant laissé libre afin d’offrir une porte de sortie aux djihadistes et éviter une résistance désespérée. Plutôt les affronter dans le désert qu’en ville.
Comme à Falloujah, les forces chiites seront majoritairement impliquées. Des dizaines de milliers de militaires, policiers, membres des forces spéciales et miliciens contrôlés par l’Iran, grand allié chiite de Bagdad, vont attaquer au Sud.
L’aviation occidentale et plusieurs milliers de soldats américains, principalement chargés de l’encadrement, mais aussi des artilleurs français les soutiennent.
À l’Est, 4000 peshmergas Kurdes profiteront aussi de l’aide des forces spéciales occidentales, tandis qu’au Nord, des miliciens kurdes et des sunnites formés par la Turquie complètent le dispositif. Les tribus sunnites participent à l’offensive, certaines du côté de Bagdad, d’autres du côté kurde ou encore turc.
La prise de Mossoul sera un coup décisif porté à Daesh et sa tentative d’installer un « califat » entre Syrie et Irak, mais ne marquera pas pour autant la fin de l’organisation terroriste.
Éliminer Daesh en Syrie, où il faut agir de concert avec la Russie et le régime syrien est bien plus compliqué qu’en Irak. De plus, Daesh prend de plus en plus la forme d’une organisation terroriste sans attache territoriale unique. Nigéria, Libye, Yémen, Afghanistan…
Ses membres sont présents dans l’ensemble du monde islamique et, même éliminés de ces zones, ils pourront toujours se cacher pour continuer leur action comme le fait Al-Qaïda. La guerre contre l’idéologie djihadiste se gagne dans les têtes plus que sur le terrain.
Comme beaucoup, j’ai découvert l’EI lorsqu’il prend Mossoul en juin 2014. Les images de l’armée et des fonctionnaires irakiens fuyant la ville alimentent longtemps la propagande djihadiste. Stupéfaction totale en Occident : trois ans après le départ des Américains, le pays replonge dans la guerre et le terrorisme. Personne n’en veut, mais une nouvelle intervention est inévitable.
Mossoul, berceau du califat rêvé par Daesh
Une partie de la population de Mossoul, ville majoritairement sunnite, fête l’arrivée de Daesh comme une libération. Les armes et les réserves monétaires laissées sur place renforcent considérablement les djihadistes. Ils ne tardent pas à profiter de la situation pour commencer l’épuration ethnique de la région, à commencer par la minorité yézidi.
Enfin, c’est depuis une mosquée de Mossoul que le chef de l’organisation État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, proclame le califat. Profitant des ressources trouvées sur place, celles collectées via l’impôt ou la vente de pétrole ou celles encore envoyées par l’Etat irakien (Bagdad payait toujours les fonctionnaires restés sur place…), Daesh met en place depuis Mossoul les éléments d’un proto-état.
La perte de Mossoul portera un coup énorme aux revenus, à l’image et l’influence de l’organisation terroriste et mettra fin à sa présence territoriale en Irak. Mais malgré le rapport de force inégal, la bataille risque d’être difficile et une victoire ne signifiera pas la fin de l’idéologie djihadiste dans la région.
Histoire croisée de Mossoul et Daesh
Inutile de revenir sur la vieille histoire de Mossoul, distante de quelques kilomètres de Ninive, centre d’une des plus anciennes civilisations de l’histoire humaine. La Mossoul moderne est un pôle multiculturel et un carrefour commercial au sous-sol riche en pétrole. Mossoul n’a jamais véritablement été intégrée à l’Irak. Lors de la fondation et la décolonisation du pays, Turcs et Kurdes protestent contre le rattachement de la zone à l’Irak.
C’est le retour de « la question de Mossoul » indique Myriam Benraad, chercheuse à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, qui explique en partie l’intervention turque dans l’opération. Elle revient dans un long article pour OrientXXI sur le gouffre qui a toujours séparé la région de Bagdad. Déjà, après le renversement de la monarchie en 1958, une insurrection est réprimée dans le sang par le pouvoir central à Mossoul :
« La population locale a perpétué le souvenir de ces événements, développant l’obsession d’un « jamais plus » et se dissociant de l’État pour ne plus l’affronter à nouveau. Cette épaisseur temporelle permet d’entrevoir pourquoi Mossoul ne s’est pas non plus soulevée contre l’EI, et plus particulièrement contre ses combattants étrangers peu appréciés. Elle éclaire la réticence que beaucoup ont éprouvée à quitter leur ville en 2014, surtout débarrassée d’une armée irakienne principalement chiite qui faisait office de force d’occupation pour le compte de Bagdad. »
Après la chute de Saddam, les sunnites n’ont pratiquement plus aucune représentation en Irak, jusque dans l’armée qui est dissoute. Mossoul devient alors l’un des pôles de l’idéologie djihadiste dans le pays, berceau de la branche locale d’Al-Qaida qui prendra ses distances de la maison mère pour devenir l’organisation État islamique.
À première vue, le déséquilibre tant humain que matériel fait pencher la balance en faveur de la coalition. Toutefois, les 4500 à 6000 djihadistes qui devraient prendre part à la défense de Mossoul ont eu le temps de se préparer. Ces hommes, dont certains sont aguerris aux combats en Irak ou en Tchétchénie, adoptent des tactiques de guérillas. Si la bataille venait à durer, la coalition risque d’en faire des martyrs, à la légende digne des légionnaires de Camerone.
Pas de quoi remette en cause la victoire finale de la coalition, mais suffisant pour la retarder. Barack Obama qui l’a promise avant la fin de son mandat. En comparaison, la reprise de Falloujah, bien plus petite, a pris un mois.
La coalition doit faire face aux attaques de snipers et de voitures piégées. Une fois un village récupéré, il faut s’assurer que des djihadistes ne soient pas cachés et que des tunnels par lesquels ils pourraient surgir ou des mines ne menacent la sécurité future des troupes et des habitants.
La situation va empirer à Mossoul avec ses rues étroites, les barrières et tunnels mis en place par les djihadistes, et la difficulté de bombarder de peur de causer des pertes civiles et de créer de nouveaux obstacles pour la coalition. Il faudra être prudent : chaque maison est susceptible d’accueillir des civils, des djihadistes ou des pièges.
On redoute aussi la fuite de djihadistes. Comment les distinguer des réfugiés ? Comment les intercepter avant la Syrie ou pire, l’Europe pour ceux qui voudraient y commettre un attentat ? Que faire des prisonniers? Pas question de créer un nouvel Abu Ghraib, où les Américains avaient enfermé ensemble les djihadistes qui formèrent ensuite Daesh. Mais le véritable ennemi est à l’intérieur de la coalition : typique du conflit en Syrie et en Irak, cette dernière est composée d’alliés de circonstance, aux objectifs parfois opposés.
Dans une interview à Libération, Loulouwa al-Rachid du Centre de recherches internationales (CERI) indiquait : « Le partage du butin et des rôles de chacun au lendemain du départ de l’EI peut donner lieu à une « guerre de tous contre tous » entre milices chiites, forces proturques, Kurdes, etc. Car derrière les rivalités communautaristes, il y a les convoitises des terres, du pétrole et des ressources en eau. »
Clique ici pour découvrir les membres de la coalition et leurs objectifs
Occidentaux
C’est un moment décisif dans la campagne pour infliger à Daesh une défaite durable.
Ashton Carter, Secrétaire américain à la guerre. Portés par les États-Unis et la France, les Occidentaux mènent une nouvelle bataille dans la guerre contre le terrorisme lancée près de quinze ans auparavant.
Loin des blocages rencontrés en Syrie face aux Russes et aux forces du régime, ils peuvent agir en totale liberté en Irak. Ils ont reformé et ré-équipé l’armée et fournissent un soutien aérien.
Leur objectif est de pacifier le pays et d’en finir avec la menace djihadiste qui pèse sur le jeune État irakien difficilement mis en place après la chute de Saddam Hussein. Ils vont aussi tenter de préserver la sécurité des civils et d’assurer l’aide humanitaire.
Il ne faudrait pas tomber dans les mêmes travers que les Russes à Alep et alimenter encore un peu plus le flot des réfugiés qui tentent leur chance vers l’Europe.
Kurdes
Les peshmergas sont présents pour protéger les populations, donc il n’y a pas besoin que les forces irakiennes se déploient
Massoud Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan autonome. Ils sont principalement représentés par les peshmergas, la force de sécurité du Kurdistan, région autonome d’Irak, à l’Est de Mossoul. En théorie, ces derniers dépendent de Bagdad mais dans les faits, la prise de Mossoul par les djihadistes et leur capacité militaire leur ont permis d’agrandir leur territoire et de renforcer leur autonomie.
Le Nord est contrôlé par les miliciens kurdes syriens de l’YDP, proche du PKK turc, faction considérée comme terroriste par la Turquie. Tous les Kurdes bénéficient du soutien occidental et ont longtemps été considérés comme la seule force capable de s’opposer aux djihadistes sur le terrain.
Leur but est de défendre leur territoire historique, et même d’en gagner au détriment des Arabes sunnites installés dans la région par Saddam Hussein. Amnesty International dénonce ainsi la destruction de villages arabes par les Kurdes. Massoud Barzani s’est prononcé en faveur d’un référendum pour que les populations libérées puissent décider de qui elles dépendraient à l’avenir.
Turcs
Peu importe ce que dit le gouvernement irakien, la présence turque sera maintenue pour combattre Daesh et pour éviter une modification par la force de la composition démographique dans la région
Recep Tayyip Erdogan, président turc. Membre de l’OTAN et principale alliée des Occidentaux, la Turquie n’a pas fini de surprendre dans ce conflit. Accusée d’être trop laxiste avec les djihadistes, elle s’est engagée en Syrie fin août via l’opération Bouclier de l’Euphrate. Plus que vaincre les djihadistes, c’est pour s’opposer au régime chiite de Damas et empêcher les Kurdes de créer un pays indépendant qu’ils ont décidé de s’ériger en protecteur de la population sunnite.
C’est la même logique qui les pousse à intervenir en Irak, sans aucun accord préalable de Bagdad ou des Occidentaux. Ils sont présents dès décembre 2015 sur la base de Bashiqa, à quelques dizaines de kilomètres au Nord-Est de Mossoul et s’en servent comme plateforme pour bombarder les terroristes et former des miliciens irakiens sunnites. 1500 d’entre eux participeront à la reconquête de la ville.
Irakiens
Le temps de la victoire est venu et les opérations pour libérer Mossoul ont commencé
Haïder al-Abadi Premier ministre irakien. Les forces irakiennes ont inversé la tendance depuis un an en libérant les principales villes contrôlées par Daesh à l’Ouest et au Nord du pays. Avec l’aide des Occidentaux et de l’Iran, elles se sont reconstituées pour enfin devenir les troupes au sol indispensables à la reconquête du territoire.
Si elles ont payé un lourd tribut dans les précédents affrontements, elles sont aussi suspectées de violences envers les populations sunnites, notamment en ce qui concerne les milices chiites financées par l’Iran, marquées par un fort anti-américanisme. Le Premier ministre irakien a ainsi tenté de rassurer ses partenaires et la population : seuls les militaires et les policiers seront autorisés à entrer dans Mossoul.
C’est leur dernière bataille d’importance à mener, mais sans doute aussi la plus risquée. Il faut en effet que Bagdad restaure son autorité sur la partie sunnite du pays et contienne les ambitions kurdes et turques.
Le sort du 1,5 million d’habitants encore présents dans la deuxième ville du pays occupe tous les esprits. Sans défense, ils courent tous les dangers, à commencer par celui d’être utilisés comme boucliers humains par les djihadistes et d’être frappés par erreur par des tirs de la coalition. Plus la bataille va durer, plus les risques seront grands, y compris ceux inhérents à l’impossibilité d’avoir accès aux soins, à l’eau courante ou aux biens de première nécessité.
Les habitants de Mossoul pris entre deux feux, la guerre et la crise humanitaire
Ce mouvement de résistance est connu depuis plusieurs mois par la presse qui rapporte des tags représentant la lettre M pour muqawama, « résistance », sur les façades de Mossoul. La répression de cette révolte par les djihadistes pourrait faire de nombreuses victimes, sans parler d’éventuels conflits entre civils pro et anti-daesh.
Selon Franck Genauzeau, grand reporter de France 2, une vingtaine de civils ont déjà été exécutés dans les premières heures de l’offensive pour avoir diffusé des photos des installations défensives mises en place par les djihadistes. Daesh a même coupé les connexions Internet, y compris mobile.
Mais au-delà des dangers de la bataille, c’est l’après qui inquiète.
Vers la plus grande catastrophe humanitaire de l'année ?
Ces multiples dangers pourraient inciter de nombreux habitants à fuir Mossoul. Or les capacités d’accueil conjointes de l’ONU et des forces irakiennes sont d’environ 300 000 places, loin du million de personnes potentiellement concernées.
« Il existe une règle informelle selon laquelle aucune institution ne peut faire face à un mouvement de population de plus de 150000 personnes à la fois », indique à la presse Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour l’Irak. Alors que l’hiver approche, seulement la moitié des 334 millions d’euros budgétés pour l’achat de tentes et de biens de première nécessité a été provisionné.
#Irak: les civils qui fuient l’État islamique risquent de graves représailles. Rapport d’Amnesty International: https://t.co/NGefbKSMdo — Nina Walch (@NiWalch) 18 octobre 2016
Et cela ne concerne que l’urgence des prochains mois. La question de la reconstruction de la ville et de ses alentours est primordiale. Alors que l’accueil des réfugiés s’avère déjà problématique, l’expérience montre que les villages reconquis depuis plusieurs mois n’ont toujours pas été réoccupés.
