Des propos de Zlatan Ibrahimovic suite au match Bordeaux-Paris, aux mots doux de Dimitri Payet après le but non accordé lors de l’Olympico, l’arbitrage français était dans le dur lors de la 29ème journée du championnat de France de football.

Je ne vais pas m’étendre sur la connerie de faire des footballeurs professionnels des modèles pour la jeunesse. Ou sur la connerie de donner autant de valeur aux propos de mecs qui viennent de passer 90 minutes à se défoncer sur un terrain, pour rien, et cela suite aux décisions malheureuses et souvent excusables des arbitres.

Mais si Zlatan n’est surement pas un exemple pour la jeunesse, il n’en reste pas moins un professionnel du football, à même de donner un avis sur l’arbitrage d’une rencontre : celui qui, « en 15 ans de carrière » n’avait « jamais vu un arbitre aussi nul » est tout de même passé depuis l’an 2000 par les championnats des Pays-Bas, d’Italie, d’Espagne et de France, au sein des clubs les plus prestigieux de chaque pays et en remportant à chaque fois le titre national.

Et la vedette du PSG n’est pas la seule à mettre en avant la faiblesse de l’arbitrage hexagonal : les présidents, comme Jean-Michel Aulas (Lyon), les entraîneurs, comme Leonardo Jardim (Monaco) et bien sûr les joueurs ne se privent pas. De quoi s’interroger.

Pas d’arbitre Français dans « l’élite » mondiale

Le choix des officiels qui arbitrent les grandes compétitions internationales fait écho aux critiques d’Ibra. L’UEFA et la FIFA classent les arbitres en quatre catégories : un nouvel arbitre doit grimper les échelons et atteindre la catégorie « élite » pour espérer officier lors d’une phase finale de Coupe du Monde ou d’Europe et lors de la phase éliminatoire d’une compétition comme la Ligue des Champions.

Pourtant, si les Français sont aussi nombreux que les arbitres issus des autres grands championnats sur la liste de la FIFA, aucun n’est dans la catégorie élite depuis la retraite de Stéphane Lannoy en décembre 2014. Un Stéphane Lannoy qui est le dernier Français à avoir arbitré un match d’une grande compétition internationale, lors de l’Euro 2012 et la Coupe de Monde 2010. Handicapé par une blessure, il n’avait pas été retenu pour la dernière Coupe du Monde au Brésil. La France était aussi absente de l’arbitrage de l’Euro 2008. Interrogé, Michel Platini, déjà président de l’UEFA, avait expliqué : « c’est simple, nous avons pris les meilleurs. »

Même constat au niveau des compétitions de clubs : la retraite de Stéphane Lannoy est synonyme d’absence d’arbitre français en Ligue des Champions jusqu’à la fin de la saison, quand on pouvait compter deux Allemands, deux Anglais, deux Espagnols ou encore deux Italiens au sifflet des derniers huitièmes de finales qui se sont achevés cette semaine. C’est d’ailleurs Stéphane Lannoy qui a officié lors des deux derniers matchs de phase éliminatoire de Ligue des Champions arbitrés par un Français : un quart de finale en 2013 et un huitième de finale en 2014.

Aucun Français n’a arbitré une finale depuis 2001, et c’était la Coupe de l’UEFA ! Pour la Ligue des Champions, il faut revenir en 1986 pour voir un Français officier, alors que depuis, les Allemands et les Italiens ont arbitré cinq finales chacun. Toujours dans cette compétition, on n’a pas vu un arbitre français en demi-finale depuis 2006 !

Et nombreux sont ceux qui craignent de ne pas voir de Français sélectionnés pour la prochaine grande compétition internationale, l’Euro 2016, qui se tiendra pourtant en France ! Seulement deux des trois arbitres français de la catégorie 1, l’antichambre du groupe élite, sont candidats à une montée : Clément Turpin et Ruddy Buquet.

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Ce semestre, la France ne compte que trois arbitres en catégorie 1 et aucun en élite

Si les deux jeunes arbitres ont le temps d’intégrer le groupe élite avant l’été 2016, les phases de promotion ayant lieu tous les six mois, on notera que seul Clément Turpin semble avoir l’expérience pour y parvenir : il a arbitré trois matchs de phase de qualification de la Ligue des Champions, ce qui le place dans la moyenne des arbitres sélectionnés.