Daesh mène véritablement une politique de la terre brûlée. Les mines et les pièges empêchent le retour des habitants qui ne peuvent reprendre possession de leur maison en toute sécurité. Ils ne peuvent pas commencer les réparations de base, remettre l’électricité ou l’eau courante. Ils ne peuvent pas cultiver à nouveau les champs ou reprendre une activité, faute de clients ou de biens à acheter.
L’économie locale n’existe plus, près de 4 millions de personnes ont quitté la région depuis deux ans pour les camps de réfugiés de Turquie ou d’Europe. Le besoin d’une aide internationale ne concerne pas que les prochains mois mais les prochaines décennies.
La chute de Mossoul ne signifie pas la fin de l’EI en Irak, et encore moins celle de l’idéologie djihadiste. Al-Qaïda avait déjà été « éliminé » du pays à la fin des années 2000. Ça ne l’a pas empêché de réapparaître et de muter en ce qu’on connait aujourd’hui comme l’EI.
Pour trouver la paix, l’Irak doit sortir du sectarisme et du jeu géopolitique
Daesh s’est nourri du ressentiment que faisait naître le pouvoir chiite envers la population sunnite. Bagdad doit éviter de reproduire les erreurs du passé en donnant plus de pouvoir aux communautés locales. Or pour l’instant, rien n’indique un changement de mentalité.
« Le gouvernement irakien n’a pas de plan pour le jour d’après, celui où Mossoul sera repris. Il ne sait pas quoi faire, hormis tenter de rétablir un statu quo ante. Il tentera de placer un gouverneur docile et de déléguer ce qu’il peut à des milices tribales et à ceux qui seront là. Au-delà de l’enjeu symbolique énorme de chasser l’EI d’Irak, Mossoul est un fardeau pour Bagdad qui est en quasi-faillite financière » rappelle Loulouwa al-Rachid.
La victoire militaire devra se prolonger par un effort politique de dialogue et de réconciliation entre les différentes communautés, sous la tutelle des principales puissances engagées.
Car le sort de Mossoul questionne l’avenir de l’Irak dans son ensemble. Dans tout le pays les sunnites attendent d’être intégrés au pouvoir et au-delà des aspects communautaires, toute la population attend le retour de l’emploi, de la justice et de l’indépendance du pays vis-à-vis des intérêts étrangers.
Sans quoi la menace djihadiste pourrait resurgir ailleurs. Pour trouver la paix, l’Irak doit sortir du grand jeu géopolitique dans lequel le pays a été plongé par l’intervention américaine en 2003 et retrouver la voie de la démocratie et du développement.
Derrière la guerre, des revendications citoyennes méconnues
En finir avec un pouvoir corrompu, religieux et inféodé aux États-Unis ou à l’Iran. En dépit de la guerre et de la menace terroriste, un mouvement citoyen émerge en Irak et porte de telles revendications.C’est sur ce mouvement qu’enquête Feurat Alani, ancien correspondant à Bagdad pour de nombreux médias français et désormais producteur de l’agence In Sight Films.
Laïcs ou religieux, apolitiques ou anciens baasistes, jeunes et vieux se retrouvent sur la bien nommée place Tahrir pour demander le renouveau des services publics, la refonte des services de l’État et ses fonctionnaires aussi inutiles que corrompus. C’est en comblant ces besoins que Daesh a réussi à s’implanter facilement dans le Nord-Ouest du pays.
Ils demandent aussi le respect des différentes communautés, sans toutefois pérenniser le système de quotas mis en place par les Américains, qui ne fait qu’alimenter le sectarisme.
Enfin, la question de l’influence iranienne reste primordiale alors que la communauté chiite se divise entre partisans d’al-Abadi, l’actuel Premier ministre nationaliste soutenu par le clergé irakien et ceux de l’ancien Premier ministre al-Maliki, qui se place du côté de Ghassem Souleimani, chef militaire iranien des milices chiites impliquées dans la lutte contre Daesh.
L’image en question, c’est celle d’Aylan, un petit Kurde syrien originaire de Kobané, né après le début de la guerre civile et qui cherchait à rejoindre l’île grecque de Kos, à quelques kilomètres seulement de la Turquie, où son corps a été retrouvé mercredi matin.
Son père survivant voulait rejoindre sa sœur, qui vit au Canada depuis 20 ans, et offrir un avenir à ses deux enfants qui n’avaient connu que le chaos.
Ce que l’image ne montre pas, ce sont les douze autres réfugiés qui ont trouvé la mort en tentant la même traversée, dont le frère et la mère d’Aylan. L’image ne montre pas non plus tous les réfugiés qui ont perdu la vie en nourrissant les mêmes rêves.
Cette image ne devrait pas être nécessaire pour changer notre regard sur la tragédie qui se joue aujourd’hui au large, sur nos plages ou dans nos gares. Qui n’est pas au courant du drame qui touche des centaines de milliers de réfugiés, venus du Moyen-Orient et d’Afrique ?
Il faut s’attendre à une explosion du nombre de réfugiés
On nous parle quotidiennement des naufrages qui font plusieurs centaines de morts, des accidents liés au passage de certains points chauds comme à Calais ou à la frontière hongroise, ou simplement des conditions de vie déplorables des « migrants ».
Des personnes qu’on devrait plutôt nommer « réfugiés », et cela même si elles ont un job au Royaume-Uni ou en Amérique du Nord comme objectif et quelle que soit leur origine : Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, corne de l’Afrique, Soudan, Centrafrique, Congo, région du lac Tchad, Mali… toutes des zones touchées par l’extrémisme et la guerre civile.
Mais ça, les médias nous le montrent déjà en boucle. Au passage, c’est intéressant de noter le caractère grégaire des journalistes français, qui nous parlent d’une image, pour la simple et bonne raison que le monde entier en parle déjà : vérifiez la presse d’hier : regardez la Une et les titres de journaux comme The Independent, The Time, The Washington Post, El Pais, et tant d’autres qui, même sans nous montrer le corps du petit Aylan, nous parlent de l’horreur que vivent les migrants.
En France, il n’y a que Le Monde, et encore, c’est un journal du soir qui a eu le temps jeudi de sentir la vague (et les ventes) monter.
Un kiosquier av. Bugeaud dévalisé de ses exemplaires de #LeMonde parce la photo du petit #Aylan est en Une.
Mais la question n’est pas ici de faire (encore) le procès de la presse. Ni de dire que cette photo va changer notre compréhension du drame migratoire. Ce sont les mêmes scènes qui se répètent inlassablement, des guerres d’Afrique au conflit qui a ravagé l’Europe il y a à peine 70 ans, et notre société est habituée à voir ce genre de clichés chocs, qui montre l’horreur de la guerre ou de la crise humanitaire par le prisme de l’enfance. Plusieurs articles en font un très bon inventaire.
L’important est d’expliquer un phénomène qui ne va que s’aggraver, et de dépasser nos appréhensions primaires pour se focaliser sur les solutions qui s’offrent à nous. On sait le Moyen-Orient et l’Afrique instables et plongés dans la crise politique et économique ; on sait que le réchauffement climatique ( la sécheresse est l’une des causes de la révolution en Syrie ) et la montée des eaux vont augmenter ce flux de réfugiés. Je n’ai pas la prétention de dire que j’ai une solution. Mais en ce qui concerne le sort que l’on doit réserver à ces réfugiés, j’ai ma petite idée.
L’Europe peut tout mais tente peu
L’Union européenne compte plus de 500 millions d’habitants et est la première puissance économique mondiale. Aujourd’hui, on pinaille pour savoir comment répartir entre les 28 quelques centaines de milliers de demandeurs d’asile. Ils sont 800 000 en Allemagne, quatre fois plus que l’an passé. Le premier pays de la zone euro est celui qui accueille le plus de réfugiés, soit environ 32% de l’ensemble des demandeurs d’asile de l’UE, et pourtant il semble au bord de la rupture.
Le Liban est un minuscule pays de 10 000 km2 et un peu plus de 5,5 millions d’habitants. La densité de population y est cinq fois plus élevée qu’en UE. Le pays est miné depuis des décennies par la guerre civile, ruiné par les conflits successifs avec Israël et en proie depuis plus d’un mois à une grave crise sanitaire et politique, dont vous n’avez certainement pas entendu parler. Il accueille plus d’un million de réfugiés sur son sol. La Jordanie, la Turquie et l’Iran, qui ont bien sûr plus de moyens, font de même.
Et si les réfugiés ne sont pas pour autant sauvés (le Liban les rejette de plus en plus), les conditions de vie y sont meilleures qu’en Europe, grâce à l’aide de l’ONU certes, mais quand même ! En Hongrie, des milliers de personnes dorment dans les gares, les parcs ou aux alentours, avec seulement quelques points d’eau à disposition. C’est une crise humanitaire, crise que les comptables de l’UE n’arrivent pas à gérer avec leurs méthodes habituelles, à coup de normes et de quotas.
« En juillet, les Européens se sont mis d’accord pour réinstaller 22 500 réfugiés syriens vivant actuellement dans des pays du Proche-Orient (Liban, Jordanie). Ils ne sont, également, parvenus à s’entendre que sur la répartition volontaire de 32 256 demandeurs d’asile arrivés en Grèce et en Italie, deux pays qui n’arrivent plus à faire face à la situation. Un chiffre dérisoire face à l’ampleur des arrivées » jugeait Le Monde le 19 août, avant d’évoquer les solutions envisagées par nos gouvernants :
« Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a indiqué mardi quatre sujets qui pourraient constituer les grands axes d’un plan franco-allemand. Il s’agirait tout d’abord de créer des « points d’enregistrement » (hot spots) là où les réfugiés arrivent. (…) Deuxièmement, des procédures accélérées devraient être mises en place afin que ceux qui n’obtiennent pas l’asile repartent effectivement et rapidement. En Allemagne, Mme Merkel a reconnu qu’on ne pouvait plus travailler en « mode normal ». Le pays rappelle des retraités ou fait appel à des fonctionnaires d’autres administrations pour venir en aide aux services d’immigration. Troisième axe : aider les pays de transit sur la route de l’UE à lutter contre les filières clandestines. La France pense surtout à la Libye et au Niger, l’Allemagne aux Balkans. Quatrième axe : à plus long terme, aider au développement des pays de départ afin de tarir le flux à la source. »
350 000 « migrants » ont tenté la traversée de la Méditerranée depuis le début de 2015, contre 220 000 pour toute l’année 2014. Les 2/3 arrivent en Europe par la Grèce : c’est le chemin le plus logique pour les réfugiés politiques syriens, irakiens et afghans, qui méritent en majorité l’asile.
Au total, 2643 sont déjà morts en mer cette année. Ils étaient 3500 l’an passé. Combien sont les victimes inconnues d’autres axes de passage, quand ils ne succombent pas simplement avant même d’atteindre la Méditerranée ? Combien de corps balisent les routes qui mènent en Syrie, en Érythrée ?
Combien sont au fond des eaux dans lesquelles nous avons passé une partie de nos vacances cet été ? Combien sont, comme Aylan, retrouvés sur les plages qui nous font tant rêver ? Pourquoi ne pas donner plus de moyens aux ambassades et au consulats européens, dans les pays frontaliers de la Syrie, pour que les demandes d’asile et de visa soient traitées avant que les réfugiés, par désespoir, ne fassent confiance aux passeurs ? Pourquoi ne pas intervenir en Lybie, où le chaos règne depuis la chute de Kadhafi, pour y instaurer ces fameux « hot spots », avec l’aide de l’ONU, à la façon de ce qui se fait aux frontières de la Syrie et de l’Irak ? De là-bas, nous pourrions empêcher ces innombrables noyades et lutter efficacement contre ces mêmes passeurs, coupant par la même occasion des sources de revenus aux groupes terroristes qui sont la cause de la fuite des migrants.
Accueillir les réfugiés : plus qu’une responsabilité, une opportunité
Et j’irai même plus loin : combien, parmi ceux qui sont morts ou qui attendent entassés dans les gares et les bidonvilles, sont des médecins, des ingénieurs, des avocats, ou même des ouvriers, des étudiants, de jeunes enfants ? Combien de talents sont ainsi gâchés, combien de familles courageuses ont tout quitté pour prouver au monde qu’elles préfèrent la vie à la tyrannie, à l’extrémisme ?
Accueillons-les, donnons leurs les moyens de vivre, de s’enrichir, d’utiliser leurs talents pour inventer une alternative à la situation de leurs pays. N’allons pas imaginer qu’ils rêvent de prendre notre place, notre emploi, notre bouffe et notre maison : ils n’aspirent qu’à vivre sans danger, chez eux de préférence. Offrons à ces enfants une autre jeunesse que celle de la guerre, de l’ignorance, de la tyrannie et de la haine : offrons à ces enfants une jeunesse de paix, d’éducation, de démocratie et de tolérance, qu’ils pourront un jour transmettre à leurs propres enfants, une fois de retour au pays.
Ce n’est pas un coût, c’est un investissement. Un investissement de quelques milliards d’euros sans doute, mais à mettre en perspective avec les dizaines et les dizaines de milliards dépensés pour sauver la Grèce il y a peu où renflouer notre système bancaire avant ça. L’Europe est seule face à ses responsabilités, mais elle est aussi la seule à pouvoir saisir cette opportunité.
Nous payons aujourd’hui le prix de notre impérialisme, de notre volonté d’imposer à ces populations notre façon de vivre, de consommer et de se gouverner. Encore une fois, Claude Lévi-Strauss peut nous aider à y voir plus clair, comme le rappelle cet article du Figaro, dont je ne partage cependant pas toutes les conclusions : l’anthropologue soutient que les civilisations, cultures ou nations, pour progresser, ont besoin d’échanger entre elles, ce qui sous-entend qu’elles sont différentes dans de nombreux domaines. Or la mondialisation, du moins celle qu’on a connu depuis plus d’un siècle, conduit à une homogénéisation forcée des sociétés humaines autrefois indépendantes : soit via le « hard power » colonial, soit via le « soft power » capitaliste.
Au Figaro de citer Lévi pour conclure : « on doit reconnaître que cette diversité [du monde] résulte pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi: elles ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais pour ne pas périr, il faut que persiste entre elles une certaine imperméabilité. »
Accueillir ses réfugiés et les enrichir momentanément aujourd’hui, c’est enrichir leurs pays demain et éviter qu’une horde croissante de désespérés viennent mourir à notre porte en nous demandant des comptes.
Alors vous serez nombreux à penser que ce n’est pas si simple, et je suis d’accord.
Comment répartir les migrants de façon équitable entre les pays d’Europe, alors que ces derniers n’ont d’yeux que pour l’Angleterre et l’Allemagne, leur faible chômage, leurs emplois sous-payés qui ne nécessitent pas toujours de papiers, leur communautarisme où l’on trouve toujours des compatriotes ou de la famille ? On peut commencer par critiquer les politiques sociales menées dans ces deux pays, mais aussi proposer des conditions d’accueil aussi favorables dans les autres. C’est l’extrême mobilité des réfugiés une fois en Europe qui empêche la mise en place de structures d’accueil satisfaisantes.
Mais là aussi, vous me demanderez où placer tout ce petit monde et comment les occuper, alors que le chômage est déjà au plus haut ? Pour ne s’intéresser qu’au cas de la France, connaissez-vous Chambon-le-Château, charmant village lozérien, qui accueille depuis plusieurs années une cinquantaine de demandeurs d’asile ? Sans idéaliser leur impact sur l’économie locale, ils offrent une aide précieuse pour le maintien des petits commerces, d’une poste et d’une école. Rien de révolutionnaire, mais il y a tellement de villages en train de mourir en France que c’est une piste qui mérite d’être évoquée. Nos agriculteurs se plaignent de ne pas pouvoir employer de la main-d’œuvre à bas coûts, comme en Allemagne ? Nous devons recruter des médecins étrangers pour lutter contre le désert rural ? Tant d’autres pistes… Et pour être cynique, on peut aller jusqu’à dire que la gestion des réfugiés devrait créer de plus en plus d’emplois !
Enfin, vous pouvez évoquer le fait que des conditions d’accueil de plus en plus favorables vont inciter les migrants à tenter leur chance. Mais il faut être lucide : les conditions actuelles n’empêchent pas les parents de se jeter à l’eau en entraînant leur famille. L’appel d’air n’est pas de notre côté de la mer, c’est la guerre qui attise leur désir de partir. L’exemple tragique d’Aylan montre aussi que l’Europe n’est qu’une étape pour beaucoup de réfugiés : alors que l’Asie du sud-est connaît une crise similaire, il est temps d’envisager une réponse mondiale. Surtout que certains pays, notamment ceux du Golfe, qui sont en partie responsables de la crise qui touche l’Irak et la Syrie, n’ont accueilli aucun réfugié sur leur sol ! En attendant, plusieurs millions de réfugiés sont déjà en Europe, et je nous vois mal tous les raccompagner hors de l’UE.
Comme le dit très justement Daniel Schneidermann, d’@rrêt sur images, à propos de celle qui nous intéresse :
« C’est la photo qui va faire bouger les consciences. Pourquoi celle-ci ? Des dizaines, des centaines d’enfants comme Aylan se sont noyés ces derniers mois en Méditerranée. Mais Aylan s’est peut-être noyé au bon moment. Au moment où la banquise européenne commence à craquer, où dans les discours politiques le mot réfugié l’emporte sur le mot migrant, où Angela Merkel vient de décider de ne plus renvoyer d’Allemagne les réfugiés syriens. Aylan s’est endormi au bon moment et au bon endroit comme le résume, plus efficace que tous les discours, le photomontage d’un internaute. »
Il suffit parfois d’une image pour aller au-delà des peurs et du populisme. Traitez-moi d’utopiste, mais face à l’horreur, il faut aussi savoir rêver.
Aujourd’hui, très peu de pays reconnaissent le génocide arménien. Pourtant, pendant une courte période, tout le monde, y compris les Turcs, le condamnaient. Qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi ça ne se reproduira pas de sitôt ?
Il y a cent ans jour pour jour, les Alliés faisaient une promesse : juger les responsables des massacres qui avaient débuté un mois plus tôt, le 24 avril 1915, avec l’arrestation et l’exécution de l’élite arménienne de Constantinople. Ils parlaient même pour l’une des premières fois de « crime contre l’humanité ».
Alors que le 24 avril s’est imposé comme la date commémorative du début du génocide, le 24 mai est l’occasion d’évoquer les réactions des différentes nations vis-à-vis de cet événement, à l’époque et maintenant, tout en répondant aux questions posées en introduction.
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Vous connaissez le principe : vous trouvez ici des infos complémentaires qui ne sont pas essentielles pour comprendre de quoi on parle. Là je vais vous parler de la notion de génocide. Elle est créée par un professeur de droit américain après la Shoah pour désigner les crimes nazis mais aussi ottomans, ainsi que de nombreux massacres qu’ils cherchaient à faire reconnaître depuis plus de dix ans.
Il se base notamment sur le procès de Soghomon Tehlirian, un Arménien acquitté en 1921 pour le meurtre de Talaat Pacha, l’un des principaux responsables du génocide. L’ONU reprendra ses travaux pour adopter en 1948 une résolution définissant un génocide comme : « un certain nombre d’actes – des meurtres essentiellement mais aussi les transferts forcés, des atteintes à l’intégrité physique – commis dans l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel. »
Le crime contre l’humanité est défini depuis 1945, mais contrairement à lui, la définition du « génocide » n’est pas rétroactive. On reconnaît trois génocides : la Shoah de 1945, le Rwanda en 1994 et la Bosnie en 1995. Le génocide arménien n’a été reconnu que par une sous-commission de l’ONU.
En 2015, seulement 24 pays reconnaissent le génocide
Tous les pays reconnaissent la Shoah, mais pas le génocide arménien. Certains ont reconnu le génocide par une loi, d’autres le font sans employer le mot et enfin certains ne l’ont reconnu que partiellement, par l’intermédiaire d’une région ou d’un parlement.
Parfois, ces différents éléments se combinent, ce qui ajoute au bordel ambiant. De l’Uruguay en 1965 à l’Autriche le 22 avril, 24 pays au total ont reconnu le génocide. L’Uruguay, comme la France, Chypre et l’Argentine, le fait par l’intermédiaire d’une loi. Notre pays va jusqu’à condamner le négationnisme, comme pour la Shoah. Mais la France ne désigne pas de responsable, et l’Uruguay n’utilise pas le terme de génocide.
L’Autriche elle n’a pas fait de loi, mais son parlement a reconnu son rôle indirect, en tant qu’allié de l’Empire ottoman pendant la Première Guerre. L’Allemagne a fait de même le lendemain, mais ni les États-Unis ou encore Israël n’ont osé prononcer le mot et suivre l’exemple donné par le pape François dès le 12 avril, à la grande colère de la Turquie. En Espagne, seule la Catalogne a pris position, tandis qu’au Royaume-Uni, rien n’a été fait. Pourtant, l’UE reconnaît le génocide…
L’exemple des États-Unis est parlant : 43 États ont reconnu le génocide, le parlement aussi, mais pas l’État fédéral. Et si Obama reconnait les massacres, ce qui pourrait engager l’ensemble du pays, il refuse d’employer le mot tabou de génocide. Bref, impossible de trouver une définition claire de la position des States, et impossible aussi de s’arrêter sur tous les cas sans un stock d’aspirine à portée de main.
En 1918, il était reconnu par les Turcs eux-mêmes
Le plus intéressant dans tout ça, c’est qu’une grande partie des pays dont je viens de parler n’hésitaient pas à dénoncer l’Empire ottoman dès la fin de la Première Guerre mondiale. Les principaux responsables avaient même été condamnés, et par les Turcs eux-mêmes !
Retour en octobre 1918. L’Empire ottoman a signé l’armistice avec les Alliés. Les responsables ottomans aux manettes pendant la guerre sont en fuite. Le sultan, sans réel pouvoir depuis leur coup d’État en 1913, pense pouvoir retrouver son autorité grâce aux Alliés. Il se lance dans une politique de collaboration et organise le procès de ceux qui ont ordonné le génocide arménien, comme les Alliés l’avaient promis.
Qui sont les responsables lors du génocide ?
À la veille de la Première Guerre mondiale, la situation interne de l’Empire ottoman est tendue. En 1908 et 1909, une révolte à la tête de l’armée oblige le sultan à rétablir le parlement et la constitution imposée en 1876 par les Occidentaux, puis à abdiquer en faveur de son frère.
La révolte est menée par le Comité Union et Progrès, dont les principaux membres sont les « Jeunes-Turcs » : on retiendra ici Enver Pacha, Talaat Pacha et Djemal Pacha, « les Trois Pachas » qui gouvernent le pays pendant la guerre, et Mustafa Kemal « Atatürk », que je surnommerais le « De Gaulle turc ». On en reparlera.
Ils sont fans de la Révolution française et ils veulent libéraliser et occidentaliser le pays. Au parlement, ils s’allient avec les partis arméniens et les autres minorités. Ils s’inspirent du code civil napoléonien, prônent la laïcité, émancipent les femmes et dotent le pays d’une nouvelle devise : Liberté, Egalité, Fraternité. La classe. Les minorités rêvent à nouveau d’autonomie.
« Les Trois Pachas » décident de prendre le pouvoir en 1913, suite aux désastres des guerres balkaniques. Ils renversent le gouvernement et renvoient le parlement, après s’être fait accorder les pleins pouvoirs, qu’ils se répartissent au sein d’un triumvirat. On note le nouvel hommage à Napoléon. Ceux qui protestent sont tués.
De révolutionnaires éclairés par les idéaux des Lumières, les « Jeunes-Turcs » deviennent de fervents nationalistes, reprenant là aussi les éléments idéologiques occidentaux qui mèneront aux fascismes. L’Empire ottoman se limite maintenant à l’Anatolie. Puisque le modèle d’Empire multi-ethnique ne fonctionne pas, les « Jeunes-Turcs » décident à nouveau de s’inspirer de l’Occident, où les États-nations comme la France ou le Royaume-Uni dominent.
Comme les jacobins du temps de la révolution, ils s’opposent à la création d’un État fédéral où les minorités seraient autonomes et mettent en place la doctrine du panturquisme : il faut « turquifier » l’Anatolie, en assimilant de force les minorités ou en les éliminant. Ils embrassent les théories évolutionnistes qui feront le bonheur des nazis par la suite.
Aujourd’hui, l’Allemagne accueille la plus forte communauté turque expatriée au monde. Les relations entre les deux pays sont anciennes. En 1914, les « Jeunes-Turcs » bien que francophiles, confient la modernisation économique et militaire du pays à l’Allemagne. Naturellement, les Ottomans se rangent du côté des Empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie) pendant la Première Guerre. Lorsque cette dernière prend fin, les responsables du génocide partent s’y réfugier et échappent ainsi aux condamnations. Un répit de courte durée…
Après la Shoah, les Juifs ont mis en place des commandos pour capturer ou au moins tuer les anciens nazis : les Arméniens ont fait la même chose trente ans plus tôt. L’opération Némésis, du nom de la déesse grecque de la juste vengeance, va avoir pour but de traquer et assassiner les responsables Jeunes-Turcs, en Allemagne mais aussi en Italie ou encore dans le Caucase. Leur principale victime sera Talaat Pacha, l’organisateur principal de l’appareil génocidaire, abattu dans une rue de Berlin devant sa famille.
L’une des spécificités des Arméniens du commando Némésis était de ne pas prendre la fuite après leur acte. Lors du procès de Soghomon Tehlirian, l’opinion publique découvre le drame des Arméniens. De coupable, le tueur devient la victime et inversement. Tehlirian sera acquitté. L’histoire du génocide arménien en Allemagne ne s’arrête malheureusement pas là.
Après-guerre, le pays sera lui aussi en proie au nationalisme exacerbé et aux théories évolutionnistes. Hitler, horrifié par le destin des Arméniens (pas par les massacres hein, mais par la possibilité que les Allemands subissent le même sort, à cause des Juifs), va s’en inspirer pour élaborer sa solution à la question juive. Pour justifier la Shoah, il dira même « qui se souvient encore du sort des Arméniens ? ».
Reste à parler d’une personne. Si je vous demande à qui vous fait penser la France d’après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup d’entre vous me diront « De Gaulle ». C’est la même en Turquie avec Atatürk. Membre des « Jeunes-Turcs » mais opposé au triumvirat, il est lui aussi nationaliste et fan de la France. Pendant la Guerre, ses exploits militaires en font une figure de l’armée ottomane. Il remporte notamment la fameuse bataille des Dardanelles, qui fera au total un demi-million de morts des deux côtés…
En 1918, il ne reconnait pas l’armistice et va organiser la résistance turque à Ankara, au centre de l’Anatolie. Après deux ans de guerre civile qui l’oppose au sultan, les conditions du Traité de Sèvres, une fois connues, vont unifier la société turque autour de lui. Jusqu’en 1923, il va mettre en place les bases d’une république sur le modèle français, tout en cherchant à reconquérir l’Anatolie.