Malheureusement, il n’aura pas l’opportunité d’engranger de l’expérience lors des prochains mois et une première short-list pour l’Euro 2016 sera réalisée en octobre 2015. Or la phase finale de la Ligue des Champions ne reprend que fin septembre, et Clément Turpin aura peu de matchs pour s’illustrer.

Les arbitres français, trop physiques et trop rigoureux

Les raisons évoquées pour justifier cette absence au plus haut niveau international sont par exemple le manque de lobbying de la France et le faible niveau d’anglais de son corps arbitral. Insuffisant toutefois pour remettre en cause les qualités intrinsèques de nos arbitres.

D’autres mettent le doigt sur une préparation trop axée sur le physique, et pas assez sur la tactique ou la psychologie. Les arbitres français auraient du mal à supporter la pression des grands rendez-vous et auraient des difficultés à s’adapter au style de jeu des équipes. Lors de la dernière Coupe du Monde, la FIFA avait insisté sur l’importance de la « lecture du jeu », de la « reconnaissance des approches tactiques des équipes dans chaque match » et de la « personnalité de l’arbitre ».

La Commission fédérale des arbitres et la Direction Technique Nationale ont depuis lancé début 2014 un plan de réforme. Mais il faut du temps pour que cette mesure porte ses fruits. En attendant, les rendez-vous internationaux manqués par les arbitres français pèsent dans l’argumentation visant à démontrer leurs faiblesses.

« Une paresse intellectuelle » selon Eric Borghini, président de la Commission fédérale. Interrogé par le Point, il prévient toutefois : « Je vous donne rendez-vous en juin 2015 pour critiquer notre bilan (à l’occasion de la prochaine phase de promotion, ndlr). C’est ce classement, délivré au printemps prochain, qui sera décisif et qui nous indiquera le vrai niveau de l’arbitrage français. Pour l’heure, rien ne sert de crier au loup ! »

Car l’arbitrage à la française n’a pas que des mauvais côtés. Si on lui reproche de trop sacrifier le jeu sur l’autel d’une lecture rigoureuse du règlement, ce dernier point permet souvent de protéger les joueurs. C’est le constat partagé par Bruno Derrien, ancien officiel international, et Marc Libbra, ex-joueur de l’Olympique de Marseille, au moment de l’annonce de l’absence d’arbitre français au Brésil.

« J’ai toujours regretté (…) qu’on ait donné comme priorité le physique aux arbitres français. (…) J’ai le sentiment qu’on a un peu aseptisé les personnalités au cours de la dernière décennie. On a un peu robotisé tout cela. Certains sont devenus des machines à carton » commente le premier pour le Figaro, tandis que le second dresse un parallèle avec le football anglais à l’antenne de l’Equipe 21: « quand je vois l’agression qu’a subie Nasri et que Mapou Yanga-Mbiwa prend juste un jaune… Et Ben Arfa qui perd une partie de sa carrière sur un tacle assassin… En Angleterre, presque tout est permis. En France, on privilégie la sécurité des joueurs. » Quitte à siffler un peu trop.

Reste quelques bourdes, qui remettent en question les efforts du plan de réforme : on pense par exemple au carton rouge adressé en première partie de saison par Nicolas Rainville à Edinson Cavani (PSG), alors que celui-ci fêtait un but contre Lens en mimant l’utilisation d’une arme à feu. Un geste récurrent et jamais sanctionné. Pourtant, les arbitres qui commettent ce genre d’erreur restent la plupart du temps dans l’élite des arbitres hexagonaux et empêchent d’autres jeunes officiels de prendre leur place et de se faire une expérience.

C’est un reproche que fait Frédéric Arnault, ancien arbitre international, à Stéphane Lannoy, le premier jugeant que le second n’aurait jamais dû continuer à être arbitre français numéro 1 après sa prestation lors du mondial 2010 : « Aucune remise en cause de la part de ses supérieurs. C’est la continuité dans la médiocrité : on n’a pas laissé la chance à un autre arbitre qui aurait pu se faire les dents. »

Mais les instances arbitrales françaises doivent faire face à une pénurie de volontaires, souvent découragés par la pression des joueurs, des supporters ou des médias. En 2006 – 2007, la Fédération française recensait plus de 28 000 arbitres, contre moins de 25 000 il y a deux ans indique le Monde.