L’enquête est confiée à l’ancien gouverneur d’Ankara qui s’était opposé aux déportations et aux massacres. Il va rassembler toutes les preuves du génocide : ordres écrits, témoignages de fonctionnaires ottomans, vestiges des camps où étaient envoyés les Arméniens en plein désert, sans vivre et sans soin…
Les principaux responsables sont condamnés à mort. En parallèle, le sultan signe avec les Alliés le traité de Sèvres en 1920, qui permet à ces derniers de s’approprier d’énormes territoires au détriment des Ottomans. Français et Anglais se partagent la Mésopotamie (la Syrie et l’Irak), tandis que les Grecs obtiennent la ville de Smyrne et ses alentours, sur la côte ouest de l’Anatolie.
Les Arméniens ne sont pas oubliés : l’Arménie orientale dans le Caucase, qui était sous contrôle russe depuis le XIXe siècle, a pris son indépendance à l’occasion de la révolution communiste. En compensation du génocide, l’Arménie occidentale en Anatolie, sous contrôle ottoman, doit être réunifiée avec sa voisine pour reformer la Grande Arménie historique.
Qu'est-ce que l'Arménie historique ?
Je ne vais pas refaire l’histoire du monde. Mais avec les Arméniens, on peut remonter très loin. On trouve leur trace dès 800 avant J.-C. Leur royaume, rival des Assyriens et Babyloniens, s’étend alors au sud-est de l’Anatolie, de la Cilicie, côte méditerranéenne entre la Turquie et la Syrie moderne, au Caucase, région montagneuse et très enclavée où se trouve l’Arménie actuelle. C’est ce qu’on peut appeler la « Grande Arménie » et c’est le principal foyer d’habitation des Arméniens jusqu’au génocide.
Avant les Ottomans et les Russes, les Arméniens ont connu de nombreux ennemis. Parfois, l’Arménie est la puissance dominante de la région. Souvent, sa situation géographique en fait le voisin et le vassal des principaux empires que le monde a connu : les Romains et les Perses.
Le contrôle de la région est si important que les deux puissances s’entendent sur un statu quo : le roi d’Arménie est choisi par les Romains au sein de la dynastie royale perse. En 301, le pays devient le premier royaume chrétien de l’histoire et se dote d’un clergé et d’églises, trente ans avant le début de la construction de la Basilique Saint-Pierre à Rome. La religion sera tant un facteur de préservation de la culture arménienne qu’une des causes de ses persécutions.
L’Arménie sera toujours à la croisée des grands Empires : romain, perse, byzantin, arabe, ottoman puis russe… Elle sera aussi souvent leur champ de bataille. D’un côté, les Romains deviennent les Byzantins. De l’autre, les Perses sont remplacés par les Arabes. Pendant mille ans, les Arméniens restent sous la domination d’une des deux puissances, avec de rares moments d’indépendance et quelques moments un peu foufous comme on savait en faire à l’époque : invasion des tribus turques (1064), croisades (à partir de 1095) et invasion mongole (1237).
On reviendra plus tard sur les Turcs, qui dans quelques siècles vont fonder l’Empire ottoman, et comment les Arméniens s’y intégreront.
La Grande Arménie, un plan vite oublié
1918 ne marque pas vraiment la fin de la Première Guerre mondiale : jusqu’en 1923, de nombreux conflits annexes ont continué à ensanglanter le continent, le principal étant la guerre civile russe. Les Turcs sont à chaque fois impliqués dans ces conflits.
Car la reddition de l’Empire ottoman est de courte durée. Le général Mustafa Kemal, plus connu sous le surnom « Atatürk », s’oppose à l’armistice puis au Traité de Sèvres. Jusqu’en 1923, Atatürk va se battre contre les Alliés, les Russes communistes, les Grecs et les Arméniens.
Les Alliés, épuisés par la Première Guerre, vont se contenter de défendre leurs nouvelles possessions en Mésopotamie et vont dire aux Grecs et aux Arméniens de se démerder pour faire appliquer le traité. Les premiers se font vite refouler d’Anatolie, les seconds vont devoir se mettre sous la protection des communistes.
L’Arménie telle qu’on la connaît aujourd’hui ne retrouvera son indépendance qu’en 1991 avec la fin de l’URSS. Quant à l’Arménie occidentale, vidée de ses populations historiques, elle reste jusqu’à aujourd’hui turque et a été repeuplée par des musulmans turcs ou kurdes.
En résistant, Atatürk s’impose à la tête du pays et achève la mutation de l’Empire ottoman qui devient la Turquie, une république laïque, sans sultan et qui se limite désormais à la seuleAnatolie. En gros, il mène à terme le projet des Jeunes-Turcs au pouvoir pendant la guerre, tandis que de nombreux fonctionnaires ottomans ayant organisé le génocide servent de base au nouveau régime. Et puisque la Turquie s’est construite sur cet héritage, impossible pour elle de reconnaître leurs crimes. Ils restent des héros nationaux. Aujourd’hui, des avenus turques portent ainsi le nom d’un criminel contre l’humanité…
1895 : déjà une tentative de génocide avortée
Pour comprendre comment on en arrive là, il faut s’intéresser aux causes du génocide. Ou plutôt des génocides. En effet, plus d’un million d’Arméniens, 500 000 Syriaques et 350 000 Grecs sont victimes des massacres perpétrés par les Jeunes-Turcs, principalement entre l’été 1915 et l’été 1916.
L’Empire ottoman est une entité multi-ethnique et multiconfessionnelle. Jusqu’au XVIIe siècle, il est la principale puissance méditerranéenne, mais le XVIIIe et surtout le XIXe siècle vont voir sa puissance être remise en question.
L'Empire ottoman et les Arméniens
En 1453, les Turcs ottomans prennent Constantinople et vont successivement s’emparer des terres de l’Empire byzantin et celles à majorité musulmane qui étaient auparavant sous l’autorité arabe. En gros, ils mettent la main sur deux des principales puissances du Moyen-Age, et étendent leurs frontières jusqu’à Vienne et Kiev, Bagdad, La Mecque ou encore Alger… Et l’Arménie bien sûr. Depuis Constantinople, qui ne sera appelé Istanbul qu’en 1930, le sultan ottoman devient aussi calife, le guide des musulmans.
Jusqu’au XVIIe siècle, l’Empire ottoman est la principale puissance méditerranéenne et la principale menace extérieure qui pèse sur l’Europe. Il est l’un des derniers ensembles politiques multi-ethniques : Slaves, Grecs, Arméniens et Syriaques / Assyriens / Araméens orthodoxes, Juifs, Yézidis, Turcs, Kurdes, Arabes, Druzes, Bédouins…
Jusqu’au XVIIIe siècle et l’arrivée de l’Empire russe dans le Caucase, les Arméniens vivent sous la domination turque. Ils forment un « millet », une minorité ethnique et religieuse au sein de l’Empire. Comme les autres communautés non-musulmanes, ils payent un impôt pour pratiquer leur foi. Les Arméniens qui vivent sur leurs terres ancestrales sont souvent des paysans, ceux qui vont en ville des commerçants ou des intellectuels. Les Turcs ont tout à gagner à les protéger.
Pendant longtemps, l’alchimie entre Turcs et Arméniens est bonne. Les premiers, épaulés par les Arabes, se chargent des questions politiques et de l’armée. Les seconds, avec les autres minorités, font tourner l’économie et enrichissent la culture ottomane : le premier roman écrit en langue ottomane est l’œuvre d’un Arménien et ce sont eux qui démocratisent la photographie dans l’Empire. Jusqu’en 1870, les Ottomans considèrent d’ailleurs les Arméniens comme « le peuple fidèle ».
Mais cette situation ne va pas durer. La Russie, ennemi juré, pousse dans le Caucase et en Asie centrale, région turcophone. Successeurs de l’Empire byzantin, les Russes espèrent reprendre Constantinople, siège de l’Église orthodoxe. Les Grecs, depuis l’indépendance en 1830, rêvent de recréer la Grande Grèce, celle de l’époque de la Guerre de Troie où l’Anatolie était à eux. Les Français, les Anglais et les Allemands sont intéressés par les richesses de la Mésopotamie. Bref, tout le monde regarde l’Empire comme un gros gâteau qu’il faut se partager. Opposés aux Grecs et aux Russes, les Ottomans vont de plus en plus haïr les orthodoxes. Ensuite, les nationalistes turcs ne vont pas tolérer la présence de cette élite intellectuelle et marchande éduquée et de ses paysans qui possède le sud-est du pays.
À force de répéter aux Arméniens qu’ils sont à la solde des Occidentaux, qu’ils sont infidèles à l’Empire et qu’ils ne cherchent que l’indépendance, à la façon des Grecs et des Slaves des Balkans, ces derniers se radicalisent et mettent en place des partis révolutionnaires, avec actions terroristes façon ETA en bonus. C’est la méthode Coué à l’envers.
Les États-nations modernes comme la France et le Royaume-Uni ou encore la Russie s’approprient l’Afrique du Nord et le Caucase. Les nationalistes des Balkans rêvent d’indépendance : la Grèce, la Serbie, la Bulgarie s’émancipent peu à peu, jusqu’à repousser les Ottomans d’Europe lors des Guerres balkaniques de 1912-1913.
À la veille de la Première Guerre, l’Empire n’occupe plus que l’Anatolie et la Mésopotamie et son organisation interne est dépassée. Après une énième guerre, les Occidentaux imposent à l’Empire une constitution qui accorde en théorie tous les mêmes droits aux sujets ottomans et mettent son économie sous tutelle. Le sultan avait bien tenté à la fin du XIXe siècle de recouvrer son pouvoir en utilisant son statut de calife, le chef spirituel des musulmans, et en liguant ces derniers derrière lui face aux chrétiens occidentaux. C’est ce qu’on appelle le panislamisme.
Les Arméniens et les autres chrétiens orthodoxes vivant en Anatolie en sont les victimes : en 1895, 200 000 d’entre eux sont tués par les Turcs et les tribus kurdes à qui ils font faire le sale boulot. Les Occidentaux avaient alors forcé le sultan à stopper le massacre, mais ne pouvaient rien faire pour empêcher les Kurdes de continuer à harceler les paysans chrétiens. Violences et immigration font fondre les populations chrétiennes : en 1878, on dénombre 3 millions d’Arméniens dans l’Empire. En 1914, ils sont deux fois moins nombreux.
Un responsable : le nationalisme turc
Le panislamisme ayant échoué, une autre idéologie gagne les élites turques : le nationalisme. Inspirés par la France des Lumières, les « Jeunes-Turcs » qui prennent le pouvoir en 1908 et en 1913 veulent créer en Anatolie un État-nation à l’occidentale. Problème : les Arméniens, opprimés depuis des années, veulent faire de même.
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale est l’occasion pour les « Jeunes-Turcs » les plus radicaux de mettre leur plan à exécution. Les Alliés ne peuvent plus défendre les minorités orthodoxes. De plus, les Russes risquent de trouver des soutiens parmi leurs coreligionnaires. Mieux vaut régler définitivement la question.
Ce qui se passe pendant la Première Guerre ?
Il y a cent ans, le 24 avril 1915, débute le génocide : l’élite de la communauté arménienne d’Istanbul, ses artistes et intellectuels, ses avocats, ses journalistes, ses médecins et même ses élus au parlement, était arrêtée puis exécutée. Auparavant, les soldats arméniens de l’armée ont aussi été éliminés.
Rien ne s’oppose plus à la déportation, entre mai et août 1915 de plus d’un million d’Arméniens, principalement des paysans de l’Anatolie orientale, alors que ceux vivant dans les villes de l’ouest du pays sont moins touchés. Les Grecs et les Syriaques sont également visés.
Officiellement, ces déplacements visent à éloigner ces populations du front du Caucase, où les Russes s’apprêtent à attaquer. Les Ottomans craignent que les minorités orthodoxes leur viennent en aide. D’une main, le triumvirat signe les actes de déportation. De l’autre, il lâche des milices composées de prisonniers libérés et de mercenaires kurdes sur les convois. Les hommes arméniens, grecs et syriaques sont exécutés dès le début de la déportation, parfois sous les yeux des femmes, enfants et vieillards.
Les survivants sont emmenés dans le désert syrien. Les Turcs les font marcher en rond, loin des points d’eau. Chaque passage d’un pont ou d’un fleuve donne lieu à des drames. On dépouille les déportés des rares biens qu’ils ont emportés, on viole et on kidnappe les plus belles femmes. Une fois la destination atteinte, les Ottomans misent sur la faim et les maladies pour achever le travail.
Parfois, des communautés résistent et sont secourues par la marine française ou l’armée russe. De quoi alimenter la propagande des « Jeunes-Turcs », selon laquelle les déportés sont en rébellion ouverte contre eux. Cette version est donnée aux puissances européennes, qui ne sont pas dupes : de nombreux diplomates, missionnaires ou même militaires informent les nations des deux camps du sort des minorités orthodoxes. Interrogé par un diplomate allemand, l’un des « Pachas » lâchera : « C’est le bon moment pour en finir ».
Quand l’armistice est signé, seulement un tiers des Arméniens ottomans sont encore en vie : ceux d’Europe, de Constantinople et de Smyrne ont été moins touchés par les déportations, qui se sont faites en train et non à pied. Nombre d’entre eux ont été sauvés des camps syriens par les Alliés, soit environ 200 000 personnes. Reste enfin ceux évacués par l’armée russe, 300 000 personnes, ceux capturés par les Kurdes et les Turcs, principalement des femmes et des enfants réduits en esclavage. Enfin, il y a ceux cachés par des amis, des imams ou des fonctionnaires ottomans courageux.
En 1919, la commission Mazhar, du nom de l’ancien gouverneur d’Ankara, rassemble les preuves afin de faire condamner les « Jeunes-Turcs ». Avec le soutien du sultan, de nombreux fonctionnaires viennent témoigner. Les principaux responsables, dont le triumvirat, sont condamnés à mort. Si le terme de génocide avait alors existé, je parie qu’il aurait été utilisé par les responsables turcs. Les lois de déportation et de spoliation des biens des déportés sont abrogées et les victimes commencent à être réinstallées dans le pays sous la protection des vainqueurs. Mais la résistance d’Atatürk va tout remettre en question.
Après la Première Guerre mondiale, c’est la même logique nationaliste qui anime Atatürk. La guerre avec la Grèce se solde par l’exil des dernières populations grecques présentes en Anatolie. La nouvelle République empêche les survivants des génocides de se réinstaller et s’approprie leurs biens. Les églises orthodoxes sont pillées, détruites ou transformées en mosquée. La région est quasiment unifiée ethniquement et culturellement. Seuls les Kurdes restent. Alliés des Turcs contre les minorités orthodoxes, ils sont désormais les victimes du nationalisme turc, et cela encore aujourd’hui.
Les Kurdes, opprimés en Turquie, massacrés en Irak sous Saddam et qui luttent en Syrie contre les djihadistes rêvent d’un Kurdistan indépendant. Alors qu’ils étaient auparavant en concurrence avec les Arméniens pour le contrôle de l’Est de l’Anatolie, ils utilisent aujourd’hui l’histoire du génocide contre la Turquie, en demandant pardon aux Arméniens pour leur rôle ou en envoyant des représentants aux cérémonies d’hommage. Le Parti pour la paix et la démocratie, pro-kurde, est le seul à reconnaître le génocide en Turquie. À Diyarbakir, la principale ville de la minorité, la culture arménienne est revalorisée
Les Turcs et les Kurdes, du génocides jusqu'à Daesh
Après la guerre d’indépendance (1919-1923), Atatürk poursuit la politique d’assimilation forcée des minorités commencée par les Jeunes-Turcs, loin de la logique de l’Empire qui se contentait de les taxer. Exit les Arméniens et les Grecs. Les Kurdes qui ont servi d’auxiliaires aux Ottomans pendant le génocide ne sont pas reconnu dans la nouvelle République.
En parallèle celle-ci se modernise, accorde le droit de vote aux femmes, se laïcise en supprimant le califat et en adoptant le dimanche comme jour de repos et se rapproche des Occidentaux. La fin d’Atatürk est l’occasion d’en finir avec le système de parti unique et de mater les révoltes des minorités. Les militaires sont les garants de la République et n’hésitent pas à renverser le pouvoir quand il s’éloigne trop du cap fixé par Atatürk.
Le pays participe à la création de l’ONU après la Seconde Guerre mondiale et devient l’une des plus fidèles alliées de l’OTAN, face au danger communiste et islamiste. Quand le nationalistes kurdes du PKK entre en rébellion dans les années 80, ils seront reconnus comme organisations terroristes par les Occidentaux ce qui permet aux Turcs d’exercer une répression brutale. 42 000 personnes sont mortes du fait de la guerre civile depuis 30 ans.
Le courant conservateur d’Erdogan au pouvoir en Turquie, libéral et qui prône un islam modéré, tolère la renaissance culturelle kurde et arménienne dans les régions où ils sont majoritaires. Mais le PKK reste actif, et l’aide qui leur est soi-disant apportée par les Kurdes irakiens explique pourquoi la Turquie a autant tardé à autoriser ces derniers à aider les Kurdes syriens de Kobané contre Daesh.
La propre inactivité de la Turquie dans ce conflit ranime les tensions avec les Kurdes du pays, qui représentent 20% de la population. Les manifestations kurdes ont été l’occasion de nouvelles brutalités de la part des Turcs.
Reconnaissance du génocide vs realpolitik
La reconnaissance du génocide est un enjeu diplomatique de premier ordre pour les relations extérieures avec la Turquie, notamment lorsqu’on évoque son intégration au sein de l’Union européenne. Si l’on reprend les différents pays que je cite en exemple au début de l’article, on va voir que chaque prise de position vis-à-vis du génocide reflète avant tout les intérêts politiques de chaque nation.
Déjà, quand Chypre reconnaissait le génocide via une loi, c’était une façon pour les Grecs insulaires de protester contre la création d’une république turque indépendante au Nord de l’île.
Si l’Allemagne a refusé pendant aussi longtemps de parler de génocide, c’est pour ne pas brusquer la communauté turque du pays, principale minorité étrangère.
En France, les lois mémorielles permettent de draguer les 500 000 électeurs d’origine arménienne. Celle condamnant la négation du génocide a été adoptée quelques mois avant les élections de 2012. La député des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer (UMP), est l’une des plus engagées en faveur de la reconnaissance du génocide, alors que la communauté arménienne représente 10% de la population marseillaise…
Aux États-Unis, ça se complique. On a parlé à l’occasion du centenaire des hésitations d’Obama à employer le mot tabou. La reconnaissance du génocide était l’une de ses promesses de campagne. Mais la Turquie est le seul membre de l’OTAN au Moyen-Orient. La lutte contre l’Etat islamique à l’heure actuelle, et le menace iranienne depuis des décennies incitent à ménager l’allié turc. Même logique dans le cas d’Israël.
Les Turcs inflexibles sur le sujet ?
Vous l’aurez compris, une reconnaissance des génocides arméniens, grecs et syriaques, à la hauteur de la reconnaissance de l’horreur de la Shoah, ne sera possible que quand la Turquie elle-même aura changé de position sur le sujet. C’est difficile tant la négation du génocide (en tant que suppression organisée et volontaire d’une partie d’un peuple, sa définition internationale) est ancrée dans la société turque. La reconnaissance du génocide pourrait conduire la Turquie à payer des compensations aux descendants des victimes et à l’Arménie, comme l’Allemagne l’avait fait après la Shoah.
Les Turcs parlent de massacres certes, mais de massacres qui auraient touché les deux camps, les Arméniens s’étant retournés contre leurs concitoyens… C’est vrai, mais ça ne concerne qu’une infime partie d’entre eux et face à un génocide, ça se comprend : quand bien même les juifs se seraient révoltés de manière organisée contre les nazis, la Shoah serait toujours qualifiée de génocide ! La définition d’un génocide n’implique pas que la population visée n’exerce aucune résistance !
Bref, la question ici n’est pas d’incriminer les Turcs, qui un siècle après sont innocents. Chaque pays a vécu des heures sombres et en porte encore les cicatrices. La question ici est de soustraire le génocide et les Arméniens de la polémique pour les rendre à l’histoire, celle qui est objective. C’est le seul moyen pour les plaies de cicatriser.
Qu’est-ce qu’une reconnaissance du génocide va changer me direz-vous ? Aujourd’hui, pas grand-chose, si ce n’est rendre aux victimes et à leur famille le respect qui leur est dû. Mais hier, qui sait ? Hitler n’encourageait-il pas les responsables de la Shoah en disant que de toute façon, personne ne se souvenait du sort des Arméniens ?
Si l’on s’écarte de l’histoire pour faire de la fiction, on peut se demander quel visage aurait aujourd’hui le Moyen-Orient si une Arménie orthodoxe forte, de la taille de celle prévue par le Traité de Sèvres, avait subsisté.
Mais la reconnaissance du génocide par la Turquie n’est pas une chimère. Au sein même de la population, outre les Kurdes, de nombreux Turcs s’engagent, notamment ceux qui se découvrent une ascendance arménienne. Pendant le génocide, des milliers d’Arméniens et Arméniennes ont survécu, soit par chance, sauvés par les Russes ou les Alliés, soit grâce à l’aide de musulmans écœurés par la situation, soit pour les plus malheureux en étant kidnappés, réduits en esclavage ou mariées de force avec des Turcs et des Kurdes.
Leurs descendants ne savaient rien de leurs racines. Ceux qui les découvrent aujourd’hui cultivent l’espoir d’une prise de conscience au sein de la société turque dont le fruit, on ne peut que l’espérer, sera la reconnaissance du génocide et à terme, la réconciliation entre ces peuples déchirés.
Si vous êtes un baroudeur de l’Internet, vous avez sûrement remarqué que le terme « Black Friday » revenait beaucoup aujourd’hui. On vous explique ce qu’est cette tradition américaine et comment elle arrive progressivement en France.
C’est quoi ?
Aux Etats-Unis, le Black Friday (vendredi noir pour nos amis anglophobes) désigne depuis les années 70-80 le vendredi qui suit Thanksgiving (qui a lui lieu le quatrième jeudi du mois de novembre). Il s’agit de marquer le coup d’envoi de la période d’achats des fêtes de noël.
En effet, après avoir passé le mois de Novembre à penser, dindes, indiens et purée de pomme de terre les américains peuvent commencer aujourd’hui à penser cadeaux, sapins et Papa Noël.
Ainsi pour lancer la marche des achats de noël, les magasins américains ont pris pour habitude de proposer des prix (très) cassés le lendemain de Thanksgiving et c’est aujourd’hui.
Pourquoi ça s’appelle Black Friday
Alors pourquoi ce black ? Il y a deux explications et apparemment, personne ne sait vraiment laquelle est vraie :
Black Friday parce que les magasins sont noirs de monde, tout simplement.
Parce que dans les livres de comptes on écrit une perte en rouge et un bénéfice en noir. Le nom traduit donc les bénéfices des magasins lors de cette « tradition shopping » américaine.
Arrêtons-nous un instant sur la première explication, parce que je pense que vous ne mesurez pas la mesure du bordel qu’il y a dans les magasins américains en ce beau vendredi. Vraiment, la foule devant un magasin Apple lors de la sortie d’un nouvel Iphone c’est de la grosse rigolade en comparaison d’un Wal-Mart un jour de Black Friday.
Voici quelques vidéos (qui devraient au passage rehausser votre foi en l’humanité…) :
La tradition s’exporte en Europe et en France
Cette année on remarque que le Black Friday s’est plus exporté que toute autres années. Les vines que vous avez vus plus haut provenaient en fait de magasins anglais qui ont vu de jolis débordements aujourd’hui.
En France cela devient quelque chose et faisons ce que n’importe qui fait quand il veut prouver que quelque chose devient à la mode, utilisons un graphique des tendances Google :
Ainsi de très nombreuses marques ont lancé des prix cassés aujourd’hui dans une tentative de s’approprier cette tradition américaine et de surfer sur la popularisation croissante du Black Friday en France.
L’année dernière la pratique était surtout effectuée en France par des entreprises américaines (comme Amazon, Apple… ) mais aujourd’hui on voit de plus en plus d’entreprises françaises se mettant à cette pratique et il y a de fortes chances qu’elle devienne d’ici quelques années une nouvelle « tradition » marquant officieusement le début de la période d’achat des fêtes.
A noter que le Black Friday a été magnifiquement parodié et critiqué par South Park dans un superbe triple épisode que vous trouverez ici.
Pour de nombreux journalistes, la menace invisible du virus Ebola et bien plus effrayante que les détonations qui se font entendre en Syrie et en Irak.
Pour de nombreux journalistes, la menace invisible du virus Ebola et bien plus effrayante que les détonations qui se font entendre en Syrie et en Irak.
Selon Claire Hedon, journaliste de RFI citée par l’AFP, il est plus simple de trouver des journalistes pour couvrir les événements dans ces zones ou même en République Centrafricaine, où la guerre civile est latente, que d’aller dans les pays touchés par le virus.
Comme le personnel médical et les travailleurs humanitaires, les journalistes doivent aller au plus près des malades pour faire correctement leur travail. Ils doivent donc prendre des précautions éprouvantes (enfiler une tenue de protection, se laver régulièrement…) sous peine de contracter le virus.
Le personnel médical paye un lourd tribut à la lutte contre la maladie. Les journalistes ne sont pas immunisés. Pour l’instant, un seul journaliste occidental a été contaminé, l’Américain Ashoka Mukpo, pigiste pour NBC.
Pour Sofia Bouderbala, rédactrice en chef adjoint pour l’Afrique de l’AFP, il s’agit d’une menace invisible : « dans les zones de guerre, vous pouvez voir les obus tomber. »
Pourtant, certains journalistes tentent l’aventure
Mais ils doivent garder leur distance : « la règle de base est de ne rien toucher. Pendant deux semaines c’est assez bizarre » raconte Marc Bastian, journaliste de l’AFP à Monrovia. « Nous pulvérisions nos chaussures avec de l’eau de Javel et nous lavions nos mains de 40 à 50 fois par jour. Les photographes utilisent des téléobjectifs pour photographier les malades et une fois j’ai fait une interview avec quelqu’un qui était huit mètres en hurlant. »
Ces difficultés sont illustrées dans ce reportage de Vice News à Monrovia le mois dernier où le reporter hésite à parler directement aux malades.
Pour les journalistes radio, l’exercice est aussi périlleux. Yves Rocle, responsable de RFI pour l’Afrique, avoue que ses équipes utilisent un dispositif spécial pour obtenir du son. « J’ai moi-même interrogé des malades à deux mètres d’écart, où il est considéré qu’on ne peut pas être touché par la salive », ajoute Claire Hedon, qui admet que la moindre erreur peut être fatale. « Pour être honnête, vous baissez votre garde. À la fin j’ai même serré des mains. »
Mais les risques de s’arrête pas à la fin de la mission
En rentrant chez eux, les journalistes doivent faire face à la peur de leurs collègues et de leur famille, du moins jusqu’à la fin de la période d’incubation, lorsqu’on est certain que les symptômes ne se déclareront plus. C’est une période très solitaire et très stressante pour les journalistes.