Ceux qui acceptent ces conditions difficiles au plus haut niveau sont bien rémunérés : en moyenne 50 000 euros annuels pour un arbitre de L2, plus aux échelons supérieurs. C’est quatre à cinq fois plus qu’il y a quinze ans. De quoi bien vivre, mais pas de quoi entretenir une véritable passion du jeu, dénuée d’arrière-pensées. « À l’image des footballeurs français qui voient davantage leur sport comme un métier (…) que comme une passion (…), on dirait que l’arbitre est aujourd’hui surtout carriériste et se contente du minimum syndical dans sa préparation » assène Frédéric Arnault, toujours pour le Point.

L’hebdomadaire conclut que la baisse de la concurrence et cet esprit carriériste, qu’il ne faut sans doute pas généraliser, conduisent « à un nivellement par le bas ».

Quid de l’assistance technologique ?

Tout le monde en conviendra, être arbitre ne signifie pas être infaillible. Bien que le règlement ne soit pas des plus compliqués, il est souvent très difficile de juger dans le feu de l’action : « un arbitre prend 250 décisions par match, pour une cinquantaine de coups de sifflet, avec à chaque fois un temps de réaction proche de la seconde » indique Stéphane Lannoy.

De quoi relancer la polémique autour de l’assistance technologique, notamment après le but non accordé de l’OM face à Lyon. Sans aller jusqu’à l’arbitrage vidéo, qui engendre un débat fondé, le recours à la technologie de la Goal Line semble être un bon début. Utilisée lors du dernier Mondial au Brésil et en championnat d’Angleterre, elle prévient l’arbitre quand un ballon franchit la ligne de but.

« Si les Anglais ont la Goal Line, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas l’avoir nous aussi ! Quand on sait l’importance de chaque but dans un championnat comme le nôtre, ça éviterait des polémiques » argue Michel Seydoux, président du Lille Olympique, sur FootMercato.net : « c’est différent de l’arbitrage vidéo, c’est une technologie qui est déjà approuvée. Le but (non accordé) d’OM-OL a une importance économique très difficile à chiffrer, mais certaine. Pour l’instant, les règles du football international n’ont pas validé l’arbitrage vidéo, mais elles ont validé la Goal Line, alors autant s’en servir… »

Mais l’investissement de 200 000 à 400 000 euros nécessaire pour équiper chaque stade rebute la Ligue. « La France n’a pas les moyens » prévient Frédéric Thiriez, son président, d’autant que les coûts de fonctionnement ne sont ici pas pris en compte. Un argument utilisé également par l’UEFA au sujet de ses compétitions européennes, mais qui n’a effrayé ni l’Allemagne, ni l’Italie, qui disposeront de la Goal Line l’an prochain.

Reste à savoir si le nombre limité de cas que permet de trancher cette technologie mérite un tel investissement. La Goal Line n’évite pas les pénaltys ou les hors-jeu litigieux. Il faut enfin rappeler que cette polémique n’aurait pas lieu si l’arbitre de l’Olympico avait sifflé une faute d’Ocampos sur Lopez, le goal lyonnais, au moment du but.

Plus que l’enjeu économique, c’est l’aspect sportif qui est le plus impacté. « Ça donne une image catastrophique de notre arbitrage ! Quand les gens de l’UEFA et de la FIFA voient ça, que pensent-ils ? Que les Français sont nuls ! C’est un sommet du championnat et le résultat est faussé. On arrive à la phase où le titre de champion, comme la relégation, sont des questions de chance ou de malchance arbitrales » déplore Bernard Caïazzo, le président du comité de surveillance de l’AS Saint-Étienne, qui milite pour l’assistance technologique.

Selon le site Arbitragevideo.fr, qui s’amuse à éditer le classement de la L1 sans l’impact des erreurs d’arbitrage, le PSG devrait normalement compter trois points supplémentaires, contre un point en moins pour l’OM et l’OL. De quoi modifier significativement la course au titre.

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Avec 3pts supplémentaires, Lorient passe de la 17e à la 11e place, tandis que Reims, en perdant 3pts, se trouve mêlé à la lutte pour le maintien

Bien sûr, un tel exercice reste très imprécis et quand par exemple Arbitragevideo.fr indique que l’OM bénéficie d’un point supplémentaire lié à une erreur d’arbitrage, le club phocéen est pénalisé de trois points selon Eurosport.

Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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