« Vous prenez votre température tous les jours et vous vous inquiétez à la moindre alerte » avoue Guillaume Lhotellier, journaliste pour la société de production Elephant. « Votre vie sociale n’est pas très grande, il y a des gens qui refusent même de vous serrer la main. »
Les médias hésitent quant à la politique à adopter avec leur personnel. Certains laissent leurs journalistes travailler dès leur retour, comme la BBC ou l’AFP, qui mettent en avant leurs protocoles de protection sur le terrain. D’autres préfèrent adopter des mesures de quarantaine, comme l’agence AP, qui demande à ses journalistes de rester trois semaines à la maison.
Des mesures que tous ne supportent pas, à la façon de Nancy Snyderman, journaliste de NBC, vue en ville alors qu’elle était supposée être en quarantaine.
Disparu depuis plus d’un mois et demi, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un se serait à nouveau montré en public ce lundi 13 octobre selon l’agence de presse du régime. Une absence de plus de quarante jours qui, paradoxalement, n’a pas empêché le troisième « Kim » de faire parler de lui.
Maladie ? Coup d’État à son encontre ? Les hypothèses n’ont pas manqué du côté de la presse occidentale.
Qu’est-il arrivé à Kim Jong-un ?
Comme toujours avec la Corée du Nord, il est très difficile d’obtenir des informations fiables : les communications vers l’extérieur sont quasiment inexistantes et la mentalité coréenne, couplée à l’aspect totalitaire du régime, rend très difficile l’envoi ou le recrutement d’informateurs dans le pays.
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Les agences de renseignements ont énormément de difficulté à recueillir des informations sur le pays, mises à part celles fournies par les images satellites. En effet, il est presque impossible d’obtenir des renseignements de l’intérieur. La Corée cultive depuis des siècles son isolationnisme. Déjà au 19ème siècle, les journaux occidentaux appelaient la Corée le « royaume ermite ». Le pays se distingue par une homogénéité ethnique et culturelle : impossible d’y faire pénétrer des agents étrangers.
La culture coréenne est par ailleurs imprégnée de confucianisme, philosophie qui met l’accent sur le respect de l’autorité établie. Ajoutez à cela l’emprise du régime sur les esprits et vous comprendrez qu’il est compliqué de « retourner » une personne à l’intérieur du pays.
La « disparition » de Kim Jong-un a été remarquée fin-septembre, lorsque le jeune leader de 31 ans a battu son record d’absence (21 jours en 2013) et a raté l’un des événements politiques les plus importants du régime communiste, l’Assemblée populaire suprême.
Cette absence a ensuite particulièrement intéressé la presse lorsqu’une délégation nord-coréenne s’est rendue presque par surprise (elle n’a été annoncée que 24 heures à l’avance) le 4 octobre à la cérémonie de clôture des Jeux asiatiques qui se déroulaient en Corée du Sud.
Cette visite marque la reprise du dialogue entre les deux frères ennemis, sept mois après son interruption. Elle est aussi particulièrement symbolique puisqu’elle est menée par le vice-président de la Commission nationale de défense, le vice-maréchal Hwang Pyong-so, n°2 « officieux » du pays. Un poste auquel il a été nommé lors de la fameuse Assemblée suprême qu’a manqué le maréchal Kim Jong-un.
Alors qu’aucune rencontre au sommet n’avait eu lieu depuis 2009 et qu’aucun dirigeant nord-coréen aussi haut placé ne s’était rendu au sud depuis la guerre de Corée, le voyage du nouvel homme fort du régime au moment ou le leader reste invisible avait de quoi plaire à la presse.
On y reviendra, mais de nombreux titres ont même évoqué un coup d’État. Le 10 octobre, la nouvelle absence de Kim Jong-un aux célébrations du 69ème anniversaire de la création du Parti unique nord-coréen, chose inédite pour une cérémonie de premier plan, n’a fait qu’attiser les rumeurs.
L’explication à la longue absence de Kim Jong-un est pourtant connue depuis longtemps : le dirigeant est obèse. Il boit, fume et mange beaucoup trop. Kim Jong-un souffrirait depuis plusieurs mois (il a été vu boitant cet été, comme le montre la vidéo ci-dessous) de problèmes aux chevilles, de diabète ou encore de la goutte, une maladie qui se caractérise par une inflammation des articulations.
Opéré mi-septembre des chevilles par un médecin français, selon la presse sud-coréenne, il aurait eu du mal à se déplacer, d’où sont refus d’apparaître en public depuis le 3 septembre, date à laquelle il avait assisté à un concert de son groupe préféré. Les photos publiées par la presse nord-coréenne à l’occasion du retour du leader à la vie publique le montrent d’ailleurs en train d’utiliser une canne.
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Le maréchal Kim Jong-un est le fils du général Kim Jong-il et le petit-fils du président Kim Il-sung. Ces titres sont extrêmement importants en Corée du Nord. Kim Jong-un serait né en 1983. Il a étudié pendant son adolescence en Suisse, comme la majorité des autres enfants de Kim Jong-il. Il y a développé une véritable « passion » pour l’emmental, d’où ses problèmes de santé actuels selon la presse.
Vous vous posez sans doute la question, donc voici la réponse : c’est Kim le nom de famille, le prénom étant composé des deux syllabes suivantes. Kim est très populaires en Corée et signifie « or ».
Enfin, le groupe préféré de Kim Jong-un s’appelle Moranbong. Pourquoi est-ce son groupe préféré ? Aucune idée, mais le fait qu’il ait sélectionné personnellement chacune des femmes qui le composent doit avoir son importance…
Insuffisant toutefois pour faire taire les partisans du coup d’État, le premier d’entre eux étant Jang Jin-sung, un ancien porte-parole du général Kim Jong-il (le papa de Kim Jong-un, si vous n’avez pas cliqué sur l’encadré) exilé depuis une dizaine d’année à Séoul. Encore une fois, le manque de sources fiables fait que chacun peut dire ce qu’il veut sur la Corée du Nord sans que ce soit vérifié.
Le coup d’État : tentant mais impossible
Si la théorie du coup d’État a eu bonne presse, c’est qu’elle n’est pas totalement infondée. En effet, plusieurs éléments récents laissent penser qu’un changement pourrait avoir lieu à la tête du régime.
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Le premier d’entre eux est le fait que Kim Jong-un n’a pas adressé le moindre message à son peuple, ni lors de l’Assemblée suprême, ni lors des célébrations de l’anniversaire du Parti. Aussi, pas une image du leader n’a été publiée pendant un mois et demi par la presse officielle, qui n’hésitait pas à utiliser Photoshop en 2008 pour faire croire que Kim Jong-il était en pleine forme alors qu’il venait d’avoir une attaque cérébrale. Il restera d’ailleurs absent six mois à cette occasion.
Ensuite, Pyongyang, la capitale nord-coréenne, a été bouclée le 27 septembre. Personne ne peut y entrer ou en sortir, y compris ses habitants, pourtant censés être les plus loyaux envers le régime. Certains observateurs ont suggéré qu’une purge était peut-être en cours. D’autres que la visite en Corée du Sud de Hwang Pyong-so, le n°2 du régime, était liée à cette purge.
Enfin, on a remarqué de nombreux écarts dans le protocole : Kim Jong-un n’est quasiment pas cité dans le compte-rendu de l’Assemblée suprême. Hors en Corée du Nord, avoir votre nom sur ces documents est un bon indicateur de votre influence politique. De plus, aucune formule à la gloire de Kim Jong-un n’a été prononcée par la délégation des Jeux asiatiques, ce qui est extrêmement rare.
Pour donner plus de crédibilité à l’hypothèse du coup d’État, on évoque aussi les difficultés qu’a Kim Jong Un à affermir son pouvoir : depuis 2011, il a remplacé près de la moitié des hauts dignitaires de l’armée. Ces quinze derniers mois, il a même changé trois fois son chef d’état-major. Son père en avait fait autant, mais en 17 ans de règne. Enfin, Kim Jong Un a condamné à mort son oncle Jang Song-taek l’an passé, l’accusant de vouloir prendre le pouvoir.
Dans ces conditions, une révolte mêlant militaires opprimés et anciens soutiens de Jang Song-taek semble crédible. Mais on peut lui opposer plusieurs arguments.
La venue, en plein changement de régime, d’une délégation aussi importante que celle qui s’est déplacée en Corée du Sud le 4 octobre est improbable. Les putschistes devraient au contraire affermir leur domination sur la capitale et les institutions du pays. Néanmoins, cet argument n’exclut pas une transition en douceur.
Le régime nord-coréen est tellement lié à la « dynastie de Paektu » mise en place par le grand-père de Kim Jong-un, le président Kim Il-sung, qu’il s’effondrerait sans un membre de la famille à sa tête. Dans le cadre de cette « transition en douceur », certains évoquent le rôle de la sœur cadette de Kim Jong-un, Kim Jong-yo, âgée de seulement 26 ans et qui serait désormais aux affaires. Cependant Kim Jong-yo est une proche collaboratrice de son frère et fut tout aussi active auprès de son père. Il n’y a rien d’étonnant à voir la sœur s’occuper des affaires courantes pendant la convalescence du frère.
Le dernier élément qui laisse penser qu’aucun réel changement n’a lieu à la tête de la Corée du Nord, c’est l’absence de réaction de la Chine, de la Corée du Sud et ses alliés américains. La chute du dernier régime stalinien au monde aurait de graves conséquences pour ces pays : que faire d’une nation de 25 millions d’habitants fanatisés, qui possède la quatrième armée du monde et un stock impressionnant d’armes, dont probablement des têtes nucléaires ?
Cliquez ici pour en savoir plus sur l'armée nord-coréenne et le programme nucléaire et spatial
L’armée nord-coréenne compte 1,1 million de soldats actifs, ce qui est un peu moins que l’armée américaine (1,4 million), et 8,2 millions de réservistes. La part de soldats par rapport à la population totale est donc écrasante. La politique du « Songun », mise en place par Kim Jong-il, donne une place centrale à l’armée dans l’organisation du pays : elle est chargée des chantiers de construction, des recherches technologiques, de l’éducation, de l’agriculture…
Dans le domaine technologique, l’armée se consacre notamment à la recherche nucléaire et spatiale. La Corée du Nord est une puissance nucléaire depuis ses essais de 2006, 2009 et 2013. En 2012, le régime a procédé à la mise en orbite de son premier satellite. Si ce dernier n’a finalement pas fonctionné, cette tentative aura permis à la Corée du Nord de s’entraîner au lancement de missiles à très longue portée.
Le régime actuel est très prévisible. Un changement soudain à sa tête ou même sont effondrement inquiéterait les pays voisins, qui auraient au minimum mis leurs armées en alerte. Or, il n’y a pour l’instant que la presse qui soit aux aguets.
La situation aurait pu changer la semaine dernière après des échanges de tirs entre le Nord et le Sud.
Le 7 octobre, un bateau sud-coréen a ouvert le feu sur une navette nord-coréenne qui s’introduisait dans ses eaux territoriales. Rien d’exceptionnel, alors qu’il y a régulièrement ce genre d’accrochage dans la zone. Ce n’est qu’un nouvel épisode de la « Guerre du Crabe » qui oppose les deux marines depuis 60 ans.
Plus rare, il y a eu des échanges de tirs entre des postes frontaliers le 10 octobre, alors que l’armée du nord essayait d’abattre des ballons dirigeables chargés de tracts et de dollars envoyés par des opposants depuis le sud. Pyongyang accuse Séoul d’encourager ces actions et il est très probable que la délégation envoyée aux Jeux asiatiques cherchait à s’assurer qu’un tel événement ne se produirait pas à l’occasion de l’anniversaire du Parti.
Pyongyang en a profité pour rompre les discussions ouvertes par la visite officielle du 4 octobre, mais aucun mouvement de troupes n’a été signalé depuis.
Pour résumer, Kim Jong-un semble donc toujours en vie et au pouvoir. L’armée, malgré la purge et une méfiance croissante, lui obéit toujours et la réouverture des discussions avec le sud n’est déjà plus d’actualité… Si vous comprenez la logique de tout ça, n’hésitez pas à laisser un commentaire.
Personnellement, je ne trouve qu’une explication : rien n’a changé en Corée du Nord et la presse s’est emballée pour pas grand chose. Comme d’habitude, le régime communiste souffle le chaud et le froid. C’est une de ses vieilles techniques.
Rien de nouveau chez les Kim
Pour comprendre ce qu’il se passe actuellement en Corée du Nord, où plutôt comprendre qu’il ne s’y passe pas grand chose, il suffit de comparer la situation de Kim Jong-un avec celle de son père.
Avant cela, il faut poser quelques bases, surtout si vous n’avez pas lu le premier encadré relatif à la difficulté d’obtenir des informations sur la Corée ! Ce qui en passant n’est pas très gentil. Comme je le disais, la Corée a une culture isolationniste très marquée. Le confucianisme est aussi très présent dans les mentalités et il prône principalement des valeurs conservatrices. Dans la société nord-coréenne, le futur est imaginé comme la reproduction du passé. Les règles et les dirigeants sont immuables. Leur politique aussi…
En 1995, Kim Jong-il vient de succéder à son père Kim Il-sung. Comme Kim Jong-un en 2011, la presse occidentale se moque de lui. Kim Jong-il est présenté comme un playboy, amateur de femmes et de grands crus, passionné de cinéma. Son fils passe pour un glouton alcoolique et obèse, fan de Disney. En 1995 aussi, on pensait que Kim Jong-il n’arriverait pas à imposer son autorité et que le pays était au bord de l’effondrement. En 1995 aussi, le dirigeant nord-coréen avait procédé à une purge, supprimant deux des neufs plus grandes armées du pays. Déjà, on évoquait la possibilité d’une tentative de coup d’État pour expliquer les événements. Plus généralement, la chute du régime est une véritable arlésienne, qui fait fantasmer par sa portée démocratique comme par ses potentielles conséquences catastrophiques.
Pour savoir pourquoi il faut redouter la chute du régime, vous connaissez la musique...
La Corée du Nord est une société très concurrentielle. Pour survivre et améliorer ses conditions de vie, il ne faut pas hésiter à trahir. Plus vous vous élevez, plus les gens souhaitent votre chute. Le régime utilise et encourage cette situation afin de perdurer.
La disparition du régime pourrait exacerber les rivalités entre les chefs de l’armée populaire, qui entraîneraient le pays et leurs hommess dans une guerre civile. La région ayant traditionnellement été contrôlée par des chefs de guerre, ce ne serait pas une nouveauté.
La question de l’avenir de l’armée se pose également : que faire de tous les soldats démobilisés ? Où ira le matériel, alors que le pays est une plaque tournante du marché noir (armes et méthamphétamines).
Comment gérer la situation humanitaire, alors que les famines s’enchaînent depuis les inondations du milieu des années 90 ? Que faire des nombreux réfugiés qui voudront se rendre en Chine ou en Corée du Sud ?
Enfin, comment vont réagir ces deux pays frontaliers ? La Chine accepterait-elle la perte d’influence qu’entraînerait une réunification ?
Quant à la volonté de reprendre les discussions avec le sud pour les rompre quelques jours plus tard, il s’agit ni plus ni moins de la façon habituelle dont la Corée du Nord gère ses relations internationales. Pour se faire entendre et obtenir ce qu’ils veulent (aide alimentaire, reprise des recherches nucléaires…) les Coréens alternent les phases de détente et de rapprochement avec celles de menace et d’isolation.
Un jour le régime oeuvre pour la réunification de familles séparées par la guerre de Corée ou le retour d’otages dans leur pays d’origine, un autre il rouvre le dossier nucléaire. À chaque essai, tir de missile, ou parade militaire, les Nord-coréens menacent puis ouvrent des discussions où ils promettent de se calmer en échange de l’aide internationale.
L’absence du leader communiste serait plus liée à un coup marketing qu’à un coup d’État. Cette mise en scène assurerait à la Corée du Nord un espace médiatique suffisant pour avancer ses pions. Les discussions avec la Corée du Sud devraient reprendre prochainement. Mais la encore, l’opacité qu’est capable d’imposer la dictature communiste empêche toute réponse certaine.
Ce dernier encadré recèle quelques informations sur la politique internationale du régime
Depuis la chute de l’allié soviétique en 1991, la Corée du Nord ne peut compter que sur la Chine, son principal partenaire commercial. Or, même la presse chinoise, pilotée par le gouvernement, critique maintenant Pyongyang. La Chine est de plus en plus hostile à l’égard de cet allié versatile, d’autant que Kim Jong-un n’a encore jamais visité le pays depuis son arrivée au pouvoir. Selon la presse chinoise, le régime voudrait relancer son programme nucléaire et teste la communauté internationale. La reprise des discussions avec Séoul ou encore la reconnaissance de l’existence de camps de travail dans le pays seraient des éléments de ce que les experts appellent « une offensive de charme » de la part de Pyongyang. Celui-ci cherche des soutiens ailleurs qu’en Chine, cette dernière étant opposée au programme nucléaire coréen.
Kim Jong-un se tourne ainsi vers la Corée du Sud. Il avait par exemple souhaité une « amélioration des relations inter-coréennes » lors de son discours pour la nouvelle année.
Par contre, les théories du complot ont le mérite de mettre en avant une chose : la montée en puissance de Hwang Pyong-so et de Kim Jong-yo. Deux personnalités qui, jusqu’à présent, étaient affiliées à un autre organe méconnu du régime : le Département de l’Organisation et de l’Orientation du Parti.
Il n’y a pas de nouveaux cas de contamination en Allemagne, mais un Soudanais employé de l’ONU ayant attrapé le virus Ebola au Liberia vient de décéder à Leipzig, où il était soigné.
C’est le deuxième pays européen où une victime d’Ebola meurt après l’Espagne et les décès de deux missionnaires cet été, et le troisième pays hors d’Afrique si l’on prend en compte le décès de Thomas Duncan aux États-Unis.
En Espagne et aux États-Unis, ces patients ont par ailleurs infecté des membres du personnel médical qui ont eux contaminé leurs proches. Ces faits témoignent de l’extrême difficulté qu’ont les soignants à traiter les victimes d’Ebola comme de la nécessité d’être très vigilant pour éviter la diffusion du virus.
Voici une carte qui résume l’état de propagation de la souche Ebola qui frappe l’Afrique de l’Ouest. L’épidémie a pour l’instant fait plus de 4000 victimes, selon les chiffres officiels, dont plusieurs centaines de médecins. Le personnel de santé au Liberia est même en grève depuis hier et réclame des compensations financières plus importantes.
Si vous voulez savoir pourquoi les chiffres officiels sont bien en-deça de la réalité et pourquoi cette grève est potentiellement catastophique, consultez notre dossier complet Ebola.
Vous savez sûrement que l’Afrique de l’Ouest connait actuellement la pire épidémie du virus Ebola de l’histoire. Cependant, plusieurs éléments ne sont pas assez mis en avant par la presse grand public selon nous. On vous récapitule tout ce qui s’est passé et que vous devez savoir pour avoir votre propre avis sur ce sujet.
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Cet article résumé en 30 secondes
Ebola est une saloperie vicieuse et extrêmement contagieuse. Pour une personne contaminée, sans traitement, la mort survient dans au moins 70% des cas. Lire plus…
Ce n’est pas la première épidémie d’Ebola mais celle-ci est la pire car elle touche des zones urbaines dans des pays (Libéria & Sierra Léone) où il y a peu de médecins, lesquels n’ont jamais été confrontés à Ebola. Lire plus…
Cette épidémie est également la pire car la lenteur de la réaction internationale lui a permis de toucher des milliers de personnes au lieu des centaines que l’on était habitué à gérer. Lire plus…
Le manque de moyens et le mode de transmission de l’épidémie ont transformé les hôpitaux en mouroirs où les victimes ont peur de se rendre. 82% des personnes contaminées ne sont pas prises en charge à l’heure actuelle. Lire plus…
Les mesures de quarantaine ont accéléré la transmission de la maladie. L’insalubrité, le manque de vivre et la focalisation des secours sur Ebola ont favorisé l’émergence d’autres épidémies. C’est une crise humanitaire et économique générale qui frappe maintenant ces pays. Lire plus…
La communauté internationale doit intervenir massivement dans les pays touchés afin de réguler l’épidémie, empêcher qu’elle ne continue à croitre parmi les populations concernées ou qu’elle ne mute et devienne encore plus contagieuse. Sans action une pandémie mondiale serait alors de l’ordre du possible. Lire plus…
On ne s’étendra pas longtemps sur le traitement médiatique de l’épidémie : certains trouvent que c’est trop, d’autres pas assez. Pour être concis, oui, Ebola n’a fait officiellement « qu’un peu plus » de 3000 morts, et on devrait accorder autant d’importance aux millions de victimes annuelles du paludisme, de la pneumonie et des diarrhées qui sévissent en Afrique. Mais les causes, la réalité et les conséquences de l’épidémie actuelle justifient une telle exposition. Mieux, cette mise en avant devrait également bénéficier à la lutte contre l’horrible liste de maladies que je viens de citer.
Ce qui m’interpelle, c’est plus le ton employé lorsque l’on parle d’Ebola. Je ne sais pas si le fait d’être à l’époque plus jeune a son importance, mais je me souviens de l’angoisse, voire l’hystérie, qui était palpable lorsqu’on évoquait la maladie de la vache folle, la grippe aviaire ou plus récemment la grippe H1N1 dans les médias. Avec Ebola, la presse fait moins dans le sensationnel et l’alarmisme. Par contre, rien ne justifie un traitement aseptisé et superficiel de l’épidémie.
Ebola est bien plus grave que H1N1 et ces autres maladies qui nous effrayaient auparavant.
C’est pourquoi je veux évoquer ici plusieurs points :
l’atrocité de cette crise sur le plan humain. Avec le décompte des victimes, c’est l’angle d’attaque le plus courant que j’ai observé. Même Obama l’a évoqué. Il est cependant essentiel pour comprendre la nature de ce qui se trame là-bas.
L’enchaînement catastrophique des événements, qui est assez difficile à imaginer si on ne suit pas régulièrement l’actualité.
Les graves conséquences de cette épidémie pour les pays touchés, qui ne sont quasiment pas abordées.
La pire épidémie du virus Ebola de l’histoire
Ebola tire son nom d’une rivière de la République Démocratique du Congo, a.k.a Congo-Kinshasa ou Zaïre pour les initiés et les fans de Youssoupha. C’est là qu’a eu lieu la première épidémie en 1976. C’est aussi le théâtre, avec le Soudan, de la plupart des épidémies qui se sont déclarées jusqu’à aujourd’hui. Mieux que des mots, cette infographie réalisée par le site Vox, d’où je tiens pas mal des infos et des chiffres utilisés ici, vous montre bien en quoi cette épidémie est unique :
Avant 2014, Ebola avait fait environ 1600 victimes officielles. Rien que cette année, selon les derniers chiffres de l’OMS (l’Organisation Mondiale de la Santé, pas l’Office Municipale des Sports) on a franchi le cap des 3300 morts pour près de 7200 cas. On y reviendra, mais ces chiffres ne valent pas grand-chose : la vérité, c’est que personne n’a aucune idée de l’ampleur réelle de l’épidémie qui touche l’Afrique de l’Ouest.
Selon les chiffres officiels donc, l’année 2014 a été deux fois plus meurtrière que les 38 années précédentes. Qu’est-ce qui a changé ? Pas la maladie.
La « fièvre hémorragique » Ebola est une vicieuse, mais c’est toujours la même. Elle se transmet à l’origine via les animaux comme les singes ou les chauves-souris, morts ou vivants. Ses symptômes sont la fatigue, les maux de tête, la fièvre, les douleurs musculaires, les vomissements et la diarrhée. Ils peuvent se déclarer jusqu’à trois semaines après la contamination et leur apparition rend le malade contagieux à son tour. Dans un cas sur deux – où une majorité selon les articles – la victime saigne par le nez, la bouche, les selles… Une extrême déshydratation et la formation de caillots sanguins entraînent la chute de la pression artérielle, l’arrêt d’organes vitaux et la mort. Cela arrive généralement dans les cinq jours après l’apparition des premiers symptômes.
C’était vrai en 1976, ça l’est toujours aujourd’hui pour cette souche particulière du virus. Car un autre foyer d’infection issu d’une souche différente d’Ebola se trouve actuellement au Congo. Il a fait environ 70 victimes mais vient d’être maîtrisé par les autorités.
Voilà, on y est. Ce qui a changé et ce qui est dramatique dans toute cette histoire, c’est qu’Ebola a frappé là où l’on ne s’y attendait pas. D’habitude, lorsqu’une épidémie du virus Ebola se déclare, comme ce fut le cas à proximité du Congo des dizaines de fois (cf infographie), les autorités savent réagir : elles connaissent les symptômes, savent qu’il faut mettre la zone sous quarantaine, répertorier les malades et les accompagner, rechercher les personnes qui ont eu des contacts avec eux et les placer sous observation. Bon, ça ne sauve pas les malades, mais ça évite que l’épidémie ne se propage.
Ebola a frappé au plus mauvais endroit, là où personne ne l’attendait
Ici, les choses sont bien différentes. L’épidémie débute entre décembre 2013 et janvier 2014 à Guéckédou, une localité majeure du sud de la Guinée, proche à la fois du Libéria et du Sierra Leone. Autant dire que les choses ne commencent pas bien : beaucoup de monde y transite et le fait que trois pays soient concernés réduit les chances d’une réponse organisée.
La région n’a jamais rencontré Ebola, mais elle connaît bien d’autres maladies, comme la grippe et le paludisme. Malheureusement, les mêmes symptômes apparaissent dans les trois situations et les premières victimes sont passées inaperçues. Les médecins ne prennent pas de précautions particulières et sont eux-aussi contaminés. Début mars, les services de santé de Guéckédou alertent les autorités guinéennes et Médecins Sans Frontières (MSF).
Il est alors difficile de se faire une idée de l’ampleur de l’épidémie à cause de la rareté et l’inexpérience des labos locaux et du mauvais état des routes, qui ralentit l’arrivée des échantillons. Il faut passer par des labos européens pour avoir la confirmation qu’Ebola est à l’œuvre. Entre-temps, la maladie peut se développer. Les victimes, qui vont chercher une assistance médicale dans les villes, y transmettent le virus. Lorsqu’Ebola est identifiée, elle est déjà à Conakry, la capitale de la Guinée (2 millions d’habitants).
Contrairement au Congo où elle frappe des villages isolés, Ebola se développe alors dans un univers urbain et surpeuplé. Autre problème, elle est très contagieuse.
En avril puis en mai, l’OMS confirme que l’épidémie s’est propagée au Libéria et en Sierra Leone. Enfin, le 18 juin, l’organisation se réveille et déclare l’état d’urgence. Le nombre de cas a plus que quadruplé et la maladie a déjà fait 500 victimes.
Oui, quelque chose a merdé. L’OMS n’a déclaré l’état d’urgence que cet été, cinq mois après le début de l’épidémie. Deux mois de plus ont été nécessaires pour qu’une intervention internationale se mette en place. Depuis, l’épidémie est hors de contrôle
Pour contenir la maladie, les services de santé doivent être mobilisés dès le départ. Informés et appuyés par les organismes internationaux, le Sénégal et le Nigéria ont réussi à contenir les débuts d’épidémies de cet été.
En Guinée, en Sierra Leone et au Libéria, personne n’était préparé. Pas assez de lits, pas assez d’ambulances, pas assez de matériel de protection pour les secours : au moins 200 médecins sont décédés depuis le début de l’épidémie. C’est dramatique dans une région qui n’en compte environ qu’un pour 6000 habitants.
Cette maladie ne laisse pas de place à la compassion et la population se méfie des secours
Face à la faiblesse du système de santé, les gens ne vont plus consulter et sont soignés par leurs proches. C’est là qu’Ebola montre sa nature profonde : cette maladie est une pute. Désolé d’être cru, mais ce passage est crucial pour comprendre la problématique Ebola. Autant qu’il soit impactant.
Ebola se transmet par les fluides et les sécrétions des malades. Contrairement à ce que laisse penser le nom « fièvre hémorragique », il n’y a pas que du sang : elle se propage dans le vomi des malades. Dans leur diarrhée. Par le sperme des hommes infectés qui, même sauvés, restent contagieux plusieurs mois. Elle se transmet par la sueur. Elle se transmet par les larmes.
Et Dieu sait que les malades ont toutes les raisons de pleurer. Le taux de mortalité du virus oscille entre 70 et 90% à l’heure actuelle. Une fois que ses symptômes sont déclarés, un malade sait que s’il va à l’hôpital, il a toutes les chances de ne plus jamais revoir les siens et de mourir seul. Nombreux sont ceux qui préfèrent rester chez eux, condamnant par la même occasion leur famille, leurs amis, leurs voisins.
Même sans toucher directement le malade ou son cadavre, il suffit de manipuler un drap ou un verre avec lequel il a été en contact pour être contaminé. Les membres d’une même famille ne peuvent pas établir entre eux le protocole très strict normalement appliqué lors d’une quarantaine. Imaginez que c’est votre mère, votre femme ou votre sœur qui est malade ? Que feriez-vous ? Je ne prends pas ces exemples au hasard : au Libéria, 75% des victimes sont des femmes.
Comme le rappelle Barack Obama, Ebola nous dépouille de notre humanité : « elle change un simple acte d’amour et de compassion envers un proche, comme toucher la main d’un ami ou embrasser son enfant mourant, en acte potentiellement fatal pour vous… »
Pour vaincre Ebola, il ne faudrait pas soigner ses proches, ni même leur dire adieu. Mais c’est impossible quand on sait l’horrible réalité des hôpitaux. La maladie s’est tellement développée que ces derniers sont pleins et ne peuvent plus accueillir de malades. Ils viennent mourir chaque nuit devant le dispensaire de MSF à Monrovia, la capitale du Libéria. Normalement, pour faire baisser le taux de mortalité, il faut hydrater et transfuser les malades, mais il y a pénurie de matériel.
La plupart du temps d’ailleurs, lorsqu’une zone de quarantaine est mise en place, il y a pénurie de tout. Face à la croissance exponentielle du nombre de cas et à la pression des médias et des pays voisins, les autorités ont fait boucler des zones par l’armée sans s’assurer que les stocks de vivres ou de médicaments étaient suffisants. Les conditions de vie dans ces zones se sont dégradées avec l’apparition de la famine et la recrudescence d’autres maladies, alors que les médecins sont concentrés sur Ebola. Selon Joanne Liu, la présidente de MSF, difficile de savoir qui meurt d’Ebola, du paludisme ou d’autre chose.
Bien plus de victimes que les chiffres officiels : seuls 18% des malades sont pris en charge
Des malades préfèrent s’enfuir de ces mouroirs et errent dans la rue, provoquant parfois des mouvements de panique comme cet été sur un marché de Monrovia. J’avais déjà utilisé ce reportage dans un précédent article. Je viens d’ailleurs de remarquer en le matant une nouvelle fois qu’un médecin s’éclate littéralement la gueule à la fin de la vidéo en tombant d’un 4×4.
Moins drôle, la psychose qui règne là-bas pousse la population à se méfier des autorités : un hôpital a été attaqué à Monrovia par la foule qui a jeté les malades dehors en scandant qu’Ebola n’existait pas. En Guinée, une équipe de médecins et de journalistes venue alerter la population sur les risques a été massacrée. L’ignorance et la peur compliquent le travail des équipes chargées de contenir la maladie autant que le manque de moyens.
La plupart des chiffres donnés sur Ebola ne correspondent pas à la réalité. Les 7200 personnes contaminées ne sont que celles prises en charge dans les hôpitaux et les dispensaires. L’American Centers for Disease Control and Prevention (CDC), considère que ce chiffre ne correspond en réalité qu’à 18% des malades… Pour contenir une épidémie, il faudrait qu’au moins 70% des victimes soient prises en charge.
Voilà pourquoi le virus Ebola se développe si vite : selon le New England Journal of Medicine, le nombre de cas double tous les 16 jours en Guinée, tous les 24 jours au Libéria, le pays le plus touché, et tous les 30 jours en Sierra Leone.
Pour l’OMS, qui se base sur les chiffres officiels, 20 000 personnes pourraient être touchées en novembre. Avec les chiffres officieux, on peut facilement atteindre les 100 000 cas. Pour lutter efficacement contre Ebola, un contingent de 20 000 hommes serait nécessaire, de préférence des militaires. Les Américains viennent d’en envoyer 3000. Encore insuffisant.
Dorénavant, certains experts pensent que la réponse ne doit plus seulement être médicale. Le professeur Peter Piot, co-découvreur du virus en 1976, parle d’une crise humanitaire globale : « Désormais, la réponse à la situation ne doit plus être du seul ressort de la médecine. Parallèlement à la militarisation de l’action médicale, il faut élargir la mobilisation internationale et onusienne, inclure le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) et le Programme alimentaire mondial (PAM) » explique-t-il à Slate.fr.
Car désormais, les conséquences sur le long terme pour les trois pays touchés apparaissent. On espère que l’envoi massif de matériel va permettre un meilleur accueil des malades et empêchera la propagation d’autres maladies dans la population saine. Mais il faudra également répondre au défi alimentaire, alors que de nombreux agriculteurs sont morts dans les campagnes et qu’il n’y a pas eu de récolte cette année. Les champs sont laissés en jachère, et rien ne dit qu’ils seront travaillés l’an prochain. Plus généralement, tous les pans de la société sont touchés, de l’économie à l’éducation. Des milliers d’orphelins doivent déjà être pris en charge.
L’Occident doit être vigilant
Dommage, car des pays comme la Sierra Leone (+13,3%) et le Libéria (+8,1%) avaient respectivement la deuxième et la onzième plus forte croissance économique au monde. À défaut d’avoir rapidement été prise en charge, cette épidémie va maintenant coûter très cher si l’on veut que ces pays reprennent le chemin du développement.
Ebola devrait nous mobiliser pour que des traitements soient développés afin d’endiguer efficacement les maladies qui ravagent l’Afrique. Pendant la quarantaine d’année où elle est restée confinée au Congo ou au Soudan et faisait épisodiquement quelques centaines de morts, les labos ne se sont pas assez intéressés au développement d’un remède. Les recherches coûtent beaucoup d’argent et les investissements ne vont que vers celles ayant des débouchés concrets. Devant l’ampleur du désastre et les premières contaminations d’Occidentaux, c’est maintenant le cas.
Les recherches vont être d’autant plus encouragées que la possibilité de voir Ebola dans les pays développés s’est accrue. Jusqu’ici, l’épidémie avait peu de chances de quitter la zone actuellement touchée : les services de santé des pays frontaliers sont en alerte, les contrôles des passagers quittant le pays sont renforcés et les malades contagieux n’ont pas la force de se déplacer sur de grandes distances. Mais nous ne sommes pas à l’abri d’une défaillance, comme le prouve le cas de Thomas Duncan, à l’origine du premier cas d’Ebola en dehors de l’Afrique.
Venu rendre visite à sa famille au Texas, l’homme n’avait pas indiqué avoir été au contact de gens contaminés lors de son départ de Monrovia le 19 septembre. C’était pourtant le cas. Les premiers symptômes se sont déclarés le 24 septembre. Le lendemain, l’hôpital de Dallas où Thomas vient consulter le renvoie chez ses proches avec de simples antibiotiques. Il y reviendra le 28 septembre dans un état critique, avant que le virus Ebola soit détecté deux jours plus tard. Au total, plus d’une centaine de personnes, dont 20 ont été en contact direct avec Thomas sont sous surveillance : la famille de la victime n’a ni respecté les premières mesures de confinement, ni pris de précautions avec ses affaires.
Ici, l’absence de symptômes avant le départ de Thomas, son ignorance et le manque de vigilance de ses proches et des services hospitaliers américains ont été déterminants. S’il ne faut pas céder à la panique, ce schéma peut toutefois se reproduire si l’épidémie d’Ebola n’est pas plus prise au sérieux. Heureusement, vous connaissez maintenant sérieusement le sujet.
Mise à jour du 07 octobre : le premier cas de transmission d’Ebola en Europe vient d’être confirmé. La victime est une infirmière espagnole qui avait soigné deux de ses compatriotes, des missionnaires infectés alors qu’ils combattaient l’épidémie en Afrique de l’Ouest et rapatriés en Espagne cet été. Bien qu’une extrême vigilance soit apportée au personnel médical qui soigne les malades rapatriés (j’espère que c’est également le cas pour la Française actuellement soignée) le risque qu’Ebola touche l’Europe et plus particulièrement la France est réel. Par ailleurs, le cas de l’infirmière espagnole laisse imaginer la difficulté des équipes qui travaillent en Afrique avec beaucoup moins de moyens.
Mise à jour du 14 octobre : Une infirmière américaine qui soignait Thomas Duncan à Dallas a également contracté le virus. Par ailleurs, un Soudanais employé de l’ONU ayant attrapé le virus Ebola au Liberia vient de décéder à Leipzig (Allemagne), où il était soigné.
C’est le deuxième pays européen où une victime d’Ebola meurt après l’Espagne et les décès de deux missionnaires cet été.
Ce weekend, les mouvements nationalistes et indépendantistes se sont faits remarquer au Royaume-Uni, en France et en Espagne.
Moins de deux semaines après le référendum sur l’indépendance de l’Écosse, qui s’est soldé par la victoire du non, les indépendantistes catalans ne baissent pas les bras et espèrent toujours organiser leur propre référendum.
Artur Mas, le président de la communauté autonome, a signé samedi un décret de convocation d’un référendum sur l’indépendance catalane le 9 novembre prochain.
La Catalogne, c’est 7,5 millions d’habitants et environ 20% du PIB espagnol, soit près de 192 milliards d’euros. Le PIB du Portugal, à titre de comparaison, est d’environ 170 milliards d’euros et celui de l’Écosse, 150 milliards. Mais la Catalogne est aussi la région la plus endettée d’Espagne, du fait de ses contributions au fonctionnement du reste du pays selon les indépendantistes.
Pour Madrid, impossible de se séparer d’un tel joyau. Le gouvernement espagnol a saisi le Tribunal constitutionnel pour faire casser la convocation du référendum. Un refus qui va encore tendre la situation alors qu’1,8 million de Catalans étaient dans la rue début septembre et que l’ERC, le parti de la gauche républicaine favorable à l’indépendance est arrivé en tête aux dernières élections européennes. Comme le FN en France.
Le Front National fait une entrée historique au Sénat
La situation est bien sûr différente, les indépendantistes catalans étant pro-UE. Mais le parallèle avec la France montre bien le repli identitaire qui s’opère actuellement en Europe.
C’était prévisible depuis les élections municipales du printemps : la droite est à nouveau majoritaire au Sénat. En effet, les sénateurs sont élus par des grands électeurs, dont 95% sont issus des conseils municipaux. Le même système explique le basculement de la Chambre haute à gauche en 2011. Et aussi l’entrée historique ce weekend des deux sénateurs FN Stéphane Ravier (Bouches-du-Rhône) et David Rachline (Var), qui est à 26 ans le plus jeune élu de la Haute-Assemblée.
L’arrivée du FN au Sénat reste anecdotique sur le plan politique, avec seulement 2 sièges sur 348. Mais elle est avant tout symbolique : le parti frontiste est désormais présent dans les deux chambres législatives et son action de « dédiabolisation » lui permet d’attirer la sympathie de plus de 4000 élus, dont beaucoup ne lui sont pas affiliés.
L’UKIP séduit deux députés conservateurs
On retrouve également ce phénomène outre-Manche. Comme le FN, l’UKIP (United Kingdom Independence Party) milite contre l’UE. Comme le FN, il arrive en tête des dernières élections européennes devant les partis politiques historiques, une première.
Ce weekend, le parti a annoncé l’arrivée en son sein de Mark Reckless, un député conservateur connu pour son euroscepticisme. Début septembre, c’était Doug Carswell, un autre élu tory, qui quittait la formation du Premier ministre David Cameron pour celle des indépendantistes.
À seulement huit mois des élections législatives, ce dernier n’est pas certain de conserver son poste. Face à la pression de l’UKIP et de son propre camp (un tiers des députés conservateurs seraient eurosceptiques), David Cameron a promis, s’il était réélu, d’organiser en 2017 un référendum sur l’avenir du Royaume-Uni au sein de l’Union Européenne…